Veille analytique en périnatalité, octobre 2024

Les articles présentés dans ce bulletin de veille abordent différents aspects de la santé en contexte périnatal et de la petite enfance.

Inégalités sociales de santé

Australie — Réduire les inégalités sociales en adaptant les interventions selon le niveau de littératie en santé : résultats d’une analyse par grappes

Contexte

La littératie en santé réfère à la capacité d’une personne à accéder, comprendre évaluer, se souvenir et utiliser une information liée à la santé pour son bien-être et celui de son entourage. La littératie en santé est un déterminant social de la santé. Le Health Literacy Questionnaire (HLQ) évalue le niveau de littératie en santé selon neuf dimensions : 1) se sentir compris par les professionnels de la santé; 2) détenir assez d’information pour s’occuper de sa santé; 3) s’occuper activement de sa santé; 4) avoir la capacité d’accéder à du soutien social pour des besoins liés à la santé; 5) évaluer de l’information en santé; 6) disposer d’habiletés à interagir avec les professionnels de la santé; 7) naviguer dans le système de santé; 8) avoir l’habileté pour trouver de la bonne information sur la santé et 9) comprendre l’information de manière à pouvoir l’appliquer.

Les auteurs émettent l’hypothèse qu’une simple analyse descriptive des données provenant du HLQ (ex. : le calcul de la moyenne) masque l’hétérogénéité des scores de littératie selon les neuf dimensions et mène à des interventions mur à mur (one size fits all), c’est-à-dire des interventions qui peuvent ne pas répondre aux besoins de certains groupes de la population, et qui par ailleurs, peuvent exacerber les inégalités.

Objectif et méthode

L’objectif de cette étude est de comprendre plus finement la littératie en santé de différents sous-groupes de la population, dans le but de soutenir la mise en place d’interventions pertinentes. Une analyse statistique en grappes a été réalisée.

Ce type d’analyse vise à maximiser l’homogénéité des scores de littératie à l’intérieur d’une même grappe, tout en maximisant l’hétérogénéité entre les différentes grappes. Pour que les auteurs considèrent une grappe et l’identifient comme telle, elle doit être suffisamment homogène dans les forces et les difficultés en littératie des individus qui la composent pour que des interventions visant à soutenir spécifiquement ce groupe puissent être pertinentes à mettre en place. En guise d’exemple, l’analyse en grappe pourrait permettre de distinguer deux grappes dont l’une serait composée d’une forte proportion de personnes vivant en milieu rural, et l’autre d’une forte proportion de personnes vivant en milieu urbain. Les résultats de l’analyse conduiraient à des interventions (ex. : en termes d’accès aux soins) adaptées à la réalité de chacun de ces groupes de populations.

Les participants du Health Literacy Survey (HLS) ont été recrutés via le National Health Survey (NHS) 2017-2018. Au total, 5 790 Australiens ont répondu au questionnaire téléphonique. Les données sur la littératie en santé ont été couplées aux données sociodémographiques et sur l’état de santé du NHS. Pour la présente étude, seules les données des participants de deux régions ont été utilisées, soit Victoria (n = 923) et New South Wales (n = 1018).

