Veille scientifique : lutte contre le tabagisme, volume 14, numéro 2, juillet 2024
Dans ce numéro de veille scientifique de l’équipe tabagisme de l’INSPQ :
- Perception des coût associés à l'achat de produits de vapotage avec nicotine comparativement à ceux liés à l'achat de cigarettes
- Interventions de renoncement au tabac basées sur le téléphone portable : sont-elles efficaces chez les adolescents et les jeunes adultes?
- Évolution des ventes de produits du tabac et autres produits de nicotine aux États-Unis de 2018 à 2022
- Interventions non-réglementaires pour prévenir l’usage de la cigarette électronique chez les jeunes âgés de 21 ans et moins : une revue systématique
- L’effet du permis tarifé sur la densité des points de vente de tabac en Californie
- Cessation tabagique : changer et ajuster le traitement à mi-parcours avec la varénicline et les thérapies de remplacement de la nicotine
Dans cette veille, l’équipe tabagisme sélectionne et résume les publications scientifiques récentes qu’elle juge les plus pertinentes au travail des acteurs du réseau de santé publique œuvrant dans le domaine de la lutte contre le tabagisme.
Perception des coûts associés à l’achat de produits de vapotage avec nicotine comparativement à ceux liés à l’achat de cigarettes
Contexte
Les politiques en matière de prix (taxation, restrictions en matière de promotion sur les prix) ont démontré leur efficacité pour réduire l’usage du tabac ou de produits de vapotage (PDV). Il est également considéré que le maintien du prix des PDV à un niveau inférieur à celui des produits du tabac peut avoir comme bénéfice d’amener certains fumeurs à adopter le vapotage, pratique généralement considérée comme moins nocive que le tabagisme. Actuellement, peu de connaissances existent sur les perceptions des consommateurs par rapport aux coûts associés aux différents produits de nicotine et en quoi cela affecte leur décision d’achat.
Objectif
L’étude visait à mesurer les perceptions d’adultes américains par rapport au coût des PDV avec nicotine comparativement au coût des cigarettes de tabac. Des analyses ont également été effectuées pour vérifier la présence d’associations entre les perceptions et certaines variables de croisement, soit les taxes sur le tabac ou les PDV, les patrons d’usage de cigarette ou de PDV, le type de PDV utilisé, ainsi que diverses caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, ethnicité, revenu du ménage). Les données utilisées proviennent de trois vagues de l’enquête International Tobacco Control Four Country Smoking and Vaping (ITC 4CV), réalisée en 2016 (n = 2 838), 2018 (n = 2 937) et 2020 (n = 2 528). Le total de participants inclus dans les analyses est de 7 736.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- De 2016 à 2020, environ 39 % des fumeurs et des vapoteurs aux États-Unis considéraient que les PDV étaient moins chers que les cigarettes, 23 % pensaient que leur prix était similaire, 19 % pensaient que les PDV étaient plus chers, et 20 % ne savaient pas.
- Le fait qu’il y ait ou non des taxes sur les PDV n’affectait pas de manière significative les perceptions du coût comparatif des PDV et des cigarettes. Toutefois, des taxes plus élevées sur les cigarettes contribuaient à une augmentation significative de la probabilité de considérer que les PDV et les cigarettes coûtaient le même prix (p < 0,05).
- Comparativement aux vapoteurs quotidiens, les vapoteurs occasionnels et les non-vapoteurs étaient :
- moins susceptibles de penser que les PDV sont moins chers que les cigarettes;
- plus susceptibles de penser que les PDV coûtent le même prix que les cigarettes;
- plus susceptibles de penser que les PDV sont plus chers que les cigarettes;
- plus susceptibles de ne pas savoir lequel des deux produits est le plus cher.
- Comparativement aux fumeurs quotidiens, les anciens fumeurs récents (moins de deux ans) et les non-fumeurs étaient plus susceptibles de penser que les PDV sont moins chers que les cigarettes.
- Comparativement aux vapoteurs utilisant des PDV jetables, les vapoteurs utilisant des PDV à cartouches préremplies et ceux utilisant des systèmes à réservoir étaient plus susceptibles de penser que les PDV sont moins chers que les cigarettes.
