La violence et la maltraitance comme problème de santé publique
L’intérêt scientifique pour la maltraitance envers les enfants n’est pas récent. Les premiers écrits pédiatriques perses datant de l’an 900 relataient déjà des cas d’abus physique et sexuel. À travers les siècles, de manière plus ponctuelle, on retrouve d’autres cas répertoriés dans les ouvrages médicaux [1]. Puis, au XIXe siècle, Ambroise Tardieu, un médecin français, tente de faire reconnaître pour la première fois à la communauté scientifique l’ampleur des différentes formes que peut prendre la maltraitance infantile [2]. Or, les mœurs de l’époque, qui considéraient les problèmes familiaux comme du domaine privé et les enfants comme des objets de droit – sur lesquels les adultes détiennent des droits –, n’étaient pas propices à faire reconnaître cette réalité comme un problème social. Il faudra attendre le XXe siècle pour que la maltraitance soit considérée comme un problème nécessitant la mise en place de services spécifiques. Cette reconnaissance est officiellement attribuée à Henry Kempe avec la parution du livre sur le syndrome de l’enfant battu en 1962 [3]. Elle survient dans un contexte alors marqué par la reconnaissance des enfants comme sujets de droit avec la Déclaration des droits de l’enfant de 1959, précurseure de la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Organisation des Nations Unies en 1989, par l’essor des nouvelles approches de pédagogie prônées, entre autres, par Montessori, Berge et Spock [4], ainsi que par le mouvement d’émancipation des femmes qui dénonçaient de plus en plus publiquement la violence familiale [5].
À partir de ce moment, la maltraitance envers les enfants est devenue un sujet d’étude et de préoccupation qui a progressivement mené à la production d’un large bassin de connaissances, à l’élaboration de lois et de politiques et à la création de services préventifs à visée universelle, sélective et indiquée (voir tableau 7). Le développement des connaissances a permis de rendre compte non seulement de l’ampleur des différentes manifestations d’abus et de négligence et de leur complexité étiologique, mais aussi de leurs impacts sur le développement des enfants, menant la communauté scientifique à identifier la maltraitance envers les enfants comme un réel problème de santé publique [6–8]. Au Québec plus particulièrement, c’est la publication du rapport Bouchard [9] qui a permis de mettre à l’agenda des préoccupations politiques la prévention de l’abus et de la négligence envers les enfants. En 1992, la Politique de la santé et du bien-être (PSBE) reconnaissait l’importance du problème de la violence et de la négligence envers les enfants, et proposait d’en réduire l’incidence durant les 10 ans suivant sa publication. Cette préoccupation a ensuite été réitérée dans le cadre des priorités du Programme national de santé publique en 1997 (1997-2002) [10], puis en 2003 (2003-2012) [11]. Depuis, le Programme national de santé publique ne reconnait plus explicitement la maltraitance comme un problème sociosanitaire et ne formule pas d’objectif préventif en lien avec ce problème, mais adopte davantage une stratégie globale de développement des enfants et des jeunes [12].