Cyberviolences dans les relations intimes
Avec la collaboration de Mylène Fernet, Université du Québec à Montréal, Andréanne Lapierre, Université du Québec à Montréal, Martine Hébert, Université du Québec à Montréal, Marie-Marthe Cousineau, Université de Montréal, Julie Laforest, Institut national de santé publique du Québec
Note : Ce texte est tiré des résultats d’une synthèse de connaissances financée par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture et par le ministère de la Santé et des Services sociaux dans le cadre des Actions concertées - Programme de recherche sur la violence conjugale.
Faits saillants
- Les cyberviolences dans les relations intimes et en contexte de séparation réfèrent à l’usage des technologies pour surveiller, contrôler, harceler un partenaire intime ou un ex-partenaire ou pour mettre de la pression sur ce dernier. Différents dispositifs technologiques sont employés par les partenaires et les ex-partenaires intimes pour exercer ces formes de violence (ex. : géolocalisation, services de messagerie instantanée, chaine de diffusion vidéos, réseaux sociaux).
- Des études conduites auprès de femmes victimes de violence conjugale établissent que jusqu’à 78 % d’entre elles ont subi des cyberviolences.
- Les facteurs qui augmentent le risque d’être cybervictimisé par un partenaire intime ou un ex-partenaire sont :
- Être une femme ;
- Avoir été victime de violence physique, psychologique ou sexuelle dans sa relation intime;
- Avoir exercé de la violence physique, psychologique ou sexuelle dans sa relation intime;
- Avoir exercé des cyberviolences envers son partenaire.
Comment peut-on définir les cyberviolences en contexte intime et de séparation?
- Les cyberviolences sont une forme spécifique de violence dans les relations intimes qui se produisent également en contexte de séparation. Elles se manifestent par l’utilisation des technologies pour harceler, surveiller, contrôler ou exercer des pressions sur un partenaire ou un ancien partenaire.
- L’omniprésence des médias sociaux et des technologies permettant la communication instantanée, la rapidité avec laquelle l’information peut être diffusée à une multiplicité de personnes connues et inconnues, ainsi que le caractère permanent des contenus publiés en ligne engendrent pour les victimes des conséquences différentes des formes traditionnelles de violence conjugale. Il est en effet de plus en plus complexe pour les victimes de trouver un espace où se sentir en sécurité, libre des influences et du contrôle du partenaire intime ou de l’ex-partenaire. Même si ce dernier n’est pas en présence de la victime, il a le potentiel d’entrer en contact avec elle, à tout moment, peu importe où elle se trouve.
Quelles sont les formes de cyberviolences?
Plusieurs formes de cyberviolences ont été distinguées dans les études scientifiques menées sur le sujet. Les définitions suivantes sont tirées de la recension systématique des écrits de Fernet, Lapierre, Hébert et Cousineau1. Deux catégories principales sont d’abord présentées : la cyberviolence directe et la cyberviolence indirecte. La typologie proposée par Fernet et ses collaborateurs repose sur la nature des gestes posés, comme c’est le cas pour la violence conjugale traditionnelle.
La cyberviolence directe
Cette forme de cyberviolence réfère à une utilisation des technologies dans un contexte privé c’est-à-dire sans l’intention première que de tierces personnes soient témoins de l’agression. La violence est exercée envers un partenaire intime ou un ex-partenaire à l’aide d’un téléphone cellulaire, d’un service de messagerie instantanée ou d’autres dispositifs technologiques.
La cyberviolence directe | ||
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Formes | Description | Exemples |
La surveillance et le contrôle | Utilisation des technologies ou des données hébergées en ligne pour obtenir de l’information au sujet d’un partenaire actuel ou d’un ancien partenaire intime, afin de savoir notamment ce qu’il fait, où il se trouve et avec qui. Ces informations permettent généralement d’exercer de l’influence et du contrôle sur le partenaire intime ou l’ex-partenaire. | Examiner le contenu du téléphone cellulaire de la partenaire afin de lire les messages instantanés qu’elle reçoit. |
Le harcèlement | Comportement de cyberviolence directe où un partenaire ou un ex-partenaire utilise les technologies pour contacter ou pour tenter de contacter, contre son gré, son partenaire ou son ex-partenaire, et ce, à répétition. | Envoyer des messages textes ou des messages instantanés à son partenaire à répétition et contre son gré. |
La cyberviolence sexuelle | Comportement qui consiste à forcer son partenaire ou son ex-partenaire à recevoir ou à envoyer des contenus écrits, audio, photos ou vidéos à caractère sexuel à l’aide des technologies, ou à exercer des pressions pour qu’il ou elle le fasse. | Transmettre ou faire des pressions pour recevoir des photos des parties génitales. |
La cyberviolence indirecte
La cyberviolence indirecte est la diffusion publique de contenus en ligne au sujet d’un partenaire ou d’un ancien partenaire. Ce contenu peut être sexuel (ex. : photos de la victime nue, vidéos de relations sexuelles impliquant la victime) ou non (ex. : photos ou messages portant atteinte à la réputation de la victime, ou menaçant son entourage).