- Une augmentation de 10 % des taxes étatiques sur les cigarettes rendait les fumeurs non-vapoteurs plus susceptibles de penser que les PDV et les cigarettes coûtent le même prix.
- Une augmentation de 10 % des taxes étatiques sur les cigarettes rendait les vapoteurs non-fumeurs moins susceptibles de penser que les PDV sont plus chers que les cigarettes.
Cette étude suggère que le niveau de taxes sur les cigarettes affecte les perceptions des fumeurs et des vapoteurs par rapport au coût comparatif des deux produits. Il est donc possible que les taxes sur le tabac, outre leur contribution directe à la réduction de la prévalence du tabagisme, aient comme effet secondaire de faire transitionner certains fumeurs vers les PDV.
Des limites à l’interprétation des résultats sont toutefois relevées par les auteurs. L’étude ne tient pas compte des taxes locales sur les cigarettes ou les PDV, ce qui pourrait entraîner une sous-estimation de l’effet des taxes sur les cigarettes par rapport aux perceptions des répondants. Les auteurs considèrent toutefois que cette limite a peu d’impact sur la mesure de l’effet des taxes spécifiques aux PDV, étant donné que ces dernières sont peu répandues aux États-Unis. Mentionnons également que l’étude ne tient pas compte de l’impact des autres réglementations sur le tabagisme et le vapotage, et que les données employées ne couvrent pas la période de 2021 à 2024. Compte tenu des récentes évolutions des PDV disponibles sur le marché, il est possible que les perceptions reflétées dans l’étude ne correspondent pas à la situation actuelle.
He Y, Liber A, Driezen P, Thompson ME, Levy DT, Fong GT, et al. How do users compare the costs between nicotine vaping products and cigarettes? Findings from the 2016-2020 International Tobacco Control United States surveys. Addiction 2024;119:885-897.
Interventions de renoncement au tabac basées sur le téléphone portable : sont-elles efficaces chez les adolescents et les jeunes adultes?
Contexte
Malgré les stratégies de prévention d’initiation au tabagisme mises en place par les autorités sanitaires, les jeunes ont encore accès aux produits du tabac et développent une dépendance à la nicotine. Bien qu’il y ait certaines indications dans la littérature à l’effet que les interventions de renoncement par téléphonie mobile pourraient constituer une alternative prometteuse auprès de la population générale, leur efficacité demeure à être démontrée chez les jeunes. Étant donné l’usage très répandu du téléphone portable chez les jeunes, les données sur l’efficacité des interventions de renoncement au tabac par messagerie texte ou par application mobile s’avèrent très pertinentes à l’élaboration de stratégies visant à favoriser le renoncement au tabac chez les adolescents et jeunes adultes fumeurs.
Objectifs
L’objectif de la présente étude était de déterminer l’efficacité des interventions de renoncement au tabac basées sur le téléphone portable chez les jeunes (messagerie texte et applications mobiles).
Les auteurs ont recensé 13 essais contrôlés randomisés publiés entre 2013 et 2022 sur les interventions de renoncement au tabac (9 études sur les interventions par messagerie texte et 4 études sur les interventions par application mobile). Les participants (N = 27 240) étaient des fumeurs quotidiens ou occasionnels âgés de 16 à 30 ans, provenant des États-Unis (5 études), de la Chine (2 études), de la Suède (2 études), du Canada (1 étude), de la Suisse (1 étude) ou de la Thaïlande (1 étude). Une étude a été réalisée en ligne et pouvait inclure des participants d’autres pays que ceux précédemment nommés. Le risque de biais était estimé faible pour deux études, élevé pour trois études et modéré pour le reste des études prises en considération. Les interventions variaient de 5 jours à 6 mois, durant lesquels les groupes témoins de la plupart des études étaient soumis à une condition contrôle inactive (absence de traitement, envoi de messages texte non reliés à l’abandon du tabac, distribution de matériel d’auto-assistance au renoncement). Une étude a fourni au groupe témoin une version réduite de l’application mobile d’aide au renoncement, et une autre étude fournissait au groupe témoin l’accès à du counseling en renoncement au tabac prodigué par un pharmacien.
