Les services de vaccination dans les pharmacies du Québec
La vaccination est une stratégie très efficace pour réduire l'incidence des maladies évitables par l'immunisation. Plusieurs nouveaux vaccins destinés tant aux nourrissons qu'aux adultes ont fait leur apparition. Toutefois, il n'existe pas au Québec une organisation de la vaccination des adultes comparable à celle mise en place pour les enfants et qui tiendrait compte des besoins particuliers de cette clientèle. Dans ce contexte, il sera important que le réseau de la santé et ses partenaires soient bien organisés pour faire face à une éventuelle augmentation de la demande de vaccination, de sorte que l'accessibilité aux services soit préservée.
En ce sens, l'offre de vaccination dans les pharmacies peut représenter une avenue qui doit être explorée, puisqu'elle pourrait augmenter l'accessibilité aux services de vaccination. Il faut noter cependant que dans le cas des vaccins achetés en pharmacie qui ne seraient pas administrés sur place, la nécessité de maintenir la chaîne de froid ajoute un élément de complexité. Il y a plus de dix ans, les autorités de santé publique américaine reconnaissaient la pertinence de vacciner dans les pharmacies communautaires pour augmenter les couvertures vaccinales et à l'heure actuelle, tous les états américains ainsi que deux provinces canadiennes, soit l'Alberta et la Nouvelle-Écosse, acceptent que les pharmaciens vaccinent.
Œuvrant dans plus de 1 600 points de services à travers le Québec, les pharmaciens communautaires sont des professionnels de la santé très accessibles. Bien qu'ils ne puissent pas vacciner eux-mêmes, les pharmaciens québécois peuvent conseiller leurs clients, vendre des vaccins ou offrir des services de vaccination par l'intermédiaire d'infirmières.
Décrire les services de vaccination qui existent présentement dans les pharmacies du Québec, afin d'adapter ces services aux besoins actuels de la population et d'identifier les défis à relever dans le futur. Plus précisément, les objectifs suivants étaient visés :
- Décrire les services de vaccination existants en pharmacie, les facteurs qui les facilitent et les obstacles;
- Connaître les intentions des pharmaciens et les modalités d'organisation privilégiées quant à l'offre future de services de vaccination dans leur milieu.
L'étude s'est déroulée de septembre 2008 à mai 2009. Un questionnaire a été envoyé par courrier au pharmacien propriétaire de chacune des 1 663 pharmacies (chaque lieu physique) des différentes régions du Québec, à l'exception du Nunavik et des Terres-Cries-de-la-Baie-James. Le questionnaire rempli devait être retourné par courrier dans une enveloppe préaffranchie. Une carte postale, également préaffranchie, était aussi envoyée aux pharmaciens propriétaires, afin qu'ils puissent la retourner pour indiquer qu'ils avaient répondu au questionnaire tout en conservant leur anonymat. Une relance postale et une relance téléphonique ont été réalisées.
La première section du questionnaire s'adressait à l'ensemble des pharmaciens propriétaires de la province, la seconde s'adressait à ceux qui vendaient des vaccins, alors que la troisième concernait uniquement ceux qui offraient dans leur pharmacie un service d'administration de vaccins par l'intermédiaire d'infirmières. Pour les analyses univariées, les pharmacies ont été regroupées selon l'étendue des services offerts, c'est-à-dire selon qu'on y offrait le service d'administration de vaccins (avec ou sans vente), le service de vente de vaccins sans administration ou aucun de ces deux services. Lors de l'analyse multivariée, une variable à deux catégories a été créée permettant de distinguer les pharmacies où un service d'administration de vaccins était offert des autres pharmacies.