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • Les résultats démontrent que les Australiens ont généralement un bon soutien social et soutien de santé, qu’ils sont confiants de l’accès et de la compréhension qu’ils ont de l’information en santé. Toutefois, ils ont plus de difficulté à évaluer l’information en santé.
  • On note une différence entre les deux régions concernant le score moyen de littératie en santé. Il est un peu plus élevé à Victoria qu’à New South Wales.
  • L’analyse par grappes permet d’aller plus loin, et démontre l’hétérogénéité de la littératie en santé chez les Australiens. Pour New South Wales, onze grappes représentant différentes tendances de littératie en santé ont émergé des analyses alors qu’il est question de douze grappes pour Victoria.
  • Dans chacune des régions, six grappes démontrent une littératie en santé élevée, et ont des caractéristiques similaires. Les autres grappes ont une littératie plus faible, et représentent des réalités différenciées et uniques (six grappes à Victoria et cinq grappes à et New South Wales).
  • À New South Wales, la grappe la plus importante représente 19,2 % de la population participante et regroupe des individus confiants en leur habileté à interagir avec les professionnels de la santé, à naviguer dans le système de santé et à comprendre l’information en santé, mais qui ne s’occupent pas activement de leur santé. Cette grappe a la deuxième plus grande proportion de personnes à faible revenu.
  • À Victoria, la grappe la plus importante représente 25,4 % de la population participante et ne présente pas de grande force ni de grande faiblesse dans l’ensemble des dimensions de littératie en santé. Cette grappe, que les auteurs identifient comme étant des gens qui « ne pensent pas trop à leur santé pour le moment » a la plus grande proportion de personnes à faible revenu.
  • La plus petite grappe de Victoria représente 1 % des participants et les personnes y ont des difficultés à avoir du soutien en santé, à accéder et comprendre l’information, mais tentent de s’occuper activement de leur santé. De cette grappe, 80 % des participants vivent avec des maladies chroniques, un surpoids ou de l’obésité.

Limites

  • L’analyse par grappe ne permet pas d’identifier les éléments qui engendrent les différences entre les grappes. 
  • L’analyse par grappe demeure subjective en ce sens que les auteurs décident des critères pour distinguer les grappes.

Cheng, Christina, et al. Measuring Health Literacy to Inform Actions to Address Health Inequities: A Cluster Analysis Approach Based on the Australian National Health Literacy Survey. Journal of Public Health, Aug. 2024, p. fdae165.

Étude de la portée (scoping review) — Effet de la littératie en santé sur la prévention des issues défavorables de la grossesse chez les populations socio-économiquement défavorisées ou appartenant à une minorité ethnique

Contexte

La littératie en santé réfère à la capacité d’une personne à accéder, comprendre et utiliser les informations de santé pour prendre des décisions éclairées pour sa santé. Une faible capacité à comprendre les informations de santé et à interagir avec les professionnels de santé peut conduire à des résultats de santé sous-optimaux, notamment pendant la grossesse, où l’engagement avec les services de santé est crucial pour la santé maternelle et fœtale. Ainsi, une faible littératie en santé peut être associée à un risque accru d’issues défavorables de la grossesse.

Objectif et méthodes

Une recension de la littérature sous forme d’étude de la portée (scoping review) a été réalisée. L’analyse visait un double objectif : 1) documenter la littératie en santé chez les femmes provenant de milieux socio-économiques défavorisés et de minorités ethniques, 2) estimer les effets d’interventions d’éducation à la santé susceptibles d’améliorer la littératie en santé sur les issues défavorables de la grossesse, chez ces populations.

Deux catégories d’études ont été incluses pour répondre respectivement aux deux objectifs : des études non interventionnelles (c’est à dire des études qualitatives, enquêtes, études observationnelles), et des études interventionnelles (de type études randomisées contrôlées principalement). Ces dernières ont fait l’objet d’une méta-analyse. Au total 41 documents, publiés entre 2020 et 2024, ont été inclus dans la revue.