Les méta-analyses effectuées dans les études retenues ont été réalisées pour mesurer l’abstinence tabagique continue et l’abstinence ponctuelle de 7 jours, en fonction de périodes de suivi d’un, trois et six mois selon les études.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- L’intervention de renoncement au tabac par messagerie texte a significativement amélioré le taux d’abstinence continue chez les fumeurs comparativement à ceux ayant été assignés au groupe contrôle (Rapport de risque [RR] = 1,51; IC 95 % 1,24-1,84; 5 études combinées). Ce constat s’applique aux trois périodes de suivi prises en considération, soit un mois (RR = 1,90; IC 95 % 1,29-2,81; 3 études combinées), trois mois (RR = 1,64 IC 95 % 1,23-2,18; 5 études combinées) et six mois (RR = 1,35; IC 95 % 1,04-1,76; 3 études combinées).
- L’intervention de renoncement au tabac par application mobile n’a pas produit d’effet significatif sur le taux d’abstinence continue (RR = 1,27; IC 95 % 0,51-3,15; 2 études combinées, forte hétérogénéité).
- L’intervention par messagerie texte a significativement amélioré le taux d’abstinence ponctuelle de 7 jours (RR = 1,83; IC 95 % 1,34-2,48; 7 études combinées). Ce constat s’applique à deux des trois périodes de suivi considérées, soit un mois (RR = 1,72; IC 95 % 1,13-2,63; 2 études combinées) et trois mois (RR = 2,54; IC 95 % 2,05-3,14; 4 études combinées).
- L’intervention par application mobile n’a pas démontré d’effet significatif sur le taux d’abstinence ponctuelle de 7 jours (RR = 1,27; IC 95 % 0,69-2,34; 3 études combinées). Une analyse de sensibilité ayant retiré une étude à haut risque de biais indique par contre un effet significatif de l’intervention (RR = 1,86; IC 95 % 1,41-2,46; 2 études combinées).
Les méta-analyses contenues dans cette revue systématique suggèrent que les interventions de renoncement au tabac par messagerie texte sont efficaces chez les jeunes, alors que les preuves concernant les interventions par application mobile ne sont pas concluantes. Les auteurs ont constaté une hétérogénéité considérable parmi les études s’étant intéressées aux applications mobiles, et il doit être noté qu’un nombre important d’études se basaient sur l’abstinence autodéclarée plutôt que sur une validation biochimique. À la lumière des résultats obtenus, il semble actuellement y avoir un important besoin d’obtenir davantage de données de haute qualité sur l’efficacité des interventions par application mobile, cette avenue d’intervention pouvant potentiellement rejoindre une clientèle plus réfractaire aux interventions traditionnelles.
Zhou X, Wei X, Cheng A, Liu Z, Su Z, Li J, et al. Mobile phone-based interventions for smoking cessation among young people: Systematic review and meta-analysis. JMIR Mhealth Uhealth 2023;11:e48253.
Évolution des ventes de produits du tabac et autres produits de nicotine aux États-Unis de 2018 à 2022
Contexte
Parmi les stratégies de mise en marché et de vente des produits du tabac, de vapotage et de nicotine, le prix demeure l’une des plus importantes. La variation des prix à la baisse, au moyen de promotions et d’offres spéciales, est liée à une plus forte consommation chez certains groupes d’individus, dont les adolescents et les jeunes adultes. Inversement, une augmentation des prix par l’entremise de taxes contribue à une réduction de l’usage de ces produits.
Objectif
Afin de déterminer la part de marché détenue par chacun des différents produits du tabac, de vapotage et de nicotine, l’étude s’intéresse aux variations trimestrielles des ventes de ces produits dans des dépanneurs américains sur une durée de cinq ans, soit de janvier 2018 à décembre 2022. Cinq catégories de produits sont constituées pour comparer les parts de marché qu’elles occupent et leur prix de vente moyen (incluant les taxes et des ajustements pour tenir compte de l’inflation) : les cigarettes, les cigares et les cigarillos, les produits de tabac sans fumée (comme le tabac à mâcher), les cigarettes électroniques et les produits modernes de nicotine à consommer oralement (modern oral nicotine products), comme les pochettes de nicotine, qui sont apparus sur le marché dans les dernières années.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- Les produits du tabac (cigarettes, cigares et tabac sans fumée) occupent plus de 93 % des parts de marché pendant toute la période analysée. Toutefois, la place qu’ils occupent décroît significativement chaque trimestre jusqu’à la fin de 2022. La cigarette demeure le produit le plus vendu avec plus de 60 % des ventes en 2022, malgré une baisse de près de neuf points de pourcentage depuis 2018.
