Jour de la Terre 2022

Comprendre l’écoanxiété pour favoriser l’engagement envers la crise climatique

À l’occasion du Jour de la Terre, Maxime Boivin, conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec, décortique le phénomène de l’écoanxiété et présente des pistes pour juguler nos angoisses liées à la menace des changements climatiques. Qu’entend-on par écoanxiété? Quels en sont les effets? Comment pouvons-nous agir pour la contrer? Elle répond à nos questions.

Qu’est-ce que l’écoanxiété?

La situation environnementale actuelle est problématique et la crise climatique menace nos modes de vie à court, moyen et long terme. Ce constat, comme pour tout danger, peut générer des sentiments comme la peur, l’anxiété, la colère, la détresse, la pression d’agir, etc. On parle alors d’écoanxiété ou, plus largement, d’écoémotions. Il s’agit d’un phénomène relativement nouveau étant donné l’aggravation de la menace climatique et l’importance des gestes à poser pour y remédier.

Au Québec, la population vit un niveau d’écoanxiété variable. Sur une échelle de 1 à 5 (où 1 représente un faible niveau d’écoanxiété et 5 un niveau d’écoanxiété élevé), le niveau moyen chez les adultes est de 1,78, augmentant jusqu’à 2,24/5 chez les 18 à 24 ans. Par ailleurs, près de la moitié de la population se sent inquiète à propos du futur de l’humanité; le quart de la population se sent aussi anxieuse à propos de l’impact de ses propres comportements sur la planète et le quart de la population se sent anxieuse quant à sa capacité personnelle à contribuer à la résolution de problèmes environnementaux1.

L’écoanxiété n’est toutefois pas nécessairement négative. En effet, se sentir anxieux ou stressé face à un danger peut favoriser la prise d’actions nécessaires pour se protéger. Ainsi, l’écoanxiété peut contribuer à l’engagement citoyen dans la lutte contre les changements climatiques. Elle constitue donc aussi un moteur d’action pour la planète.

Quelles sont les personnes les plus vulnérables à l’écoanxiété?

Le niveau d’écoanxiété varie au sein de la population selon plusieurs critères. L’âge est le plus évident de ces critères. En effet, les jeunes adultes vivent des niveaux d’écoanxiété plus élevés, surtout les 18-25 ans. Vraisemblablement parce qu’ils vont davantage subir les conséquences des changements climatiques dans leur vie et qu’ils ne sont pas en position de changer les choses comme ils le voudraient pour donner une chance à leur génération de ne pas être trop affectée par la crise climatique.

Parmi les autres critères qui font varier le niveau d’écoanxiété se trouvent notamment le fait d'avoir vécu personnellement des conséquences découlant des changements climatiques (impact financier, sur la santé et les événements météorologiques extrêmes principalement), le fait d’avoir des enfants, la solidité des réseaux sociaux et les troubles anxieux préexistants.

Quels en sont les effets sur la santé mentale?

En étudiant l’écoanxiété, j’ai pris conscience de l’étendue de ses conséquences négatives sur les individus : rancœur, désespoir, tristesse, anxiété, dépression, troubles de l’humeur, difficulté à fonctionner, à se concentrer, à profiter d’émotions positives et à tisser ou maintenir des liens sociaux, troubles du sommeil, décision de ne pas avoir d’enfant, idées suicidaires, fracture de l’identité personnelle et collective, etc. Au Québec, par exemple, 32 % des adultes indiquent se sentir nerveux, inquiet ou anxieux face aux changements climatiques, 23 % ressentent de la peur, 15 % sont parfois ou souvent envahis par des pensées relatives aux changements climatiques et autres problèmes environnementaux à venir, autant ont du mal à dormir à cause de la situation environnementale, 13 % ont parfois ou souvent du mal à apprécier des situations sociales et 11 % indiquent que leurs sentiments relatifs aux changements climatiques nuisent à leur capacité à étudier ou travailler.