La littératie en santé a été définie telle que référant à trois composantes : 1) la connaissance de la santé, des soins de santé et des systèmes de santé; 2) le traitement et l’utilisation des informations sous diverses formes en lien avec la santé et les soins de santé; et 3) la capacité à maintenir la santé grâce à l’autogestion et au travail en partenariat avec les prestataires de soins de santé.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • De façon générale, on constate une faible littératie en santé maternelle et néonatale chez les populations visées par l’étude, notamment : faible connaissance des signes de danger pendant la grossesse; connaissance limitée des complications à la naissance et de leur gravité; manque de sensibilisation aux facteurs de risque tels que l’infection à la syphilis, le travail physique intense ou la prise de médicaments nocifs pour le fœtus; connaissance limitée de l’importance de l’espacement optimal entre les naissances, de l’exercice physique, d’une alimentation de qualité et de la gestion de la glycémie pour les femmes atteintes de diabète gestationnel.
  • Ces constats pourraient s’expliquer par différents facteurs dont le faible niveau de scolarité, les barrières linguistiques, la méconnaissance des services de santé et les difficultés d’accès à ces services, la recherche d’informations auprès de sources non officielles (proches, Internet) qui peuvent entrer en contradiction avec les services avec les conseils des professionnels de santé.
  • Dix interventions d’éducation à la santé ont été recensées dans les études interventionnelles. La plupart étaient des interventions mises en place dans la communauté, où les femmes acquéraient des connaissances en santé de manière proactive à travers des discussions et développaient des stratégies pour résoudre les problèmes identifiés. Plusieurs interventions impliquaient la distribution de matériel d’enseignement, notamment des brochures d’information. Dans une des interventions, une application multilingue (via téléphone intelligent) était utilisée, et permettait d’interagir avec des sages-femmes formées à la communication interculturelle.
  • Les résultats de la méta-analyse révèlent que les actions d’éducation à la santé mises en place ne sont pas associées à une réduction significative des risques de mortinaissances, de mortalité maternelle ou néonatale chez les populations visées par l’étude. Les auteurs appellent à explorer des approches innovantes (en développant notamment la littératie numérique) susceptibles d’améliorer la littératie en santé et la santé maternelle et néonatale.

Limites

Les auteurs ont noté que cette revue porte spécifiquement sur la littératie d’un point de vue personnel et ne considère donc pas le rôle des organisations, malgré leur responsabilité de faciliter l’accès à l’information en matière de santé. Des recherches sur ce sujet sont nécessaires pour identifier des pistes d’actions susceptibles d’améliorer la littératie en santé maternelle et néonatale.

Kim J, Heazell AEP, Whittaker M, Stacey T, et Watson K. Impact of health literacy on pregnancy outcomes in socioeconomically disadvantaged and ethnic minority populations: A scoping review. Int J Gynaecol Obstet. 2024 Aug 22. doi: 10.1002/ijgo.15852.

Parentalité

Étude de portée — Les besoins des femmes en période postnatale

Contexte

La période postnatale est une période qui implique une série de changements physiques, émotionnels, et sociaux. C’est pourquoi elles ont besoin d’informations et de soutien pour vivre de manière positive cette transition à la parentalité. Néanmoins, elles ne reçoivent pas toujours les informations pertinentes et le soutien dont elles ont besoin pour composer avec leur condition postpartum. Lors des consultations avec les professionnels de la santé, l’accent serait davantage mis sur les besoins du bébé, selon les femmes.

Objectif et méthode

Sous forme d’examen de portée, les auteures proposent de répertorier la connaissance scientifique sur les besoins des femmes en période postnatale.

Pour réaliser leur examen de portée, les deux auteures ont consulté les bases de données bibliographiques MEDLINE Complete, MedicLatina, et CINAHL et repéré des articles publiés de 2017 à 2023 répondant à la question suivante : Quelle est l’étendue des connaissances sur les besoins des femmes durant la période postnatale? Les auteures ont sélectionné un corpus de 27 articles pour réaliser leur examen de portée.

Qu’est-ce que l’on y apprend?

Selon les 27 études, à devis qualitatif, quantitatif, mixte et revues de la littérature, identifiées par les auteures, les femmes en postpartum présentent quatre catégories de besoins : 1) de soutien, 2) de partage, 3) d’information et de formation sur les soins, et 4) de préparation pour la période postnatale.