- La part de marché occupée par les cigarettes électroniques a significativement augmenté durant la période, avec une hausse particulièrement rapide en 2018 et malgré un ralentissement en 2022. La vente de produits modernes de nicotine à consommer oralement a quant à elle connu une hausse constante.
- À l’exception des produits modernes de nicotine à consommer oralement, dont le prix est resté stable entre 2018 et 2022, les autres catégories de produits ont connu une hausse de prix au cours de la même période. Les cigarettes électroniques ont connu une baisse de prix unitaire moyen en 2019 avec l’arrivée sur le marché des dispositifs jetables à prix moins élevé, mais leur prix de vente s’est ensuite accru à partir du deuxième trimestre de 2021 jusqu’à la fin de 2022.
- La vente de cigares et cigarillos arrive au deuxième rang en termes de nombre total d’unités vendues et demeure le produit disponible au plus bas prix durant toute la période analysée. Ce produit est largement offert en plusieurs saveurs et en plus petits paquets (3 unités ou moins) sur le marché américain, ce qui peut être particulièrement attrayant pour les jeunes.
Bien que la cigarette constitue toujours le produit du tabac le plus vendu aux États-Unis, sa part de marché a diminué au cours des dernières années. Ceci indique une diversification des ventes de produits de nicotine dans les dépanneurs, et un accroissement de l’intérêt des consommateurs pour la cigarette électronique et les produits modernes de nicotine à consommer oralement comme les pochettes de nicotine.
La préoccupation exprimée par les auteures par rapport aux fortes ventes de cigares ou de cigarillos aromatisés ne trouve pas écho au Québec, l’usage de ce type de produit ayant grandement diminué à la suite de l’interdiction de vente de produits du tabac aromatisés en 2016. Il doit toutefois être considéré que le faible prix des petits paquets de cigares et cigarillos aux États-Unis semble avoir favorisé la consommation de ces produits, soulignant le lien important qui existe entre le prix et l’usage de produits contenant de la nicotine.
Ganz O, LaVake M, Hrywna M, King Jensen JL, Delnevo C. National trends in sales and price for commercial tobacco and nicotine products, 2018-2022. JAMA Netw Open 2024;7(3):e241384.
Interventions non-réglementaires pour prévenir l’usage de la cigarette électronique chez les jeunes âgés de 21 ans et moins : une revue systématique
Contexte
Au-delà de la réglementation municipale, provinciale et fédérale visant à prévenir l’initiation au vapotage chez les jeunes (p. ex. : âge légal d’achat, restrictions en matière de saveurs), des interventions ciblées aux niveaux individuel, scolaire et communautaire ont été mises en œuvre. Il demeure toutefois un besoin d’évaluer systématiquement quelles interventions non-réglementaires sont les plus efficaces pour éviter que les jeunes s’initient au vapotage.
Objectif
Cette revue systématique vise à synthétiser les données probantes sur l’efficacité des interventions individuelles, scolaires et communautaires visant à prévenir l’initiation à la cigarette électronique chez les individus âgés de moins de 21 ans. Des résultats secondaires comme la connaissance et la perception des risques liés au vapotage, connus comme étant des prédicteurs de l’initiation, ont également été examinés.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
Les auteurs ont repéré 16 225 articles publiés entre 2004 (année où les cigarettes électroniques sont apparues sur le marché) et 2022 dans cinq bases de données et la littérature grise. De ce nombre, 39 publications réalisées entre 2015 et 2022 et répondant aux critères de sélection ont été retenues, soit neuf essais contrôlés randomisés et 30 études d’intervention non randomisées, avec des devis variés.
Les auteurs rapportent les résultats spécifiques à chacun des trois niveaux d’intervention :
- Individuel (14 interventions) :
- La surveillance parentale perçue (n = 4; p. ex. : connaissance des déplacements, activités et amitiés du jeune ou établissement de règles) était associée à une diminution de la probabilité d’utilisation de la cigarette électronique. Toutefois, puisque les études recensées ont utilisé un devis transversal, il est impossible d’inférer une relation causale.
