La gouvernance : des rôles et des responsabilités clairs
Les autorités doivent régulièrement faire face à des risques systémiques*, c’est-à-dire qui touchent ou proviennent de plusieurs systèmes (scientifiques, économiques, sociaux et politiques) en relation et pour lesquels différentes autorités sont interpellées.
La manière d’identifier, d’évaluer et de gérer les risques peut varier selon les institutions qui exercent leur autorité. C’est pourquoi l’identification claire de la gouvernance appropriée ainsi qu’une définition précise des responsabilités et des pouvoirs de chaque partenaire de gestion est absolument capitale avant le début de tout processus.
Les responsabilités et les moyens d'intervention prévus par la législation au Québec
Les autorités de santé publique sont le ministre de la Santé et des Services sociaux, le directeur national de santé publique et les directeurs régionaux de santé publique.
Le réseau de la santé inclut les principales instances de santé publique suivantes :
- le MSSS;
- les directions de santé publique au sein de Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et de Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS);
- l’INSPQ et ses laboratoires; soit le Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) et le Centre de toxicologie du Québec (CTQ).
Pour faire face aux risques à la santé de la population, plusieurs autres acteurs clés peuvent être impliqués, par exemple :
- des instances de soins et de services (préhospitaliers, santé physique et psychosociale, communication, etc.) du réseau de la santé;
- le ministère de la Sécurité publique (MSP) avec ses volets sécurité publique (policiers et pompiers) et sécurité civile (Organisation régionale de la sécurité civile (ORSC) et l’Organisation de la sécurité civile du Québec (OSCQ)) en cas de sinistres;
- la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) et l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité au travail (IRSST);
- le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), le ministère de l’Agriculture des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP);
- le ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MEESR);
- le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT);
- les municipalités;
- la Société d’habitation du Québec (SHQ) et la Régie du bâtiment du Québec (RBQ);
- la Sûreté du Québec (SQ);
- les entreprises privées.
Pour faire face aux risques, les responsabilités et les différents moyens d’intervention des autorités de santé publique sont définis dans la LSP.
Ainsi, pour des risques élevés et évitables de mortalité, d’incapacité ou de morbidité pour la population, les autorités de santé publique peuvent, si la situation le justifie, demander formellement l’aide d’acteurs clés en les interpellant directement13. Ce pouvoir est dit d’interpellation.
Pour gérer une menace14 (section Qu’est-ce qu’un risque à la santé de la population?), les autorités de santé publique disposent si nécessaire de pouvoirs d’enquête épidémiologique et des pouvoirs d’intervention qui en découlent. Ils incluent des pouvoirs d’ordonnance, de limitation de la mobilité des personnes, d’accès à l’information, de mobilisation des ressources des établissements de santé et des services sociaux et de déclaration d’état d’urgence sanitaire15.
Ces pouvoirs plus coercitifs s’appliquent lorsque les moyens de prévention généraux12 ou le pouvoir d’interpellation13 sont insuffisants pour gérer de façon satisfaisante la menace à la santé. L’urgence d’une situation, qui requiert une intervention de protection immédiate, pourrait aussi justifier rapidement l’utilisation de tels pouvoirs, même avant que la menace ne soit officiellement confirmée.
Au cours d’une enquête épidémiologique, certaines limites s’appliquent aux pouvoirs d’inspection et d’ordonnance des directeurs de santé publique lorsqu’un autre acteur clé (ministère, municipalité locale ou organisme) détient le même pouvoir en vertu d’une autre loi, règlement ou entente municipale16.
D’autres acteurs clés interviennent pour protéger la santé d’une population en fonction de la situation et des pouvoirs qui leur sont conférés par d’autres lois, notamment la Loi sur la sécurité civile, la Loi sur la santé et la sécurité du travail, la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur la qualité des aliments, la Loi sur les compétences municipales, la Loi sur le bâtiment, etc.
Figure 3 - Moyens d'intervention prévus par la Loi sur la santé publique (LSP)17 pour gérer les risques à la santé
Les modes de gestion des risques en santé publique
Dans le cas d’une menace réelle ou appréhendée, peu importe le contexte, c’est le mode de gestion « protection en santé publique » qui s’applique en premier lieu.
Dans le contexte d’un sinistre impliquant une menace à la santé de la population, le mode « protection» demeure actif, car le directeur de santé publique conserve ses responsabilités légales. Ce mode s’insère alors dans une dynamique plus large coordonnée par les partenaires de la sécurité civile.
Dans le cas d’un risque potentiel ou avéré qui ne constitue pas une menace pour la santé de la population, c’est le mode «prévention» qui est privilégié.
Les paragraphes suivants précisent davantage la gestion des risques pour la santé publique en modes « protection » et « prévention ».
Mode protection en santé publique
La gestion de la majorité des risques et des menaces à la santé relève essentiellement des autorités de santé publique en mode protection.
Un acteur clé important est alors la sécurité civile, responsable de la protection des personnes, des biens et de l’environnement en cas de sinistre. La sécurité civile dispose de mécanismes structurés de coordination et de concertation tant au niveau provincial qu’au niveau régional. Les responsables de la sécurité civile en santé et services sociaux favorisent la contribution concertée de tous les acteurs sans se substituer aux autorités de santé publique pour les interventions de protection que gèrent ces dernières. Les pouvoirs d’enquête épidémiologique détenus par la santé publique et les pouvoirs d’intervention qui en découlent, dont notamment le pouvoir de mobilisation des ressources des établissements de santé et des services sociaux, peuvent s’appliquer en présence d’une menace, peu importe le mode de gestion mis en place.
Le mode de gestion « sécurité civile au sein du réseau de la santé (mission santé) » permet d’activer les mécanismes de coordination en sécurité civile tout en conservant un leadership du côté de la santé publique. Ce mode de gestion est utilisé lorsque les moyens dont la santé publique dispose sont dépassés de façon significative ou si une contribution importante d’un grand nombre de directions du réseau de la santé est nécessaire.
Le mode de gestion « sécurité civile relevant du ministère de la sécurité publique (MSP) » peut quant à lui être activé dans un contexte de sinistre ou lorsque plusieurs ministères sont impliqués et détiennent certains des pouvoirs nécessaires pour gérer la situation. Ce mode de gestion implique toutefois lui aussi la participation de la santé publique en présence d’un risque ou d’une menace à la santé.
Mode prévention en santé publique
Lorsque la santé publique est interpellée, en mode prévention, par une situation qui implique un ou des acteurs clés externes au réseau de la santé, l’animation de la démarche de gestion des risques à la santé est sous la responsabilité de la santé publique, mais les décisions de gestion du risque relèvent de ces autres acteurs clés qui détiennent le pouvoir ainsi que les moyens d’intervention sur les causes de ces risques. La santé publique participe alors aux discussions avec ces autres acteurs clés, notamment pour favoriser la recherche de moyens d’intervention et l’adoption d’un échéancier de mise en œuvre adaptés à la situation.
Les autorités de santé publique peuvent aussi participer à une démarche intersectorielle au sein de laquelle elles évaluent les risques et conseillent une autre autorité responsable de la gestion des risques.
Les modes de gestion impliquant la sécurité civile ou la sécurité publique peuvent aussi s’appliquer en mode prévention dans un contexte de sinistre. Le rôle de la santé publique est alors de fournir une expertise-conseil sur les risques à la santé de la population.
La participation des parties prenantes
Pourquoi impliquer les parties prenantes?
Une gouvernance inclusive suppose que toutes les parties prenantes peuvent contribuer au processus et que leur participation améliore la décision finale plutôt que de freiner le processus d’analyse décisionnelle ou la qualité de son contenu scientifique (IRGC, 2012). Le principe d’ouverture invite à favoriser la participation des parties prenantes :
« La gestion des risques par la santé publique doit permettre aux parties intéressées et touchées de participer au processus afin qu’elles puissent exprimer leur point de vue, faire connaître leurs perceptions et leurs préoccupations face à la situation, contribuer à la recherche de solutions et influencer les décisions de gestion. » (INSPQ, 2003, p 26).