  • Besoin de soutien. Les femmes en postpartum ont besoin du soutien d’une personne significative, de leur famille, d’amies, et de professionnels de la santé pour obtenir de l’aide au quotidien et des marques de réconfort et d’empathie (ex. : validation et reconnaissance de leurs habiletés en tant que parent, avoir un espace pour être écoutée et exprimer leurs inquiétudes dans leur rôle de parent, obtenir de l’aide à domicile pour l’entretien ménager, etc.). Un tel soutien permet aux femmes de se concentrer sur leur nouveau-né et sur leurs propres besoins.
  • Besoin de partage. Les femmes en postpartum présentent le besoin de partager l’expérience de la naissance de leur enfant, leurs émotions, leurs expériences de la parentalité, et leurs doutes en matière de compétences parentales. Ce besoin de partage se fait sentir non seulement avec des professionnels de la santé, mais aussi auprès de groupes de soutien de femmes présentant la même réalité.
  • Besoin d’information et de formation sur les soins. Les femmes en période postnatale présentent plusieurs besoins d’information et de formation en lien avec le postpartum (ex. : soin et hygiène des seins, ajustements aux changements physiologiques et physiques, soins des lochies, problème d’incontinence, soins des sutures du périnée/épisiotomie, récupération physique après l’accouchement, adaptation psychologique, sexualité, etc.). L’environnement de soin doit considérer en continu les besoins des femmes en postpartum au même titre que ceux du bébé.
  • Besoin de préparation. Les femmes ont besoin d’être mieux préparées à l’expérience du postpartum. Les femmes et leur partenaire ont notamment besoin d’être préparés aux risques, signes et symptômes de la dépression postpartum. Dans le besoin de préparation, il est mentionné de procurer aux femmes l’opportunité de développer et pratiquer des compétences parentales et de préparer le partenaire à prodiguer des soins et du soutien émotionnel aux femmes.

Conclusion 

Selon les auteures, les articles analysés mettent en lumière que les femmes ne se sentent pas bien préparées pour composer avec la période postnatale et que plusieurs des besoins des femmes ne sont pas comblés par l’entourage immédiat et l’environnement de la santé et des services sociaux. Dans cette perspective, il est essentiel que les femmes obtiennent davantage d’information sur leur santé en postpartum et qu’elles aient accès à des formations aux compétences parentales afin d’améliorer leur vécu en cette période de transition à la parentalité et celle du postpartum.

Sendas, M. V. et Freitas, M. J. (2024). The needs of women in the postpartum period: A scoping review. Midwifery, 136, 104098.

Revue systématique — Le retour au travail après un congé de maternité

Contexte

Plusieurs pays accordent, aux femmes qui donnent naissance à un enfant, un congé qui protège l’emploi. Le retour au travail peut toutefois représenter une période difficile pour les femmes, au cours de laquelle des défis liés à la conciliation entre la vie personnelle et professionnelle peuvent surgir. Ces difficultés peuvent ajouter des difficultés supplémentaires pendant la période postpartum.

Objectif et méthode

L’objectif de cette publication était d’explorer l’expérience des femmes concernant le retour au travail après un congé de maternité. Une revue systématique de la littérature publiée sur le sujet au cours des dix dernières années a été réalisée. Les études primaires incluses dans la revue provenaient principalement de l’Amérique du Nord, d’Asie de l’Est et du Pacifique, et quelques-unes de l’Europe, de l’Afrique et d’autres régions de l’Asie. Les auteures notent également une diversité dans la typologie des études : quantitatives, qualitatives et mixtes. Au total, 52 études primaires ont permis de documenter les expériences des participantes. L’évaluation de la qualité méthodologique des études sélectionnées a révélé que toutes les études étaient de qualité acceptable.

Qu’est-ce qu’on y apprend? 

Les auteures regroupent l’expérience des femmes concernant le retour au travail après un congé de maternité en quatre catégories : 1) l’équilibre travail-vie personnelle; 2) la santé mentale et physique des femmes; 3) le bien-être lié à l’emploi et l’expérience de travail; et 4) l’allaitement.

  • Après leur retour au travail, les femmes signalent souvent des difficultés à concilier le travail et la famille.
  • Selon les expériences recensées, la santé mentale et physique des femmes serait liée à la durée de congé, ainsi qu’au soutien des collègues et du superviseur. Par exemple, un congé de durée prolongée et le soutien approprié peuvent influencer les niveaux de stress et les symptômes d’anxiété et de dépression chez les femmes.
  • Se sentir valorisée au travail, vivre une expérience positive de retour au travail, travailler pour le plaisir, ainsi qu’avoir accès à des conditions favorables à l’allaitement influencent le bien-être lié à l’emploi.
  • Plusieurs aspects liés au retour au travail peuvent constituer des obstacles à l’allaitement exclusif ou à la poursuite de l’allaitement : une durée plus courte du congé de maternité, une charge de travail élevée et l’absence de politiques soutenant l’allaitement. En revanche, le soutien du partenaire et de la famille, ainsi que la possibilité pour les pères de travailler selon des horaires flexibles, peut favoriser l’initiation et la durée de l’allaitement.