- Les jeux vidéo (n = 3) et les messages texte (n = 2) comme outils d’intervention ont amélioré les connaissances et les attitudes anti-vapotage des jeunes. Néanmoins, ils ont eu des effets mitigés sur l’intention d’initiation au vapotage, ce qui pourrait notamment s’expliquer par une faible susceptibilité préintervention ou la courte durée de suivi post-intervention.
- Les interventions des professionnels de la santé (n = 2) ont eu un effet mitigé sur les connaissances et les attitudes face au vapotage et présentaient un risque de biais élevé.
- Les messages d’avertissement (n = 3) sur les méfaits à la santé et la dépendance à la nicotine ont accru les perceptions négatives du vapotage.
- Scolaire (19 interventions)
- Cinq interventions relevaient de politiques d’établissement liées à l’interdiction du vapotage, et 14 interventions étaient axées sur l’éducation et les compétences. Ces dernières comprenaient notamment des présentations, des groupes de pairs aidants ainsi que des programmes de compétences socio-émotionnelles et de prévention du vapotage.
- Dans l’ensemble, les interventions éducatives et les politiques anti-vapotage ont eu des résultats mitigés en matière de prévention de l’initiation ou de réduction des intentions d’usage de la cigarette électronique.
- Les programmes de compétences socio-émotionnelles et ceux ayant recours aux pairs aidants ont montré des résultats prometteurs, bien qu’ils n’aient chacun évalué qu’un seul résultat.
- Communautaire (6 interventions)
- Aucune preuve concluante n’indique que les interventions sur les médias sociaux (n = 3) et les campagnes médiatiques (n = 3) préviennent l’initiation à la cigarette électronique.
- Par contre, la plupart des interventions communautaires ont accru la connaissance des risques et la perception des méfaits du vapotage et ont généralement diminué les intentions d’essayer.
À la lumière de ces résultats, les interventions non-réglementaires mises en œuvre au Québec afin d’empêcher les jeunes de s’initier au vapotage pourraient cibler les parents afin de les outiller à avoir une surveillance adéquate auprès de leur enfant. Des efforts pour continuer à déployer des programmes scolaires visant le développement de compétences socio-émotionnelles chez les jeunes et des programmes ayant recours à des pairs aidants pourraient également être mis de l’avant.
Il demeure utile de continuer à documenter les interventions non-réglementaires afin de mieux discerner quels en sont les effets sur la prévention de l’initiation à la cigarette électronique chez les jeunes. À ce sujet, il apparaît nécessaire que plus d’études employant une méthodologie rigoureuse (p. ex. : essais contrôlés randomisés, devis longitudinaux) soient réalisées pour étayer les observations émises dans la revue systématique.
Mylocopos G, Wennberg E, Reiter A, Hébert-Losier A, Filion KB, Windle SB, et al. Interventions for preventing e-cigarette use among children and youth: A systematic review. Am J Prev Med 2024;66(2):351-370.
L’effet du permis tarifé sur la densité des points de vente de tabac en Californie
Contexte
L’accessibilité physique des produits du tabac est un déterminant connu de leur usage. De plus, la densité des points de vente de tabac tend à être plus élevée dans les quartiers défavorisés, où l’on retrouve également des prévalences plus élevées de tabagisme. Un des moyens pour encadrer le nombre de points de vente consiste à imposer aux détaillants l’obtention d’un permis tarifé pour vendre des produits du tabac. En Californie, état américain précurseur de la lutte contre le tabagisme, cette mesure est obligatoire depuis 2003. En 2016, le prix de ce permis est passé de 100 $US payable une seule fois à 265 $US annuellement. Par ailleurs, en plus du permis exigé par l’État, les municipalités ont la possibilité de renforcer la mesure en développant leur propre système de permis tarifé, une mesure adoptée dans différents milieux.