Qu’est-ce qui augmente le niveau d’écoanxiété?

Tout ce qui rappelle ou fait augmenter le sentiment d’urgence d’agir tend à faire augmenter l’écoanxiété. Les médias ont une influence importante sur le sentiment d’écoanxiété (et donc, sur le bien-être des individus) puisque la couverture des changements climatiques tend surtout à mettre l’accent sur les problèmes et les risques. Nous étudions d’ailleurs actuellement la couverture médiatique des changements climatiques au Québec et ses impacts, notamment, sur l’écoanxiété, le bien-être et l’engagement citoyen en matière d’environnement afin de formuler des recommandations pour améliorer la communication des changements climatiques.

Par ailleurs, tout ce qui nous rappelle ou nous fait réaliser qu’on n’en fait pas assez pour affronter la menace en cours tend aussi à augmenter le niveau d’écoanxiété. Le fort sentiment que les gouvernements et les entreprises n’en font pas suffisamment en ce sens y contribue ainsi lourdement.

Comment pouvons-nous agir pour contrer l’écoanxiété?

Il existe plusieurs stratégies pour faire face à l’écoanxiété. Les relations sociales fortes, particulièrement avec des personnes qui partagent des préoccupations similaires aux nôtres, peuvent renforcer la résilience individuelle et collective pour affronter la menace des changements climatiques. Passer du temps en nature (en ville ou ailleurs) aide aussi, notamment en apaisant les niveaux de stress et en contribuant à renforcer le tissu social. L’engagement citoyen, que ce soit à travers des actions individuelles, collectives ou politiques, peut aussi aider à mieux vivre le sentiment d’écoanxiété. Néanmoins, afin de générer un impact suffisant sur la lutte contre les changements climatiques, les gestes individuels et collectifs doivent générer une certaine pression sur les entreprises et les gouvernements afin que ceux-ci posent des gestes concrets pour lutter contre les changements climatiques. Finalement, on ne peut pas prendre soin de la planète si on ne prend pas soin de soi.

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous pencher sur ce phénomène?

En essayant de contribuer à lutter contre les changements climatiques, j’ai remarqué que cette menace était vécue de façon plutôt stressante par bon nombre de personnes qui s’interrogeaient : En faisons-nous suffisamment pour éviter de nouveaux bouleversements importants sur nos modes de vie? Comment serons-nous affectés par les changements climatiques? etc. Pourtant, je lisais peu de choses sur la manière dont cette menace affectait notre santé mentale et notre société. D’ailleurs, on a vu avec la pandémie à quel point négliger les questions relatives à la santé psychologique peut être néfaste pour les individus et les sociétés.

En 2019, Anne-Sophie Gousse-Lessard de l’Université du Québec à Montréal et moi avons lancé un premier projet de recherche sur l’écoanxiété, afin de mieux comprendre ses impacts sur le bien-être et sur l’engagement. Rapidement, nous avons constaté l’importance de parler de ce phénomène et d’aider à mieux y faire face. Aujourd’hui, nous sommes impliquées auprès de plusieurs organismes, nous travaillons avec des musées, nous avons démarré un groupe de recherche, le Groupe interdisciplinaire de recherche sur l’écoanxiété et l’engagement citoyen (GIREEC) et nous chapeautons plusieurs projets de recherche sur le sujet.

Maxime Boivin : note biographique

Maxime Boivin est conseillère scientifique à l’INSPQ et professeure associée au Département d’information et de communication de l’Université Laval. Elle détient un doctorat en communication publique où elle s’est intéressée aux changements de comportements relatifs aux problématiques de santé publique. Elle travaille sur la réduction des impacts sociosanitaires des changements climatiques. Ses projets de recherche portent sur l’écoanxiété, le verdissement urbain et la communication des changements climatiques.


1 L'analyse et les données présentes dans ce texte sont liées à une enquête populationnelle qui n’a pas encore fait l’objet d’une publication.

21 avril 2022