Nouveauté : l’ASHRAE énonce des recommandations concernant la qualité de l’air intérieur des piscines
Résumé
La qualité de l’air intérieur des piscines publiques est une préoccupation sanitaire importante. Alors que peu d’organismes se sont attardés jusqu’ici à définir les critères à considérer pour le maintien d’une bonne qualité de l’air intérieur de ces installations, l’ASHRAE a récemment inclut dans son manuel ASHRAE Handbook—HVAC Applications un chapitre consacré à ce sujet. L’organisme rappelle notamment l’importance d’assurer une bonne ventilation pour réduire les contaminants présents dans l’air et pour prévenir les dommages aux bâtiments. Un autre élément essentiel est d’agir sur les facteurs responsables de la formation des sous-produits de désinfection, comme l’hygiène des baigneurs et le contrôle adéquat du traitement de l’eau.
Introduction
L’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE) a publié en juillet dernier la version 2019 de son manuel ASHRAE Handbook—HVAC Applications1. Cette nouvelle édition inclut un chapitre complet consacré aux piscines publiques intérieures. Ce chapitre aborde les besoins en termes de conception (enveloppe du bâtiment et système de ventilation) et d’opération (traitement de l’eau, fonctionnement du système de ventilation) des piscines intérieures. Le présent article vise à présenter les grandes lignes de ces recommandations.
La qualité de l’air intérieur des piscines publiques : pourquoi s’en préoccuper?
Photo : pixabay.com/tpsdave
Il est bien établi que l’activité physique est bénéfique pour la santé. En particulier, la baignade représente une activité physique de loisir appréciée des Québécois. En 2005, 44 % des personnes de 15 ans et plus ont affirmé pratiquer cette activité au moins une fois par année et, parmi ceux-ci, 73 % ont mentionné pratiquer cette activité au moins 10 fois par année2. Vu la popularité des lieux de baignade, la qualité de l’air intérieur de ces installations représente une préoccupation sanitaire importante. En effet, divers contaminants, dont ceux de nature chimique, comme les sous-produits de la désinfection (SPD), peuvent s’y retrouver et avoir des effets sur la santé des occupants (baigneurs, travailleurs).
Qu’est-ce que les sous-produits de la désinfection (SPD)?
Des désinfectants tels que le chlore (le plus populaire) ou le brome sont ajoutés à l’eau des piscines et des spas afin d’assurer une qualité microbiologique adéquate des installations aquatiques et de prévenir les cas et les éclosions de maladies infectieuses. Cependant, ces désinfectants réagissent rapidement avec des précurseurs présents dans l’eau, tels que les matières organiques et inorganiques, pour former des SPD. Ces précurseurs proviennent en majeure partie des baigneurs et se retrouvent dans les sécrétions et phanères humaines (p. ex. sueur, urine, selles, poils, cheveux, squames), ainsi que dans les produits de soins personnels (p. ex. antisudorifique, crème).
Plus d’une centaine de SPD ont été identifiés dans l’eau et dans l’air intérieur des piscines3, dont les trichloramines. Hautement volatiles, mais plus lourdes que l’air, les trichloramines se retrouvent majoritairement dans l’air à la surface de l’eau dans la zone respirable des usagers4. Elles ont d’ailleurs été associées à des symptômes respiratoires et irritatifs chez les nageurs de haut niveau5, ces derniers passant beaucoup de temps dans l’environnement des piscines intérieures et étant ainsi davantage exposés aux SPD. Similairement, une autre étude réalisée au Québec a démontré que les sauveteurs qui passent beaucoup de temps dans les piscines couvertes présentent davantage de symptômes respiratoires et irritatifs par rapport à ceux qui les fréquentent moins5.
Divers facteurs influencent la formation des chloramines dans l’eau et dans l’air intérieur des piscines. Outre les aspects liés à la qualité de l’eau (p. ex. hygiène des baigneurs, désinfection, renouvellement de l’eau, etc.), le nombre d’activités pratiquées (baignade, éclaboussures, plongeons) et le nombre de fonctionnalités (p. ex. glissades, fontaines, etc.) augmentent la formation de chloramines, ces éléments ayant une influence sur l’agitation de l’eau et la taille des surfaces mouillées sujettes à l’évaporation6.