Plusieurs raisons justifient les efforts déployés pour encourager la participation des parties prenantes. En effet, selon le degré d’implication, une gouvernance inclusive permet de mieux comprendre les différentes perspectives en jeu tout en favorisant l’adoption d’une vision commune quant à la définition du problème, à l’estimation du niveau de risque et à l’évaluation des options. Autant que possible, elle aide aussi à s’entendre sur une solution adaptée au contexte et à la situation (IRGC, 2005).
« La participation du public donne l’opportunité de percevoir, d’identifier et de comprendre les sentiments et les émotions qui animent les personnes subissant les risques et de faire preuve d’empathie. Elle favorise également la convergence de la compréhension des multiples facettes du risque (vocabulaire, perception, estimation scientifique, etc.), et permet, le cas échéant, de réconcilier des interprétations contraires sur la nature, la gravité et la probabilité de survenue du risque et de combler les écarts de compréhension. Ce processus permet également d’évaluer l’acceptabilité sociale des risques, de l’option envisagée et du risque résiduel*. » (INSPQ, 2003, p 27).
Par ailleurs, la participation des parties prenantes facilite leur implication pour prendre des décisions éclairées et adopter des comportements adaptés ou mettre en œuvre des solutions efficaces pour réduire les risques.
« Les participants [ou parties prenantes] apportent également d’importantes informations permettant de concevoir des solutions appropriées et d’enrichir les connaissances de base servant à la prise de décision. L’identification des conditions gagnantes de la mise en œuvre des interventions, avec l’aide de ceux qui sont directement concernés, permet d’éviter de se heurter à des résistances au moment de leur mise en œuvre. Les participants [ou parties prenantes] sont plus enclins à accepter et mettre en œuvre des décisions de gestion de risque lorsqu’ils ont participé à leur élaboration. Mieux harmonisées avec les attentes de la société, les décisions sont implantées avec plus de succès et sont plus durables, générant du même coup des économies de temps et de coûts financiers pour la mise en œuvre des interventions. » (INSPQ, 2003, p 27).
Comment impliquer les parties prenantes?
Les niveaux et les modalités de participation des parties prenantes devraient être adaptés au risque et au contexte. Soulignons que
« selon la nature et l’ampleur du processus de participation mis en place, les coûts et le temps additionnel requis pour impliquer les parties [affectées ou] intéressées dans la gestion de risque peuvent se révéler considérables. Tant les autorités publiques que la population possèdent une capacité restreinte en termes de ressources pour entreprendre et mener à bien de tels processus de participation. Il convient donc d’établir des critères afin de déterminer, parmi l’ensemble des questions de gestion des risques, celles qui requièrent un engagement plus ou moins intensif de la part des citoyens. » (INSPQ, 2003, p 27).
Bref, le niveau et les modalités de participation devraient être adaptés
« au contexte de gestion des risques, en fonction notamment de la nature et de la sévérité du problème, de l’importance des controverses soulevées, de la possibilité pour les participants d’avoir une réelle influence sur la décision ainsi que des contraintes de temps et des ressources disponibles. » (INSPQ, 2003, p 27).
L’IRGC suggère de tenir compte du type de risque (simple, complexe, incertain ou ambigu) pour choisir le niveau approprié de participation des parties prenantes. D’autres situations peuvent cependant rendre souhaitable la participation élargie, car ce mécanisme demeure une mesure préventive de certains risques sociaux (INSPQ, 2010).
L’impossibilité ou les obstacles à la participation des parties affectées ne doit pas empêcher de considérer leurs éventuels points de vue. Toutefois, la participation des parties prenantes n’est pas toujours possible. À titre d’exemple, les générations futures qui pourraient être affectées par les conséquences de risques actuels ne sont pas en mesure de participer au processus décisionnel (Martel et al., 1993).