Résultats concernant l'ensemble des pharmacies
Le taux de participation à l'étude était de 66 % (1 102/1 661). Soixante pour cent (60 %) des répondants ont indiqué que leur pharmacie était située en zone urbaine contre 18 % en zone rurale. Il y avait en moyenne 3,3 pharmaciens travaillant à la pharmacie et un peu plus du quart des pharmacies avaient au moins une infirmière y dispensant des services. Il se vendait des vaccins au moment de l'enquête dans la grande majorité des pharmacies (90 %), il y avait de la promotion de la vaccination dans un peu moins des trois quarts (73 %) et il se faisait du counseling sur la vaccination dans les deux tiers des pharmacies (65 %). La proportion de pharmacies où un service d'administration de vaccins était offert se situait à 27 %. La proportion de répondants qui envisageaient d'offrir un service d'administration de vaccins dans les 5 prochaines années était de 44 %. Un pharmacien sur deux se disait intéressé à intégrer l'administration de vaccins dans sa pratique si les aspects législatifs devaient être modifiés.
Les sources d'information sur la vaccination les plus utilisées par les pharmaciens étaient les revues professionnelles, le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS), Internet et les monographies des vaccins, plus de la moitié des pharmaciens s'y référant toujours ou souvent. Les problèmes liés au retour des vaccins non utilisés ainsi que la perte de ces vaccins constituaient les principales difficultés rencontrées.
Résultats concernant les pharmacies où des vaccins étaient vendus
Les principaux vaccins vendus dans les pharmacies étaient ceux contre les hépatites A et B (99 %), de même que celui contre le VPH (Gardasil) (83 %) et les vaccins destinés aux voyageurs autres que ceux contre les hépatites (79 %). En ce qui concerne les conditions relatives au maintien de la chaîne de froid, les vaccins étaient entreposés dans un réfrigérateur à médicaments spécialisés et la température du réfrigérateur était vérifiée deux fois par jour, à tous les jours, dans une pharmacie sur deux. Les vaccins étaient déposés directement sur la glace dans une pharmacie sur trois lors de la vente.
Résultats concernant les pharmacies où des vaccins étaient administrés
La principale motivation à instaurer un service d'administration de vaccins dans les pharmacies provenait de la demande faite par les patients. En second lieu, mais dans une proportion beaucoup moindre, venait l'appui de cette initiative par la chaîne ou la bannière à laquelle la pharmacie était affiliée. Quatre-vingt-six pour cent (86 %) des répondants ont vu leur pharmacie instaurer le service d'administration des vaccins en 2004 ou après. Le service était offert en soirée, du lundi au vendredi, dans 39 % des pharmacies et le samedi ou le dimanche dans 16 % d'entre elles. Il était possible pour un patient de recevoir le vaccin contre l'influenza sans avoir pris rendez-vous avec l'infirmière dans 27 % des pharmacies où le service d'administration de vaccins était offert. Cette proportion était de 39 % en ce qui concernait les autres vaccins. Contrairement à ce qui était observé pour la vente des vaccins en pharmacie, c'est le vaccin contre l'influenza qui était administré dans la plus grande proportion de pharmacies (84 %), suivi des vaccins contre les hépatites A ou B (68 %) et le vaccin contre le VPH (45 %). En ce qui concerne les différents moyens de consigner l'information sur l'acte vaccinal, le plus fréquent était une inscription dans le dossier de l'infirmière (81 %). Vingt-trois pour cent (23 %) des répondants affirmaient que des bordereaux de vaccination étaient envoyés à la direction régionale de santé publique (DSP). La majeure partie de la clientèle se faisant vacciner en pharmacie était composée d'adultes âgés de 18 à 64 ans.
Les principales difficultés reliées spécifiquement à l'offre du service d'administration de vaccins étaient les suivantes : les inquiétudes au niveau de la responsabilité légale, le manque de soutien du réseau de la santé, le manque de disponibilité d'une infirmière pour administrer les vaccins, le manque d'information des pharmaciens sur la vaccination et les inquiétudes concernant les effets secondaires lors de l'administration des vaccins.