Il est généralement attendu que les concentrations de contaminants chimiques dans l’air des installations intérieures soient plus élevées que celles de l’air extérieur. Dans le cas des piscines extérieures, les SPD, telles les trichloramines, peuvent se diluer dans l’atmosphère alors que, pour les piscines intérieures, les contaminants volatils peuvent plus difficilement s’en échapper et y deviennent ainsi plus concentrés. Du côté des spas, ils présenteraient des concentrations plus élevées de SPD par rapport aux piscines en raison de la température élevée de l’eau, de l’agitation de l’eau ainsi que du nombre d’usagers par rapport au volume d’eau7. Ainsi, tant dans les installations de piscines que de spas intérieurs, la conception et l’utilisation adéquates d’un système de ventilation permettrait d’extraire l’air vicié au profit de l’air frais provenant de l’extérieur.
Résumé des recommandations de l’ASHRAE
Contrôle de l’humidité relative et de la température ambiante
Selon l’ASHRAE1, un contrôle étroit de l’humidité relative, entre 50 et 60 %, devrait être ciblé. En effet, une humidité relative trop élevée augmente les risques de prolifération des moisissures, qui peuvent entraîner des dommages au bâtiment. Elles peuvent aussi conduire à des effets sur la santé des occupants8, bien que cet aspect ne sera pas abordé ici. De plus, une humidité relative en dessous de 50 % peut augmenter le processus d’évaporation de la piscine et la demande en déshumidification, engendrant ainsi une consommation d’énergie importante. Dans le même ordre d’idée, la température ambiante devrait pouvoir être contrôlée, idéalement à une valeur équivalente ou au-dessus de celle de l’eau (sans dépasser 30 °C), de manière à minimiser l’évaporation et les coûts d’opération, tout en assurant le confort des occupants.
Ventilation
La ventilation dans les piscines joue plusieurs rôles, notamment prévenir la condensation sur les surfaces et la corrosion des matériaux, réduire les contaminants présents dans l’air (p. ex. les trichloramines) et amener de l’air frais dans la zone respirable des baigneurs et des spectateurs6.
Selon le manuel de l’ASHRAE1, les taux de ventilation tels que prescrits dans le standard 62.1 (qui vise les nouvelles constructions, les ajouts ou certaines modifications à des bâtiments existants)9 devraient permettre d’obtenir une qualité de l’air intérieur acceptable dans la plupart des piscines publiques, soit celles dont le chlore est utilisé comme désinfectant primaire. Elles pourraient toutefois être insuffisantes pour des parcs aquatiques ou des piscines très achalandés. Les besoins en apport d’air frais sont donc très variables et doivent être évalués selon les caractéristiques de l’installation (p. ex. présence d’équipements particuliers, hauteur des plafonds) et les activités qui y sont pratiquées (p. ex. achalandage, éclaboussures, etc.)6. Bien que des taux de changements d’air à l’heure (CA/h) de 4 à 6 CA/h dans l’espace piscine et de 6 à 8 CA/h dans l’espace spectateurs soient recherchés, ceux-ci peuvent s’avérer inadéquats dans certains contextes.
L’organisme précise également que de l’air frais devrait être dirigé dans la zone respirable, au niveau de la surface de l’eau et de la promenade, soit dans la zone comprise entre 75 et 1 800 mm (ou entre 0,075 et 1,8 m) à partir du sol (voir figure 1). De l’air frais devrait également être dirigé vers les surfaces sujettes à la condensation. Quant aux grilles de sorties d’air, elles devraient être localisées de manière à maximiser la capture des contaminants et leur expulsion à l’extérieur.
Figure 1 - Zone respirable dans les piscines intérieures selon l’ASHRAE
Il importe enfin de maintenir en tout temps une pression négative dans l’enceinte de la piscine afin d’éviter que l’humidité et les odeurs ne migrent dans les autres locaux du bâtiment. Cette recommandation s’applique aussi aux locaux destinés à l’entreposage des produits chimiques servant au traitement de l’eau, ces derniers devant être conservés dans un emplacement à part, bien ventilé et sous pression négative.
