Nature des liens entre les types de violence
Facteurs de risque et de protection communs
Lorsqu’on aborde le phénomène de la violence de façon globale, il apparaît que plusieurs types et formes de violence partagent des facteurs de risque communs (ex. : inégalités entre les sexes, pauvreté, isolement social, consommation d’alcool) [8,18,19]. Parallèlement, un type de violence peut constituer un facteur associé à l’apparition d’autres expériences de violence plus tard dans la vie. Ainsi, la maltraitance subie dans l’enfance et l’adolescence, qui peut inclure l’exposition à la violence conjugale, est l’un des prédicteurs les plus robustes de la violence vécue et commise par la suite en contexte familial et conjugal [20]. Les premiers chapitres de ce rapport l’illustrent d’ailleurs de façon éloquente. Des facteurs de risque communs peuvent également être dégagés lorsqu’il est question d’une victimisation multiple vécue à un stade précis, par exemple à l’adolescence. [21] ont relevé un certain nombre de facteurs de risque présents chez des jeunes qui rapportaient plusieurs types de victimisation (violence familiale, intimidation, crimes contre les biens, etc.). Ils ont aussi découvert que le fait d’avoir plusieurs amis, donc une forme de soutien social, agissait comme facteur de protection pour les mêmes types de victimisation [21].
Figure 4 - Exemples de liens entre les types ou les formes de violence
Cooccurence
Il y a cooccurrence de la violence lorsqu’au moins deux formes (ex. : physique et psychologique) ou deux types de violence (ex. : maltraitance envers l’enfant et agression sexuelle) sont subis par une même personne au cours d’une période donnée. Cette période peut être brève (ex. : sur une période de six mois) ou s’étendre au cours d’un stade de la vie (ex. : pendant l’adolescence).
Plusieurs scénarios de cooccurrence de la violence peuvent être envisagés (figure 4). Elle peut survenir dans le même milieu (ex. : au sein de la famille) ou dans deux milieux différents (ex. : au sein de la famille et au travail).
Victimisation multiple : revictimisation, polyvictimisation et expériences adverses de l’enfance
La victimisation multiple est une autre façon de rendre compte de la nature des liens entre divers types de violence en intégrant une dimension temporelle. La victimisation multiple, tout comme la cooccurrence, se manifeste selon divers cas de figure (plusieurs formes et types de violence, plusieurs milieux, plusieurs auteurs ou épisodes, plusieurs stades de la vie, chronicité de la situation).
Parmi les victimisations multiples, la revictimisation est définie comme un épisode ou une série d’épisodes de victimisation physique, sexuelle, psychologique ou de négligence dans l’enfance ou l’adolescence (c’est-à-dire avant l’âge de 18 ans), suivi par au moins un autre épisode de victimisation à l’âge adulte [22]. Bien que non incluse dans cette définition, la revictimisation peut s’appliquer à une personne qui a vécu un épisode de violence à l’âge adulte et qui en revit après l’âge de 65 ans (aîné).
La polyvictimisation, quant à elle, réfère à plusieurs types de victimisation (ex. : mauvais traitements, violence physique, agression sexuelle et intimidation) plutôt qu’à la répétition d’épisodes d’exposition d’un seul type [23]. Elle peut survenir dans différents milieux de vie (au domicile, à l’école ou dans la collectivité) [24]. Cette notion permet de prendre en considération une large gamme d’expositions des enfants et des adolescents à la violence, et ce, sans égard à l’âge, au milieu ou à la période d’exposition. Les travaux de Finkelhor et ses collaborateurs ont montré que l’exposition à un type de violence était fortement associée à d’autres types de violence chez les jeunes [24].
Une étude réalisée auprès d’enfants et de jeunes Québécois âgés de 2 à 17 ans a montré que certains enfants sont exposés à une accumulation et à une diversité d’expériences de victimisation et d’événements négatifs dans plusieurs sphères de leur vie [25]. Selon les données de cette étude, 1 % des 2 à 5 ans, 4 % des 6 à 11 ans, 10 % des 12 à 14 ans et 17 % des 15 à 17 ans avaient vécu plus de sept victimisations.
L’exposition à plusieurs épisodes violents dans l’enfance et l’adolescence a aussi été étudiée à travers la notion des « expériences adverses de l’enfance ». Ces expériences comprennent différents événements ou caractéristiques de la vie d’un enfant susceptibles d’influencer négativement son développement et sa santé à l’âge adulte. Le questionnaire de l’étude initiale sur les expériences adverses de l’enfance – « Adverse Childhood Experiences (ACE) Study » – inclut les mauvais traitements (violence psychologique, physique et sexuelle), la négligence physique ou émotionnelle, l’exposition à la violence conjugale entre les parents et le dysfonctionnement familial (consommation abusive de substances dans la famille, perte d’un parent biologique, emprisonnement, problèmes de santé mentale ou suicide)2. Plusieurs études ont démontré un lien entre les différentes expériences adverses de l’enfance, ainsi qu’un lien entre ces dernières et les conséquences à long terme sur la santé et le bien-être des personnes [26–30].
Interrelation entre la violence subie et la violence commise
Il existe un consensus voulant que les enfants victimes de maltraitance dans l’enfance ou l’adolescence aient un risque accru d’adopter des comportements violents envers leurs propres enfants [31]. Lorsque ce phénomène se produit, on parle alors de transmission intergénérationnelle de la violence. Puisque la plupart des victimes de mauvais traitements dans l’enfance ne deviennent pas violentes envers leurs propres enfants [31], certains auteurs suggèrent plutôt de parler de la « continuité intergénérationnelle, soit la répétition de comportements maltraitants d’une génération à l’autre, et [de] la discontinuité intergénérationnelle, c’est-à-dire la cessation des comportements maltraitants entre deux générations » [32].
Plus globalement, des antécédents de violence dans l’enfance et l’adolescence constituent un facteur de risque de comportements violents à l’âge adulte, et ce, dans plusieurs sphères de la vie [19]. Voici quelques cas de figure non mutuellement exclusifs illustrant le cycle de transmission de la violence interpersonnelle :
- De victime dans l’enfance à parent qui commet des mauvais traitements à l’endroit de ses enfants;
- De victime dans l’enfance à personne qui commet de la violence à l’endroit de son conjoint ou de sa conjointe;
- De victime dans l’enfance à personne qui commet des actes de violence dans la collectivité, c’est-à-dire par l’adoption de comportements antisociaux [31].
En résumé
La nature des liens qui existent entre diverses formes et divers types de violence est complexe. La perspective des parcours de vie contribue à approfondir la compréhension de cette complexité. Qu’il s’agisse de transmission intergénérationnelle de la violence familiale ou de la revictimisation au cours de la vie, les études démontrent les liens à travers les stades de la vie quant à une trajectoire de victimisation violente, mais aussi dans le passage possible de victime à auteur de violence.
- Site Web The Adverse Childhood Experiences Study: A Springboard to Hope: http://www.acestudy.org (consulté le 23 février 2015).