Comparaison des services de vaccination offerts selon les caractéristiques des pharmacies et les pratiques des pharmaciens
La proportion de pharmacies offrant un service d'administration de vaccins augmentait avec le nombre d'heures d'ouverture. Les pharmacies situées à plus d'un kilomètre d'une clinique médicale étaient proportionnellement les plus nombreuses à n'offrir aucun service lié à la vaccination. La présence d'une ou plusieurs infirmières dans la pharmacie était directement liée au type de services de vaccination offerts. Dans 68 % des pharmacies où il y avait une ou des infirmières, un service d'administration de vaccins était offert. Ce lien était également évident dans le cas de la présence d'une nutritionniste. Un service d'administration de vaccins était offert dans 47 % des pharmacies où il existait une entente de collaboration avec certains établissements du réseau de la santé par rapport à 23 % des pharmacies où il n'y avait pas d'entente (p < 0,0001).
Quatre difficultés associées au type de services de vaccination offerts présentaient une tendance à savoir qu'il y avait une gradation dans la proportion de répondants percevant la difficulté. Pour chacune de ces difficultés, les pharmacies où des vaccins étaient administrés sur place étaient celles où le répondant percevait le moins la difficulté, suivi des pharmacies où il se faisait seulement la vente de vaccin et en dernier lieu se trouvaient les pharmacies où il ne se faisait ni vente ni vaccination. Il s'agit du coût des assurances, du manque d'espace pour entreposer les vaccins, de la lourdeur des tâches administratives reliées à la vaccination et du manque de demande de la part des patients.
Analyse multivariée
Une régression log-binomiale a été effectuée en vue de connaître les facteurs qui étaient associés de façon indépendante à l'offre d'administration de vaccins en pharmacie. En ce qui concerne les caractéristiques de la pharmacie, les variables qui exerçaient un lien significatif étaient le nombre d'heures d'ouverture de la pharmacie, la présence d'une infirmière, d'une infirmière auxiliaire ou d'une nutritionniste dans la pharmacie, la proximité d'une clinique médicale et le fait d'avoir une entente de collaboration avec un établissement du réseau de la santé. En ce qui concernait la perception des difficultés reliées à la vaccination, le coût d'achat des vaccins, le coût des assurances pour la pharmacie et le manque de demande de la part des patients exerçaient un lien significatif.
La majorité des pharmacies où un service d'administration de vaccins était offert ont vu ce service instauré depuis 2004. C'est d'ailleurs un peu avant cette année (2002) que l'acte de vaccination effectué par l'infirmière a cessé d'être un acte délégué par le médecin et que celle-ci a pu administrer des vaccins de façon autonome. Par ailleurs, le nombre de pharmacies où un service d'administration de vaccins sera offert risque fort d'augmenter, puisque 44 % des répondants ont affirmé avoir l'intention de poursuivre ou de commencer à offrir un service d'administration de vaccins dans leur pharmacie au cours des 5 prochaines années.
Parmi les difficultés identifiées par les pharmaciens et sur lesquelles il est possible d'agir, se retrouvaient les problèmes d'approvisionnement en vaccins, les problèmes de gestion de la chaîne de froid, le manque d'espace pour entreposer les vaccins, la lourdeur des tâches administratives, la perception du manque de soutien des DSP et le manque d'information sur la vaccination. Par ailleurs, il faudra également fournir l'information et le soutien nécessaires pour que les recommandations portant sur le maintien de la chaîne de froid soient appliquées dans les pharmacies. Il ressort en effet que l'ensemble des recommandations émises par l'Ordre des pharmaciens du Québec étaient respectées dans seulement 23 % des pharmacies où étaient vendus des vaccins.
Un répondant sur deux serait intéressé à administrer lui-même des vaccins si la législation était modifiée. Toutefois, dans le cadre législatif actuel au Québec, seuls les médecins, les sages-femmes, les infirmières auxiliaires et les infirmières sont autorisés à administrer des vaccins. Ce sont habituellement ces dernières qui les administrent lorsque cela se produit en pharmacie.
Les bordereaux de vaccination étaient envoyés à la direction régionale de santé publique par seulement 28 % des pharmacies de la Capitale-Nationale et par 31 % de celles de l'Estrie. Cette constatation génère deux pistes de réflexion qui peuvent être en opposition. D'une part, ces deux régions étant les seules à tenir un registre de vaccination complet, il est important d'informer les pharmaciens de ces régions de l'importance de compléter ce bordereau, afin que le registre soit mis à jour et qu'il demeure utile et fonctionnel. D'autre part, bien que dans une situation idéale tous les actes vaccinaux seraient rapportés à la DSP par les bordereaux de vaccination, il faut prendre garde de ne pas ajouter à la lourdeur des tâches administratives qui est déjà rapportée comme une difficulté par une proportion importante des répondants.
La clientèle vaccinée en pharmacie dans la présente étude était composée majoritairement d'adultes (18 à 64 ans), comme cela a également été décrit dans certaines études réalisées aux États-Unis.
De nombreuses variables étaient en lien avec l'offre du service d'administration de vaccins dans les pharmacies. Une des plus importantes demeure l'association avec une chaîne ou une bannière. Par ailleurs, dans 4 pharmacies sur 10 où était offert le service d'administration de vaccin, l'initiative était appuyée par la chaîne ou la bannière à laquelle elles étaient associées. La bannière ou la chaîne constitue donc un interlocuteur privilégié pour l'implantation et la gestion d'un service d'administration de vaccins en pharmacie.
Le volume de la pharmacie était également associé au type de services offerts. En effet, plus le nombre d'heures d'ouverture, le nombre de prescriptions traitées dans une journée et le nombre de pharmaciens augmentaient, plus grandes étaient les probabilités que des services d'administration de vaccins soient offerts à la pharmacie. La présence d'une infirmière était liée au type de services offerts, celle-ci étant indispensable à l'administration de vaccins dans une pharmacie.
Il faut ajouter que le service d'administration de vaccins la fin de semaine était offert dans seulement une minorité de pharmacies, mais près de 40 % l'offraient les soirs de semaine. Ces derniers éléments sont reconnus comme des facteurs liés à une augmentation de la couverture vaccinale. Aussi, dans 27 % des pharmacies, on offrait la possibilité que le vaccin contre l'influenza soit administré sans rendez-vous et cette proportion s'élevait à 39 % dans le cas des autres vaccins. La vaccination sans rendez-vous ainsi que la vaccination hors des points de services font partie des stratégies intéressantes pour répondre à une demande croissante.
Un autre élément concernant toujours l'accessibilité et pouvant augmenter la couverture vaccinale est la gratuité des services. Toutefois, dans 40 % des pharmacies où le service d'administration de vaccins était offert dans le cadre du programme de vaccination gratuite du ministère de la Santé et des Services sociaux, on exigeait un certain montant pour défrayer les coûts de l'administration du vaccin.
Par ailleurs, la présence d'une entente de collaborationa avec un établissement du réseau de la santéb était liée à une plus forte prévalence de l'offre d'administration de vaccins. Une telle entente, en effet, pourrait aider les pharmacies dans la mise en place du service d'administration de vaccins.
Finalement, certains résultats mettent en évidence le fait que les pharmacies ne sont pas uniquement des lieux pour effectuer la vente de médicaments. En effet, la présence d'un professionnel de la santé autre que le pharmacien, particulièrement une nutritionniste, était notée dans plusieurs pharmacies. Cela permet de comprendre que la pharmacie est un lieu où plusieurs services de santé peuvent être offerts et que l'administration de vaccins pourrait être un de ces services.
Le phénomène de l'administration de vaccins en pharmacie est relativement nouveau, mais en 2008, le quart des pharmacies offraient déjà ce service et près de la moitié des répondants se disaient intéressés à instaurer ce service dans leur milieu au cours des 5 prochaines années. Dans un contexte où la demande de services en vaccination est actuellement en croissance, l'offre de services en pharmacie pourrait constituer une option intéressante dans la mesure où cette pratique serait bien soutenue.
aPar exemple, il pouvait s'agir de l'existence d'une procédure ou d'un contrat, d'un prêt de local, d'appels téléphoniques pour obtenir de l'information, etc.
bIl peut s'agir d'un CLSC, de la direction régionale de santé publique ou d'une clinique médicale.