Objectif
Cet article a pour objectif de documenter l’association entre la hausse du tarif du permis en 2016 et la densité de points de vente de produits du tabac en Californie, en fonction des caractéristiques des quartiers (défavorisation socioéconomique, diversité ethnique). La démarche adoptée a impliqué la recension des points de vente de l’État pour la période entre 2011 et 2020. Des analyses de régression segmentées de séries temporelles interrompues (segmented regression analysis of interrupted time series) ont été effectuées pour évaluer l’impact de l’augmentation du coût du permis. Les analyses tiennent compte de municipalités ayant imposé un tarif annuel avant 2016, et de la hausse de taxes sur les produits du tabac en 2017.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- La densité des points de vente de tabac en Californie, soit le nombre par 10 000 habitants, est passée de 14,5 à 12,7 à la suite de la hausse du tarif en 2016, soit une diminution significative de 12,4 % (p < 0,01). Cette diminution correspond à une réduction de six points de vente chaque deux ans dans un quartier de 100 000 habitants.
- Bien qu’une diminution de la densité fût déjà observée avant la hausse du tarif en 2016, cette tendance s’est légèrement accentuée à partir de 2016.
- Cette diminution s’observe tant dans les quartiers favorisés que défavorisés, de même que dans les quartiers à prédominance hispanique, afro-américaine ou mixte comparativement aux quartiers à prédominance caucasienne ou asiatique.
- La densité des points de vente demeure plus élevée dans les quartiers à faible revenu et à prédominance hispanique, afro-américaine ou mixte comparativement aux quartiers à prédominance caucasienne ou asiatique.
Les auteurs concluent que l’augmentation du tarif et l’imposition annuelle de celui-ci diminuent la densité des points de vente de tabac dans l’ensemble des milieux pris en considération, incluant les milieux défavorisés et ceux où l’on retrouve une importante proportion de population d’origine afro-américaine ou hispanique. Ces mesures comportent aussi d’autres avantages. Par exemple, les revenus générés par la délivrance des permis peuvent être dédiés au financement des activités entourant l’application de la loi, et l’octroi de permis implique l’existence d’une liste à jour des points de vente pouvant être utilisée par les autorités municipales pour encadrer leur emplacement.
L’étude comporte cependant certaines limites. La plus importante est l’absence de prise en compte des autres mesures adoptées au fil des années pour restreindre l’accessibilité au tabac, celles-ci étant susceptibles d’expliquer les résultats observés. Ce pourrait être le cas, par exemple, de l’interdiction de vente dans les pharmacies de certaines municipalités. De plus, la hausse de l’âge légal pour acheter des produits du tabac (21 ans plutôt que 18 ans) pourrait avoir entraîné une diminution du nombre de détaillants.
He Y, Yang Q, Lu B, Shang C. The association between the license fee increase and the density of tobacco retailers in California – A segmented interrupted time-series analysis by income and race/ethnicity. Nicotine Tob Res 2024;26(2):177-184.
Cessation tabagique : changer et ajuster le traitement à mi-parcours avec la varénicline et les thérapies de remplacement de la nicotine
Contexte et objectif
La majorité des fumeurs veulent cesser de fumer, et chaque année plus de la moitié des fumeurs font une tentative, mais moins de 10 % réussissent. Peu d’études documentent les meilleures stratégies à adopter auprès des fumeurs qui font une tentative de renoncement après une rechute ou un échec en cours de traitement. Cette étude évalue, à partir d’un essai clinique randomisé, les effets d’un changement de médicament ou d’une augmentation de la dose pour les participants non-abstinents à mi-parcours. Deux options pharmacologiques parmi les plus efficaces sont utilisées : la varénicline et une combinaison de thérapies de remplacement de la nicotine à longue et courte durée d’action.
Méthodologie
Cet essai clinique a été réalisé auprès de 490 fumeurs, âgés de 18 à 75 ans, recrutés par des annonces placées dans les médias de la région de Houston au Texas entre juin 2015 et octobre 2019. Pour être admissibles, les participants devaient fumer au moins cinq cigarettes par jour (la moyenne était de 20). Le traitement s’échelonnait sur une période de 12 semaines. Les participants étaient assignés aléatoirement, et à double insu, pour recevoir un traitement de varénicline (2 mg par jour) ou une combinaison de TRN à longue (un timbre de 21 mg par jour) et courte durée d’action (pastilles de 2 mg à prendre au besoin, six étant recommandées). Les participants recevaient aussi un placebo de l’autre médicament. Ils participaient à cinq séances de counseling bref de 15 minutes pendant les six premières semaines, puis trois séances au cours des six semaines suivantes. L’abstinence continue de 7 jours était évaluée après six semaines, avec validation biochimique.
