Initiatives québécoises prometteuses
Entre 1999 et 2011, la diminution annuelle du taux de suicide au Québec a été tellement impressionnante, en comparaison avec les changements des taux ailleurs dans le monde, qu’on peut présumer que certaines actions préventives mises en œuvre ont causé cette réduction du suicide. En effet, les diminutions annuelles des taux de suicide ont eu lieu dans une période de développement rapide de diverses actions au Québec en ce qui a trait à la prévention du suicide : une offre de services par les centres de prévention du suicide; une présence accrue des messages sur l’aide disponible diffusés lors de la Journée mondiale et de la Semaine nationale de prévention du suicide par l’Association québécoise de prévention du suicide et d’autres organismes; une amélioration dans l’organisation des soins et services pour les troubles mentaux; l’établissement d’un numéro de téléphone sans frais pour l’aide aux personnes suicidaires; le développement d’un guide de bonnes pratiques en prévention du suicide; la formation d’intervenants; ainsi que plusieurs initiatives locales inspirées de la Stratégie québécoise d’action face au suicide de 1998. Diverses actions ont contribué à diminuer les suicides, et possiblement à modifier la « norme » au Québec où le suicide était perçu comme un moyen d’arrêter la souffrance, plutôt que comme un choix inacceptable compte tenu de l’aide disponible. Cependant, le taux de suicide étant influencé par tellement de facteurs de risque et de protection, et considérant les nombreux changements survenus au Québec (implantation de programmes, politiques, changements sociaux et interventions), il est impossible d’identifier précisément ce qui a entraîné les diminutions du suicide au Québec. Depuis la mise en œuvre de la Stratégie québécoise d’action face au suicide en 1998, de nombreux intervenants ont été formés pour intervenir auprès d’une personne suicidaire et, en 2010, on a produit et disséminé le Guide de bonnes pratiques à l’intention des intervenants des centres de santé et de services sociaux [77] dans toutes les régions, et plus de 30 000 intervenants ont reçu des formations développées par l’Association québécoise de prévention du suicide.
Une des forces au Québec est l’existence de centres de prévention du suicide dans toutes les régions qui, en plus d’offrir des services d’aide téléphonique aux personnes suicidaires et à leur entourage, offrent de la formation de sentinelles et d’intervenants de leur région, et agissent au niveau régional comme catalyseurs des initiatives en prévention du suicide. Un grand nombre de programmes créatifs locaux ont inspiré des actions dans d’autres régions du Québec. Par exemple, le protocole MARCO [78], qui établissait des ententes de collaboration entre les hôpitaux, les centres de prévention du suicide et les autres organismes communautaires dans le but d’offrir un suivi concerté des personnes après une hospitalisation pour une tentative de suicide, a inspiré des programmes de suivi étroit dans plusieurs régions du Québec.
De nouveaux défis pour la prévention du suicide au Québec
À l’heure actuelle, un défi important en prévention du suicide au Québec est d’adapter l’offre de services à l’ère numérique. Aujourd’hui, l’information et l’aide sont recherchées sur Internet, notamment avec les téléphones cellulaires multifonctions, et une réponse immédiate aux questions est attendue. Les services doivent rapidement s’adapter à cette réalité. Par ailleurs, la télémédecine pour les soins en santé mentale est peu développée au Québec. Les centres de prévention du suicide continuent à mettre l’accent sur les services téléphoniques, alors que les outils informatisés pour aider les personnes suicidaires demeurent peu disponibles. En l’absence d’orientation quant à l’utilisation d’outils Web dans les services en prévention du suicide au Québec, les personnes suicidaires trouvent souvent d’autres sources d’information et d’aide qui ne sont pas adaptées à la réalité des services disponibles dans les communautés québécoises. Sans compter que, trop souvent, au lieu de trouver de l’aide, les personnes vulnérables obtiennent de l’information peu fiable ou tombent sur des sites qui encouragent le suicide. La technologie et les comportements d’utilisation des nouvelles technologies changent très rapidement, de sorte qu’il est aujourd’hui nécessaire non seulement de modifier nos pratiques d’aide actuelles, mais aussi de continuer à adapter les services aux changements et aux préférences de la population.
Depuis quatre décennies, il s’est développé une grande expertise en prévention du suicide au Québec. Des formations accréditées pour intervenants et sentinelles, un réseau de Centres de prévention du suicide couvrant toutes les régions, des recherches reconnues à l’échelle internationale en suicidologie, qui incluent des évaluations scientifiques des meilleures pratiques en prévention et intervention, des recherches pour comprendre le rôle de la génétique, la biologie et les aspects psychosociaux du suicide, ont contribué au développement de cette expertise. Plusieurs chercheurs étudient l’utilisation des nouvelles technologies en prévention du suicide. Le Québec exporte ses connaissances en recherche et en pratiques de prévention du suicide dans de nombreux pays.
Dans le contexte où on observe que la diminution des taux de suicide au Québec a ralenti, les intervenants, les planificateurs et les chercheurs concernés par la prévention du suicide font face au défi d’élaborer des actions novatrices qui vont contribuer à susciter de nouveau des réductions annuelles importantes des taux de suicide. De plus, les différentes organisations et les individus qui œuvrent en prévention du suicide doivent s’adapter à la réalité de l’expansion rapide de l’utilisation des nouvelles technologies pour offrir de l’aide.
La diminution du taux de suicide observée au Québec pourrait laisser croire que le problème n’est plus important. Or, il ne faut pas perdre de vue que cette diminution est le fruit d’efforts concertés déployés par de nombreuses organisations. C’est pourquoi les experts en prévention du suicide préconisent que pour ne pas perdre les acquis et continuer à faire des progrès, il est important de maintenir et même d’intensifier les investissements dans le domaine de la prévention du suicide.