Limites

Les auteures ont identifié quelques limites à cette revue systématique pouvant limiter la possibilité de généraliser des résultats. Tout d’abord, elles soulignent que les participantes aux études primaires ont des caractéristiques hétérogènes et proviennent de différents milieux socioculturels. Ensuite, l’hétérogénéité des méthodes de recherche et des instruments de mesure utilisés dans les études peut aussi exercer une influence sur les résultats. Enfin, certains résultats importants peuvent avoir été omis, car seules les études publiées en anglais ont été incluses dans la revue.

Franzoi IG, Sauta MD, De Luca A, et Granieri A. Returning to work after maternity leave: a systematic literature review. Arch Womens Ment Health. 2024 Apr 5. doi: 10.1007/s00737-024-01464-y. Epub ahead of print. PMID: 38575816.

Habitudes de vie

Canada — La Société canadienne de pédiatrie et le jeu risqué extérieur : favoriser le sain développement de l’enfant tout en considérant le potentiel de blessures 

Contexte

Le jeu libre est une activité essentielle au développement de l’enfant, et c’est également un droit fondamental reconnu par la Convention des Nations Unies. Le jeu libre pratiqué à l’extérieur comporte des risques, mais les avantages seraient plus importants que les inconvénients. Or, la tendance généralisée à prendre des précautions de plus en plus importantes pour assurer la sécurité des enfants dans les milieux de vie et au domicile entraîne un déplacement du jeu risqué extérieur vers des activités plus sédentaires. Cela pourrait nuire au sain développement de l’enfant et donner lieu à des problèmes de santé comme l’obésité ou l’anxiété. La Société canadienne de pédiatrie (SCP) préconise une approche plus équilibrée entre les avantages du jeu risqué extérieur pour la santé mentale et physique, et la prévention des blessures.

Objectif de l’étude

Les documents de principes provenant de la SCP s’adressent aux pédiatres et aux professionnel(‑le)s de la santé, aux intervenant(-e)s et aux parents. Ils se basent sur la littérature scientifique pour présenter des recommandations stratégiques, des conseils cliniques, ainsi que des liens vers d’autres ressources. Le document de principes dont il est question ici vise à sensibiliser aux avantages du jeu risqué extérieur et à encourager les échanges constructifs sur le sujet. Pour ce faire, il décrit les aspects du jeu à prendre en compte pour faire des choix éclairés selon le stade développemental de l’enfant. Il propose également des ressources supplémentaires et des outils.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • Le jeu risqué est une forme de jeu libre dont le résultat est incertain et qui comporte une possibilité de blessure physique. Le jeu risqué se produit souvent à l’extérieur ou en nature, car ces contextes offrent de multiples possibilités créatives pour les enfants. Par exemple, le jeu turbulent (pratiquer l’escrime avec des bâtons), le jeu par procuration (ressentir de la fébrilité à regarder d’autres enfants se livrer au jeu risqué), le jeu en hauteur (grimper, se suspendre, sauter) sont des formes de jeu risqué pratiqué à l’extérieur.
  • Afin que le jeu risqué extérieur soit bénéfique, il est important de distinguer la notion du risque à celle de danger. Lorsque l’enfant identifie la difficulté dans une situation et peut évaluer ses habiletés à réussir, il s’agit d’un risque. Par exemple, l’enfant qui grimpe dans un arbre et évalue la hauteur jusqu’à laquelle il est à l’aise de monter prend un risque. Le danger est présent lorsque le potentiel de blessures dépasse la capacité d’évaluation de l’enfant. Par exemple, la présence d’une branche d’arbre pourrie qui pourrait se casser, mais que l’enfant ne peut pas voir représente un danger. Dans tous les cas, jouer dans un environnement dangereux comme une rue achalandée ne représente pas une occasion de jeu risqué.
  • Les publications scientifiques récentes appuient une approche équilibrée entre le risque et le danger et soulignent plusieurs avantages documentés sur la santé. Ainsi, le jeu risqué extérieur est associé à une augmentation de l’activité physique et une diminution du temps sédentaire; à une meilleure capacité de résolution de conflits entre les enfants; et à l’adoption de stratégies d’adaptation efficaces qui permettent de diminuer l’anxiété. Par ailleurs, les blessures occasionnées par le jeu risqué extérieur sont généralement mineures comme les bleus et les bosses, et les traumatismes plus importants comme les commotions cérébrales sont plus souvent associées aux sports organisés.

