Programme de surveillance du pneumocoque : rapport 2018
Le pneumocoque (Streptococcus pneumoniae) entraîne un grand nombre d’infections de diverses natures, d’hospitalisations, de prescriptions d’antibiotiques et de décès au niveau mondial ainsi qu’au Canada. Deux types de vaccins ont été développés pour réduire le fardeau des infections à pneumocoque, en visant plus particulièrement les infections invasives à pneumocoque (IIP) et les sérotypes qui sont le plus souvent en cause. Les vaccins pneumococciques conjugués 7-valent (contient 7 sérotypes; VPC-7), 10-valent (VPC-10) et 13-valent (VPC-13) sont principalement destinés aux enfants. Le vaccin pneumococcique polysaccharidique 23-valent (VPP-23) est principalement utilisé chez les personnes de 65 ans et plus.
Une surveillance étroite de l’épidémiologie des infections à pneumocoque est essentielle afin de mesurer l’impact du programme de vaccination et d’adapter, si nécessaire, les recommandations vaccinales. Une surveillance renforcée des infections à pneumocoque est en cours au Québec et inclut plusieurs activités. Le présent rapport rend compte de ces activités et couvre une période allant jusqu’au 31 décembre 2018.
Couverture vaccinale contre le pneumocoque
Plus de 97 % des enfants de 15 et 24 mois ont reçu au moins une dose de VPC en 2016. De 92 % à 94 % des enfants de 24 mois ont reçu les trois doses requises. La presque totalité des enfants québécois est donc vaccinée contre le pneumocoque.
Environ la moitié (51 %) des personnes de 65 ans et plus ont déclaré en 2018 avoir déjà été vaccinées contre le pneumocoque avec le VPP-23. Une indication de vaccination gratuite avec le VPP-23 vise aussi certaines personnes de moins de 65 ans vivant avec une maladie chronique. Une minorité (21 %) des adultes de 18 à 64 ans visés ont déclaré en 2018 avoir reçu le vaccin dans le passé. La couverture vaccinale contre le pneumocoque chez les adultes apparaît donc relativement stable et demeure sous-optimale chez les personnes de 18 à 64 ans vivant avec une maladie chronique.
Analyse du registre des maladies à déclaration obligatoire
Au Québec, les IIP sont des maladies à déclaration obligatoire (MADO) depuis 1996. Les données des déclarations d’IIP provenant du registre des MADO ont été analysées pour la période 2001-2018. Globalement, l’évolution du taux d’incidence standardisé pour l’âge entre 2001 et 2018, qui tient compte du vieillissement de la population, suggère une incidence relativement stable au cours du temps. Les taux d’incidence pour chaque région sociosanitaire montrent, pour la période 2015-2018, que les régions nordiques sont les plus affectées par les IIP. Chez les enfants de moins de 5 ans, une diminution marquée du taux d’incidence a été observée après l’introduction du VPC-7 en 2004 et une autre diminution a été observée depuis l’introduction du VPC-10 en 2009 suivie de celle du VPC-13 en 2011. Les taux d’incidence sont demeurés faibles par la suite et sont inférieurs à 20/100 000 p.-a depuis 2015.
Analyse des données du Laboratoire de santé publique du Québec
Distribution des sérotypes
En 1996, le Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) a mis sur pied un programme de surveillance en laboratoire des souches invasives de S. pneumoniae. Les objectifs visés étaient d’étudier la distribution des sérotypes en circulation au Québec et d’établir leurs profils de sensibilité aux antibiotiques. Les tendances évolutives dans la distribution des sérotypes pour l’ensemble de la population du Québec ont été analysées.
Dans la population générale, les sérotypes inclus dans le VPC-7 ont diminué de manière importante depuis 2005, suite à l’introduction du programme universel de vaccination chez les enfants de moins de 5 ans. La diminution s’est produite non seulement chez les moins de 5 ans, mais aussi dans le reste de la population. Les trois sérotypes additionnels du VPC-10 (1, 5, 7F) ont également diminué progressivement suite à l’introduction de ce vaccin en 2009. Les trois sérotypes additionnels du VPC-13 (3, 6A et 19A) ont aussi diminué légèrement depuis l’introduction de ce vaccin en 2011, mais sont encore responsables d’environ 20 % des IIP diagnostiquées dans le réseau sentinelle (sérotypes 3 et 19A principalement). La proportion de sérotypes non inclus dans le VPC-13 a augmenté progressivement depuis 2007 pour constituer maintenant la majorité des causes d’IIP.
Chez les enfants de moins de 5 ans spécifiquement, on remarque une diminution importante des sérotypes inclus dans le VPC-7 depuis le début de la surveillance renforcée, pour arriver à une quasi-disparition des cas à partir de 2011. La diminution des sérotypes additionnels inclus dans le VPC-10 s’est amorcée en 2010 et on observe au maximum un cas par an depuis 2013. Le nombre de cas liés aux sérotypes additionnels du VPC-13 est quant à lui passé de plus de 50 à la fin des années 2000 à moins de 10 annuellement depuis 2014.
Résistance aux antibiotiques
Le taux de résistance à la pénicilline était faible en 2018, autant chez les enfants de 0 à 4 ans que chez les personnes de 5 ans et plus. Pour le sérotype 19A, on observe une quasi-disparition des souches résistantes chez les enfants de 0 à 4 ans. Le faible taux de résistance à la pénicilline orale est concordant avec les guides de pratiques qui préconisent l'utilisation de l'amoxicilline à haute dose pour le traitement empirique des infections communautaires où un pneumocoque est suspecté.
Étude cas-témoins sur l’efficacité des VPC
Depuis l’implantation du programme universel de vaccination contre le pneumocoque, une étude cas-témoins a été entreprise et devrait se poursuivre jusqu’à la fin de 2022. Elle vise à mesurer l’efficacité des VPC chez les enfants de 2 à 59 mois. Une mise à jour allant jusqu’à la fin de l’année 2016 a été faite. On note une bonne efficacité du VPC-10 et du VPC-13 contre les sérotypes inclus dans le VPC-13, soit entre 82 % et 88 % suite à 3 doses ou plus de vaccin.
Mandats d’enquête sur les infections invasives à pneumocoque
Afin de mieux documenter les IIP avec échec vaccinal, deux mandats d’enquête rétrospectifs successifs ont été donnés pour recenser toute l’information disponible sur les cas âgés de 2 à 59 mois et survenus de 2009 à 2016. Pour 2017 et 2018, les données du registre des MADO, du LSPQ, de l’étude cas-témoins et d’un nouveau mandat d’enquête initié en 2018 ont permis de compléter la suite des observations. Dans l’ensemble, près de 44 % des cas présentaient une bactériémie sans foyer ou avec otite, 29 % avaient une pneumonie bactériémique et 8 % ont développé une méningite. On a observé 15 % d’empyèmes, dont plus de la moitié causés par le sérotype 3. La létalité de même que la proportion de méningite n’étaient pas plus élevées pour les cas de sérotype vaccinal par rapport à l’ensemble des IIP. De 2014 à 2018, le nombre annuel de cas de sérotype 19A et de sérotype 3 a été stable, avec entre 5 et 6 cas de sérotype 19A et 1 à 4 cas de sérotype 3, dont la majorité sont adéquatement vaccinés.
Exploitation des données concernant les hospitalisations pour pneumonie
Le S. pneumoniae joue un rôle important dans l’étiologie des pneumonies, tant chez les enfants que chez les adultes. Le fichier provincial MED-ÉCHO, qui couvre les admissions dans tous les services hospitaliers de soins aigus au Québec, a été utilisé pour voir l’impact possible des VPC sur les pneumonies chez les enfants. On peut conclure que l’introduction des VPC n’a pas eu d’impact majeur sur l’utilisation des services de santé au niveau des hospitalisations pour infection respiratoire basse chez les jeunes enfants au Québec.
Activités de surveillance et de recherche sur le pneumocoque concernant la population du Nunavik
Le Nunavik est la région la plus nordique du Québec. Elle compte environ 13 000 habitants dont 90 % sont reconnus comme des Inuits. Depuis une dizaine d’années, des activités de surveillance et de recherche ont été réalisées dans cette région. On constate que le taux d’IIP est 7,4 fois plus élevé au Nunavik que dans le reste de la province. Les hospitalisations pour pneumonie sont aussi de 6 à 10 fois plus fréquentes dans la population du Nunavik que dans la population générale du Québec. L’introduction du programme d’immunisation des enfants avec des VPC en 2002 s’est traduite par une diminution du taux d’incidence des infections invasives de l’ordre de 55 % dans ce groupe d’âge. Un rapport distinct produit par l’INSPQ présente de façon plus détaillée ces observations et ces constats.
Discussion et conclusion
Ce rapport permet de constater les succès du programme de vaccination avec un VPC pour prévenir les IIP chez les enfants de moins de 5 ans. L’introduction successive du VPC-7, du VPC-10 et du VPC-13 à partir de décembre 2004 a permis une réduction notable des IIP. Les seuls sérotypes vaccinaux qui persistent sont le 3 (3 cas par an en moyenne depuis 2015) et le 19A (5 cas par an en moyenne depuis 2015).
La surveillance des IIP chez les personnes de cinq ans et plus montre une immunité de groupe associée à l’utilisation du VPC chez les enfants (herd effect). Les bénéfices de cette immunité de groupe ont par contre été érodés du fait du remplacement des sérotypes vaccinaux par d’autres sérotypes non couverts par ces vaccins. Du fait de ce phénomène de remplacement, aucune diminution globale de l’incidence des IIP n’a été notée chez les adultes dans le contexte québécois.
La surveillance renforcée des IIP au Québec devra se poursuivre au cours des prochaines années, notamment suite au retour à l’utilisation du VPC-10 en 2018. Il sera particulièrement important de suivre la fréquence des IIP de sérotype 3 et de sérotype 19A chez les enfants, car ces deux composants sont absents du VPC-10 et continuent de circuler à l’heure actuelle. La surveillance des IIP devra aussi tenir compte de la disponibilité grandissante d’un TAAN plus sensible que la culture et de la possibilité nouvelle d’obtenir le sérotype par TAAN à partir de liquides biologiques normalement stériles positifs pour S. pneumoniae. Les résultats de cette surveillance aideront à formuler les recommandations pertinentes concernant l’utilisation des VPC chez les enfants et les adultes. Il faut noter que de nouveaux vaccins conjugués sont en cours de développement. Par exemple, un VPC 15-valent qui protège contre les sérotypes 22F et 33F en plus de ceux inclus dans le VPC-13 pourrait devenir disponible sous peu. Un deuxième VPC 20-valent, qui protège en plus contre les sérotypes 8, 10A, 11A, 12F et 15BC, est également à l’étude. Ces nouveaux produits pourraient réduire de façon appréciable le fardeau des IIP si une efficacité élevée contre ces sérotypes additionnels se confirme et si le remplacement des souches vaccinales par des souches non vaccinales reste limité.