Les facteurs de risque et de protection associés à la violence en contexte scolaire
Devant la multitude de facteurs de risque et de protection associés à l’émergence et au maintien des conduites violentes à l’école, que relève la littérature scientifique actuelle, il s’avère éclairant de comprendre les processus dans et par lesquels ces facteurs agissent. En effet, il importe de bien comprendre comment les problèmes de comportement découlent généralement de processus développementaux enracinés dans les caractéristiques des individus, elles-mêmes en interaction tout d’abord avec le milieu familial, puis structurés au contact des autres environnements éducatifs, dont les services de garde et l’école [34]. Ce n’est qu’en considérant comment ces processus affectent la qualité de la socialisation et le bien-être des jeunes qu’il est possible d’identifier les meilleurs moyens de prévenir et de réduire les comportements violents.
Pour bien comprendre comment certains comportements d’agression directe et indirecte se développent et se maintiennent durant l’enfance, notamment en milieu scolaire, il convient de bien connaître un certain nombre de mécanismes qui jouent tout au long du processus de socialisation et qui contribuent au développement de trajectoires de conduite de plus en plus adaptées et intégrant les règles sociales (compétences sociales) ou, au contraire, menant à des conduites inadaptées, notamment sur le plan de l’agression. Ce sont les mêmes mécanismes qui agissent également dans le développement de problèmes d’adaptation lors des situations de victimisation. En effet, il est plus important de comprendre les processus et les mécanismes dans lesquels les comportements s’insèrent, car c’est à ce niveau que l’action éducative – tant celui des parents que celui de l’école (ainsi que les autres adultes significatifs) – peut faire toute la différence. Finalement, ces mécanismes et ces processus s’actualisent, à l’intérieur d’un environnement socio-éducatif qui contribue soit à leur renforcement, soit à leur dysfonctionnement. C’est donc un regard d’ensemble que nous proposons à la fin de la présente section, regard qui devrait permettre de cibler un certain nombre d’actions de nature préventive et éducative à mettre en œuvre à l’école.
Les recherches des 50 dernières années ont démontré que le bien-être psychologique d’un individu, sa capacité d’adaptation et sa résilience devant l’adversité ne dépendent pas d’un ou de deux facteurs, aussi importants soient-ils. En effet, dans l’analyse de la socialisation et de l’émergence des comportements d’agression directe et indirecte, les facteurs d’influence (de risque ou de protection) constituent des indicateurs du potentiel de développement des individus plutôt que des éléments diagnostics ou prédictifs définitifs.
Parmi ces influences comptent les facteurs individuels, soit un ensemble de caractéristiques propres à chaque individu, tels que l’agressivité, le fonctionnement du système nerveux central, le tempérament durant la petite enfance, les troubles du langage et le quotient intellectuel. Un bref survol des facteurs de l’environnement familial met en lumière l’importance de la disponibilité, de la sensibilité et de la capacité à répondre au besoin de l’enfant chez le parent, de même qu’à l’inconstance du soutien offert, au style disciplinaire autoritaire, à la précarité socio-économique et à la maltraitance. Finalement, un survol des facteurs d’influence de l’environnement scolaire permet de mettre en valeur la perception du climat scolaire, l’exposition à la violence, la relation avec les enseignants, la relation avec les pairs et les difficultés scolaires [34].
Les liens transactionnels (processus épigénétique) entre les gènes et l’environnement dans l’expression des conduites agressives
L’étude de la relation entre les comportements antisociaux, le bagage génétique et les caractéristiques du milieu dans lequel se développe l’enfant peut être approchée dans une perspective quantitative de l’influence génétique sur le comportement. À cet effet, la littérature scientifique rapporte qu’entre 40 % et 60 % de la variance dans l’expression des conduites antisociales à l’adolescence serait associée à des facteurs génétiques (voir Vitaro, Brendgen et Lacourse [45]). Par exemple, une récente étude longitudinale de grande échelle menée par Kretschmer, Vitaro et Barker auprès de jumeaux s’attarde à l’influence de certaines caractéristiques génétiques sur l’adoption de conduites agressives à la suite de l’association avec des pairs présentant eux-mêmes un profil comportemental antisocial. Cette étude montre que la génétique joue un rôle modérateur dans la relation positive entre les amitiés antisociales à l’âge de 10 ans et l’expression d’agressivité à l’âge de 15 ans [46].