Recommandations

Dans le but de favoriser le sain développement de l’enfant, la SCP suggère aux adultes d’assurer la sécurité nécessaire plutôt que la sécurité à tout prix, et d’adopter une plus grande tolérance au risque. Des recommandations à deux niveaux sont proposées :

  • Les pédiatres, les professionnel(-le)s et les intervenant(-e)s peuvent ajouter des informations sur les avantages du jeu risqué lorsqu’ils conseillent les parents sur les saines habitudes de vie. Ils peuvent également suggérer le jeu risqué extérieur comme activité physique afin de prévenir des conséquences négatives sur la santé comme l’obésité. Finalement, ils peuvent aider les parents à trouver l’équilibre entre les occasions de jeu risqué extérieur, la diminution d’une supervision rapprochée, et la capacité d’intervenir en cas de danger.
  • Les décideurs peuvent transmettre aux acteurs impliqués auprès des enfants et des familles les données probantes sur les avantages du jeu risqué extérieur. Ils peuvent également favoriser le respect des normes de sécurité obligatoires dans les milieux de vie. Finalement, il est important de poursuivre la recherche et la formation sur les avantages du jeu risqué extérieur et les façons d’optimiser les occasions de le pratiquer.

Beaulieu, E. et Beno, S. (2024). Le développement sain de l’enfant par le jeu risqué extérieur : un équilibre à trouver avec la prévention des blessures. Paediatrics & Child Health, 29(4), 262‑269.

Canada — Lien entre le temps d’usage de la tablette des jeunes enfants et l’expression de la colère et de la frustration

Contexte

La période de la petite enfance est importante pour le développement des habiletés de régulation des émotions. Une précédente étude dirigée par l’auteure principales démontrait que le temps d’écran à 3 ans et demi est associé à la tendance à exprimer de la colère et de la frustration à 4 ans et demi. Or, si l’usage des écrans influence l’expression de la colère et de la frustration, les parents d’enfants ayant plus de difficultés de régulation émotionnelle tendent également à laisser leurs enfants utiliser les écrans comme moyen pour se calmer. Par ailleurs, l’usage de la tablette chez les jeunes enfants est maintenant répandu, et le temps qui y est consacré a fortement augmenté dans les dernières années. Par conséquent, cet appareil soulève de plus en plus de questionnements, notamment parce que son usage a été associé à des difficultés de régulation émotionnelle chez les tout-petits.

Objectif et méthode

Cette étude longitudinale avait pour objectif de déterminer si le temps passé à utiliser la tablette contribue à l’expression de la colère et de la frustration, et vice-versa, de l’âge de 3 ans et demi à l’âge de 5 ans et demi. Les auteurs font l’hypothèse qu’il existe certaines associations dans les deux cas, c’est-à-dire que le temps d’usage de la tablette influence l’expression de la colère et de la frustration, et que cette expression influence le temps d’usage de la tablette.  

Les données ont été obtenues dans le cadre d’une étude menée de 2020 à 2022 en Nouvelle-Écosse. L’échantillon de convenance était composé au départ de 315 enfants. Des données ont été recueillies à trois temps de mesure, soit 3 ans et demi, 4 ans et demi et 5 ans et demi.