Au cours de la seconde phase (semaines 7 à 12), les participants abstinents continuaient avec le même traitement, à la même dose. Les participants n’étant pas abstinents étaient réaffectés aléatoirement à l’une de trois conditions : a) poursuite du traitement à la même dose; b) poursuite du même traitement, avec une dose plus élevée (soit 3 mg de varénicline ou deux timbres de 21 mg de nicotine + pastilles au besoin); c) réassignation à l’autre traitement, à la dose initiale.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
Après la première moitié du traitement (semaines 1 à 6), 22 % des participants (54 sur 245) qui utilisaient la combinaison de timbres et de pastilles (TRN) et 36 % des participants (88 sur 245) qui utilisaient la varénicline étaient abstinents et ont donc continué le même traitement. À la fin du traitement de 12 semaines, la majorité des participants était abstinente, soit 78 % de ceux ayant utilisé la combinaison de timbres et de pastilles (42/54) et 72 % de ceux ayant utilisé la varénicline (63/88).
Parmi ceux qui n’étaient pas abstinents à mi-parcours du traitement, soit après six semaines, le taux d’abstinence à 12 semaines selon le traitement suivi pour la deuxième moitié était de :
- 8 % (7/90) chez ceux ayant poursuivi le traitement de TRN aux mêmes doses (21 mg timbres + pastilles);
- 3 % (2/77) chez ceux ayant poursuivi avec la varénicline à la même dose (2 mg);
- 14 % (7/50) chez ceux ayant poursuivi le traitement de TRN avec une dose augmentée (42 mg timbres + pastilles);
- 20 % (8/39) chez ceux ayant poursuivi avec la varénicline à une dose augmentée (3 mg);
- 14 % (7/51) chez ceux ayant transité de la TRN à la varénicline, à la dose initiale (2 mg/jour);
- 0 % (0/41) chez ceux ayant été assignés à passer de la varénicline à la TRN, à la dose initiale (21 mg + pastilles).
Les résultats par rapport à l’abstinence continue de 30 jours, après la fin du traitement et 6 mois plus tard, suivent une tendance similaire bien que les différences soient moins marquées entre les conditions. Les auteurs recommandent d’interpréter ces résultats avec prudence en raison des limites de l’étude, et suggèrent de la répliquer avec de plus grands échantillons. Ils mentionnent par ailleurs que l’usage de varénicline à une dose de 3 mg par jour, de même que l’utilisation de deux timbres de 21 mg, constituent des prescriptions pour des indications non conformes (off-label prescribing) même s’il s’agit selon eux d’une pratique généralement considérée sécuritaire et adoptée par plusieurs cliniciens. Cette étude suggère qu’une vérification de l’abstinence à mi-parcours pourrait permettre un ajustement du traitement, augmentant ainsi les chances de succès chez les fumeurs qui font une démarche de renoncement au tabac.
Cinciripini PM, Green CE, Shete S, Minnix JA, Robinson JD, Cui Y, et al. Smoking cessation after initial treatment failure with varenicline or nicotine replacement: A randomized clinical trial. JAMA2024;331(20):1722-1731.
Rédacteurs
Benoit Lasnier, conseiller scientifique
Patrick Luyindula, conseiller scientifique spécialisé
Marianne Dubé, assistante de recherche professionnelle
Marie-Josée Harbec, conseillère scientifique spécialisée
Jacinthe Brisson, conseillère scientifique
Annie Montreuil, conseillère scientifique spécialisée
Équipe tabagisme
Direction du développement des individus et des communautés
Coordonnateur
Benoit Lasnier, conseiller scientifique
Direction du développement des individus et des communautés
Réviseur
Olivier Bellefleur, chef d’unité Produits et substances psychoactives
Direction du développement des individus et des communautés
Révision linguistique
Marie-Cloé Lépine, agente administrative
Direction du développement des individus et des communautés
L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Cette veille a été réalisée grâce à la participation financière du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS).