Avis sur le plan de surveillance thématique sur la maltraitance envers les personnes aînées
Le projet soumis au CESP
Le projet de Plan de surveillance thématique sur la maltraitance envers les personnes ainées (PSTMA), déposé par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a pour but de bonifier le Plan national de surveillance quant aux objets et indicateurs portant sur la maltraitance envers les personnes ainées. Pour ce faire, le PSTMA propose un modèle conceptuel de la maltraitance envers les personnes ainées, de nouveaux objets et indicateurs, et de nouvelles sources de données. Le PSTMA propose aussi un plan d’analyse et un plan de diffusion.
Le modèle conceptuel du PSTMA vise à cerner les dimensions jugées importantes de la maltraitance, c’est-à-dire ses formes (violence, négligence), la nature du lien entre le maltraitant et le maltraité, ainsi que les types de maltraitance. Les types de maltraitance se déclinent selon les catégories suivantes : financière, physique, psychologique, sexuelle, organisationnelle, âgisme et violation des droits. Les éléments du modèle conceptuel ont été retenus parce qu’ils sont reconnus dans la littérature comme des dimensions importantes ou des facteurs d’influence de la maltraitance envers les personnes ainées, ainsi qu’en fonction de la possibilité d’en faire des objets et indicateurs fiables, réalisables et acceptables.
De façon plus concrète, le PSTMA propose de nouveaux objets et indicateurs visant à affiner le portrait de la maltraitance des personnes aînées. D’une part, des objets et indicateurs portent sur la maltraitance elle-même selon les types considérés ici et le fait qu’elle soit autodéclarée, observée par des employés du réseau ou le grand public. D’autre part, le PSTMA identifie des facteurs d’influence pour lesquels des objets sont proposés dont l’âgisme, la répartition de la population selon l’âge, l’utilisation des services en lien avec la maltraitance, le soutien social, le milieu familial et le revenu. Enfin, le PSTMA présente des objets en lien avec l’état de santé des personnes, c’est-à-dire la perception de l’état de santé physique et psychologique, les incapacités, les problèmes de santé chroniques, les maladies neurologiques, la détresse psychologique et les antécédents de violence.
Les angles d’analyse retenus dans le plan sont le temps et les caractéristiques de la population (sexe, type de ménage, personne vivant seule, avec un conjoint ou une conjointe, niveau de scolarité, revenu annuel, lieu de résidence et statut d’immigration). Comme le soulignent les responsables, le nombre de personnes concernées par la maltraitance n’est pas assez élevé pour que l’on puisse effectuer des analyses géographiques plus fines (échelle locale ou régionale).
Enfin, les responsables du PSTMA soulignent que le plan soulève certains enjeux éthiques. Tout d’abord, ils soulignent qu’étant donné le caractère sensible de la problématique, la protection de la vie privée des personnes faisant l’objet de maltraitance et le danger que présente le risque de réidentification sont des enjeux importants. Ce risque sera réduit, selon les responsables, en y portant une attention particulière, notamment en appliquant les règles de masquage des petits nombres. Un autre enjeu soulevé par les responsables est le risque de reproduire des stéréotypes quant aux personnes aînées, notamment l’idée que ces dernières sont essentiellement vulnérables. Selon les responsables, ce risque peut être réduit en soulignant le fait qu’il n’y a pas de profil type de la situation de maltraitance et en utilisant une perspective écologique dans l’analyse des données. Aussi, les responsables soulignent que les sources de données sont en grande partie limitées aux personnes aptes à répondre aux enquêtes, ceci ayant pour conséquence d’exclure les plus vulnérables. Selon les responsables, l’éventuelle enquête en centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) auprès du personnel pourra en partie pallier ce problème. Enfin, les responsables notent le nombre restreint de sources de données disponibles pour le PSTMA. À ce chapitre, il est souligné que les connaissances sur la maltraitance sont toujours en développement et que le développement d’autres thématiques connexes pourrait contribuer à rehausser le PSTMA.
L’examen éthique du CESP
De manière générale, le Comité a accueilli favorablement le PSTMA. Le CESP a particulièrement apprécié le fait que le plan est clair et concis et qu’il porte sur un enjeu très pertinent. L’examen du CESP a avant tout porté sur le modèle conceptuel du PSTMA.
De façon plus détaillée, le CESP salue l’inclusion de la maltraitance organisationnelle, de l’âgisme et de la violation des droits dans le modèle conceptuel du plan. Par contre, le CESP s’est questionné sur la manière de traduire concrètement ces inclusions dans la surveillance de la maltraitance des personnes aînées. Il est d’abord assez clair que la maltraitance organisationnelle se manifestera entre autres de manière physique ou psychologique. Par contre, le Comité aurait souhaité que cette dimension, ainsi que celles de l’âgisme et de la violation des droits, bénéficient d’un examen un peu plus détaillé sur leurs formes concrètes et leurs espaces de recoupement avec la maltraitance physique, psychologique ou encore financière. En ce qui a trait à l’âgisme en particulier, il n’est pas clair s’il s’agit d’une cause ou d’une manifestation de la maltraitance. Une explicitation du modèle conceptuel faciliterait à cet égard la compréhension des développements à venir du plan. Au final, c’est l’utilité du PSTMA qui en bénéficierait.
Certains points soulevés par le CESP concernent les enquêtes qui servent de sources de données plutôt que le plan lui-même. Le danger de surenquête a ainsi été considéré par le CESP ainsi que celui de revictimisation des personnes ainées victimes de maltraitance. Ce danger est en partie lié au respect de la confidentialité déjà soulevé par les responsables du plan. En effet, la revictimisation peut survenir lorsque les personnes qui maltraitent réagissent au fait que les répondants puissent révéler des informations potentiellement incriminantes aux interviewers. Elle peut aussi survenir lorsque les personnes victimes de maltraitance doivent se remémorer des traumatismes à chaque fois qu’elles sont questionnées à leur propos. Ces enjeux, qui mettent en cause la valeur de non-malfaisance, doivent faire l’objet d’une attention particulière. Le CESP tient aussi à attirer l’attention sur une limite possible de l’enquête prévue dans les CHSLD : le fait qu’elle sera complétée par les employés pourrait être problématique si l’on considère qu’ils pourraient eux-mêmes être maltraitants.
Enfin, la non-participation des personnes qui ont des pertes cognitives ou qui sont jugées non autonomes aux enquêtes qui constituent les sources de données du PSTMA a aussi été soulignée par le CESP. Cet enjeu, qui avait aussi été soulevé par les responsables du projet eux-mêmes, est celui de l’équité. Il constitue une préoccupation éthique forte, celle d’inclure dans un portrait global fiable de la maltraitance, les personnes les plus vulnérables, celles qui ont potentiellement le plus besoin de protection et vers qui les interventions devraient prioritairement se porter. D’où l’importance de soutenir et de compléter le plan de surveillance présenté, déjà nécessaire, par le développement de méthodologies permettant d’inclure toutes les personnes ainées.
Conclusion
Le CESP accueille favorablement le PSTMA en raison de sa grande pertinence, surtout dans le contexte actuel. Par contre, il recommande que le modèle conceptuel soit approfondi quant à ses dimensions et aux croisements qu’elles peuvent entretenir afin de bonifier son utilité. Le CESP a aussi souligné des enjeux de non-malfaisance et d’équité en ce qui a trait aux enquêtes qui nourrissent le plan.