Les parents ont rapporté le temps d’usage de la tablette de leur enfant aux trois temps de mesure en complétant le Media Assessment Questionnaire. Cet instrument mesure le temps d’écran (ex. : jamais, moins de 30 minutes, 30 minutes à une heure, une heure à deux heures, etc.). Les parents ont également complété le Children’s Behavior Questionnaire – Short Form aux trois temps de mesure pour évaluer la colère et la frustration.

Les données obtenues aux différents temps de mesure ont été comparées entre elles pour chaque enfant (within-person). Ainsi, les comparaisons n’ont pas été réalisées entre les enfants (between-person), pour éviter l’influence de facteurs confondants comme le sexe de l’enfant et le statut socioéconomique de la famille. 

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • Un temps d’usage de la tablette plus élevé que la moyenne à 3 ans et demi est associé de façon significative à une expression plus importante de la colère et de la frustration à 4 ans et demi. L’inverse n’est pas vrai, c’est-à-dire qu’une expression plus importante de la colère et de la frustration à 3 ans et demi n’est pas associée à un temps d’usage de la tablette plus élevé que la moyenne à 4 ans et demi. Ce résultat permet d’affirmer que la tablette a un effet sur la colère et la frustration, et non l’inverse.
  • Une expression de la colère et de la frustration plus importante à 4 ans et demi est associée de façon significative à un temps d’usage de la tablette plus élevé à 5 ans et demi. L’inverse n’est pas vrai, c’est-à-dire qu’un temps d’usage de la tablette plus élevé à 4 ans et demi n’est pas associé à une expression plus importante de la colère et de la frustration à 5 ans et demi. Ce résultat permet d’envisager que la colère et la frustration amènent les parents à laisser la tablette plus souvent à leur enfant.
  • Les auteurs concluent que l’usage de la tablette de 3 à 5 ans pourrait entraîner un cycle nuisible à la régulation émotionnelle. Dans un premier temps, l’usage pourrait être associé à une expression plus fréquente et intense de colère et de frustration. Dans un deuxième temps, les parents pourraient utiliser plus souvent la tablette pour amener l’enfant à réguler ses émotions de colère et de frustration.
  • Les auteurs expliquent que les enfants apprennent à réguler leurs émotions par deux mécanismes, à savoir le soutien émotionnel des parents et l’observation de la régulation émotionnelle que font leurs parents eux-mêmes. L’usage fréquent de la tablette, que ce soit simplement pour le divertissement ou comme stratégie parentale de retour au calme, pourrait les priver d’occasions d’apprentissage de la régulation émotionnelle.

Limites

Les auteurs ont identifié quelques limites à leur étude : 1) les participants forment un échantillon de convenance qui n’est pas représentatif de la population en général; 2) ils ont été observés en contexte pandémique, et pas exactement au même moment de l’année; le contexte sanitaire et les saisons ont pu influencer sur la fréquence d’usage de la tablette et les émotions des enfants; 3) la mesure du temps d’écran est rapportée par les parents, ce qui n’est pas toujours fiable, et implique des catégories de durée plutôt qu’une durée précise; 4) les variations de contextes personnels (ex. : le changement de la santé mentale d’un parent), qui peuvent être des facteurs confondants, n’ont pu être pris en considération. 

Fitzpatrick, C., Pan, P. M., Lemieux, A., Harvey, E., Rocha, F. de A. et Garon-Carrier, G. (2024). Early-Childhood Tablet Use and Outbursts of Anger. JAMA Pediatrics.

Rédacteurs

Stéphani Arulthas 
Emilie Audy 
Marie-Ève Bergeron-Gaudin 
Andréane Melançon 
Louise Pouliot
Mouctar Sow

Sous la coordination de

Julie Laforest, chef d’unité scientifique

Mise en page

Marie-Cloé Lépine, agente administrative

Équipe Périnatalité et petite enfance
Unité Santé et bien-être des populations
Direction du développement des individus et des communautés


L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Vous pouvez également consulter la méthodologie de la veille scientifique en périnatalité.