Une autre étude récente menée par Vitaro et son équipe s’intéresse à la relation entre les caractéristiques individuelles des enfants, les conflits vécus au sein de dyades d’amis et les conduites d’agression physique. Les chercheurs ont démontré que les conflits entre amis à la maternelle sont positivement et directement associés aux conduites agressives au début du primaire pour les garçons uniquement. Cependant, indépendamment du sexe et de la présence de marqueurs génétiques d’agressivité, les habiletés à la résolution prosociale démontrées à la maternelle et la qualité de la relation d’amitié mitigent cette relation [47]. En somme, si certains individus peuvent être considérés comme plus à risque de développer des conduites problématiques sur le plan social de par leur bagage génétique, les trajectoires développementales sont aussi grandement modulées par les contextes sociaux, ce qui vient souligner le rôle crucial de la qualité des milieux éducatifs dans l’émergence et le maintien des conduites agressives ainsi que dans leur prévention et leur réduction.
L’influence de ces différents facteurs sur le comportement s’actualise cependant au travers du développement de mécanismes d’autorégulation socioémotionnelle par lesquels l’individu pourra développer les ressources lui permettant de s’adapter adéquatement aux différentes situations présentant pour lui des défis ou des risques [34]. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de ce chapitre, nous nous concentrerons plutôt sur le rôle joué par certains des processus développementaux associés à la socialisation et au bien-être des jeunes pouvant nous guider vers des actions de nature préventive et éducative pour contrer la violence à l’école.
L’expression des processus développementaux dans l’émergence des conduites agressives et de la victimisation
L’expression de conduites agressives et l’aggravation de problèmes associés à la victimisation sont toutes deux intimement liées à la construction des mécanismes d’autorégulation socioémotionnelle sous l’influence des facteurs de risque et de protection prépondérants. Dans de saines conditions, le niveau d’agressivité exprimée par les enfants à l’âge de deux à trois ans devrait être supérieur à celui exprimé à la fin de la période préscolaire [60]. Ce phénomène s’expliquerait par le processus de socialisation, l’encadrement offert par les parents et les éducateurs pour soutenir la structuration des mécanismes d’autorégulation socioémotionnelle et la disponibilité des modèles de conduite prosociale. Or, le développement d’un lien d’attachement non sécurisant entre l’enfant et l’adulte significatif conduirait souvent à l’adoption par l’enfant de modes opératoires inadaptés, facilitant au contraire l’accroissement des problèmes comportementaux (dont les réactions agressives à la perception des intentions d’autrui comme hostiles) et de problèmes de santé mentale (dont les troubles anxieux).
Les stratégies coercitives et punitives modélisées par les adultes peuvent également encourager les modes d’interaction réactifs et peu orientés vers la recherche d’une résolution gagnant-gagnant chez l’enfant [61]. Lorsque cet enfant tentera d’entrer en relation avec ses pairs, il risque de se trouver rapidement mis à l’écart par ses camarades mieux équipés sur le plan des habiletés sociales [62]. Ainsi, des pratiques éducatives faisant peu pour encourager les résolutions prosociales, même si elles découragent les conduites agressives directes, contribuent ultimement à promouvoir l’adoption par l’enfant de modes opératoires coercitifs.
Parallèlement, on doit considérer la tendance chez les adolescents à s’associer avec des pairs partageant un profil comportemental similaire au leur en ce qui a trait à l’adoption de conduites agressives ou à la victimisation subie [63]. Cette tendance peut contribuer à l’aggravation des difficultés comportementales, entre autres par le partage de normes et de croyances concernant l’acceptabilité de différentes conduites d’intimidation et leur contexte d’utilisation [64].
Les mécanismes de l’apprentissage social permettent ici de mieux comprendre comment se développent et se maintiennent les conduites d’intimidation en milieu scolaire. En effet, ces conduites se trouveraient souvent doublement renforcées, par la présence de retombées positives pour l’auteur au sein de son groupe social, et par l’absence d’intervention du milieu éducatif à la suite de l’expression des premières manifestations. L’auteur des agressions, renforcé dans son sentiment d’efficacité, aura alors tendance à agir avec plus d’assurance [65]. Or, ses conduites déviantes deviennent des modèles positifs pour l’entourage des pairs qui non seulement peuvent les apprendre par observation, mais également en conclure qu’ils sont adaptés et avantageux de les exprimer. Finalement, l’élève ciblé aura plutôt tendance à se replier sur lui-même, sous le poids des gestes subis et surtout de l’inaction de ceux, élèves comme adultes, qui pourraient l’aider [66]. En somme, si l’environnement socio-éducatif de l’école ne réagit pas promptement pour sanctionner et proposer des solutions positives aux conduites d’intimidation, celles-ci auront tendance à se reproduire et à teinter les interactions quotidiennes des élèves impliqués. Bien qu’il existe des interventions pour briser de tels cercles vicieux, il vaut toujours mieux chercher à les prévenir.