La situation au Québec et ailleurs au regard de la ventilation des piscines intérieures
Au Québec, le Code de construction n’établit pas d’exigences spécifiques pour les installations de ventilation des piscines intérieures, tant en ce qui concerne leur conception et leur construction que leur opération. Le Guide d’exploitation des piscines et autres bassins artificiels du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques10 (ci-après « le Guide ») énonce néanmoins certaines recommandations visant à maintenir une qualité de l’air intérieur adéquate dans les installations de piscine et des autres bassins artificiels. Par exemple, il est recommandé de maintenir un taux de ventilation supérieur à 20 m3/h/usager en tout temps. Il y est également précisé que la ventilation des locaux où sont entreposés les produits chimiques devrait être assurée par un système indépendant.
De son côté, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a proposé en 2012 de classer les piscines dans les « bâtiments à pollution spécifique » en vertu du Code du Travail et d’assurer un taux de ventilation d’au moins 60 m3/h/usager11. Pour l’espace occupé par une piscine et la promenade, le standard 62.1 de l’ASHRAE spécifie que le taux de ventilation minimal dans la zone respirable devrait être de 2,4 L/s/m29. Les autres organisations consultées sont peu spécifiques à l’égard des bonnes pratiques de ventilation et attestent simplement qu’une ventilation adéquate est nécessaire12,13.
Traitement de l'eau et hygiène des baigneurs
L’ASHRAE1 rappelle que la ventilation ne peut être l’unique façon de réduire les chloramines dans l’air intérieur. En effet, s’appuyer sur la ventilation seulement peut s’avérer coûteux, voire inefficace. En complément de la ventilation, des interventions visant à réduire la formation de chloramines s’avèrent tout aussi importantes.
À cet égard, un aspect non négligeable à observer est l’hygiène des baigneurs. L’ASHRAE recommande ainsi que tous les baigneurs prennent une douche avant de faire leur entrée dans l’eau, dans le but de retirer notamment les huiles produites par le corps. De plus, il est suggéré d’aller à la salle de bains toutes les heures, cette mesure permettant de réduire les concentrations d’urine dans l’eau1.
L’organisme atteste également que la fréquence des changements d’eau est tributaire de la réduction des matières organiques présentes. Il mentionne en outre que l’utilisation d’ozone ou de lampes moyenne pression UV comme mesure de désinfection primaire contribue à réduire les concentrations de chloramines, étant donné la réduction de l’utilisation du chlore. Cependant, ces méthodes de traitement de l’eau ne permettent pas d’obtenir des concentrations résiduelles suffisantes pour assurer la qualité microbiologique de l’eau. Conséquemment, le chlore demeure nécessaire comme désinfectant secondaire1.
Il est à noter que l’utilisation des UV comme méthode de traitement dans les piscines soulève certains questionnements, selon l’objectif visé par leur utilisation. À ce sujet, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) mentionnent que l’efficacité des UV comme moyen de désinfection est bien démontrée (notamment à l’égard de l’inactivation du protozoaire Cryptosporidium), mais que leur effet sur le contrôle des SPD l’est beaucoup moins14. L’ANSES émet aussi certaines réserves sur l’utilisation des UV comme déchloraminateurs, puisque la réaction avec les composés organiques présents est susceptible de former de nouvelles substances et d’augmenter les concentrations d’autres composés déjà présents, comme le chloroforme11,15,16.
Autres facteurs d’intérêt
L’ASHRAE1 énonce également d’autres facteurs d’importance pour assurer une qualité de l’air intérieur adéquate dans les installations de piscines, par exemple les composantes de l’enveloppe et des conduites d’air. En effet, celles-ci doivent résister à la corrosion chimique causée, entre autres, par les trichloramines6. L’enveloppe du bâtiment doit de plus être suffisamment isolée et exempte de ponts thermiques.
Conclusion
Ce nouveau chapitre de l’ASHRAE sur la qualité de l’air intérieur des piscines et des autres bassins artificiels atteste de la pertinence d’assurer un contrôle approprié de l’humidité relative et de la température ambiante de ces bâtiments. Il énonce également l’importance que la ventilation de ces installations soit conçue, installée et opérée de façon adéquate pour maximiser son efficacité. Agir directement sur les facteurs responsables de la formation des SPD, dont l’hygiène des baigneurs et les traitements appliqués, est un autre aspect majeur à tenir compte pour le maintien d’une bonne qualité de l’air intérieur de ces installations. Ces facteurs s’avèrent donc tout autant d’éléments clés pour s’assurer que la population puisse profiter des bienfaits de la baignade tout en minimisant son exposition aux contaminants présents dans l’air intérieur.
Références
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