Ce contenu peut être diffusé publiquement en ligne (ex : sur le mur Facebook ou un dans un fil d’actualité) ou être directement envoyé à des individus, généralement connus de la victime (famille, collègues, nouveau partenaire, etc.) à l’aide d’une liste d’envoi courriel ou d’un service de messagerie instantanée.
La particularité de cette forme de violence est l’utilisation du réseau social de la victime pour exercer une pression sur elle et l’agresser indirectement.
Quelles sont les moyens technologiques utilisés?
La recension de Fernet et de ses collaborateurs1 a permis de faire l’inventaire des moyens technologiques utilisés pour exercer des cyberviolences dans un contexte de relations intimes ou de séparation. Tous ces moyens peuvent être utilisés pour exercer l’une ou l’autre des formes de cyberviolences, qu’elles soient directes ou indirectes.
- Les médias sociaux incluent les plateformes de partage comme Facebook, Twitter et Instagram. Ils incluent aussi les services de messagerie instantanée comme Messenger, WhatsApp et Snapchat et les blogues, les forums de discussion ainsi que les émissions baladodiffusées. Les cyberviolences peuvent être exercées à différents niveaux sur les médias sociaux. Par exemple, les contenus (écrits, audio, photos ou vidéos) ou des discussions au sujet de la victime peuvent être diffusés sur les murs, les fils d’actualité, par des stories, par des émissions en balado, sur des blogues ou des forums et par l’exclusion de la victime de groupes en ligne.
- Les services de messagerie (courriel) peuvent également être utilisés pour exercer les différentes formes de cyberviolence décrites. Différentes stratégies rapportées par les victimes peuvent prendre la forme d’une perturbation du service de courriel par l’envoi répété de messages, l’utilisation de l’identité courriel de la victime pour souscrire à des listes d’envoi, des services en ligne ou pour effectuer des achats, ainsi que la surveillance des courriels entrants (lecture du contenu des courriels reçus par la victime).
- Les cyberviolences peuvent aussi être exercées à l’aide d’un téléphone cellulaire. Cette stratégie comprend l’envoi, contre le gré de la victime, de contenus qui ont un impact sur son bien-être psychologique (ex. : contenu menaçant ou à caractère sexuel), ainsi que des appels ou des textos répétés et non désirés. Cette stratégie inclut également l’activation des fonctions de géolocalisation qui peut être faite à l’insu de la victime et qui permet de suivre en temps réel ou en différé ses déplacements.
- D’autres dispositifs technologiques sont aussi utilisés afin de surveiller son partenaire ou son ex-partenaire. La recherche d’informations en ligne et la compilation de données au sujet de la victime (stalking), les logiciels de piratage de mots de passe, les logiciels espions (qui enregistrent les activités en ligne de la victime comme les habitudes d’achats ou de fréquentation de sites) ou d’enregistrement de frappes (qui compilent toutes les informations écrites par la victime à l’aide de son clavier comme les courriels rédigés et les messages instantanés envoyés), ainsi que les caméras cachées ou les caméras activées à distance sont autant de dispositifs disponibles à l’heure actuelle pour exercer la cyberviolence.
Ampleur des cyberviolences
Les cyberviolences sont un phénomène répandu, mais il est encore difficile d’en cerner l’ampleur. Selon la recension des écrits de Fernet et ses collaborateurs1, jusqu’à 78 % des femmes rapportent avoir déjà subi un geste de cyberviolence de la part d’un partenaire ou d’un ex-partenaire.
Les études réalisées auprès d’adolescentes et d’adolescents sont peu nombreuses. Elles montrent que la cyberviolence sexuelle est la forme de violence la plus étudiée, suivie du harcèlement et de la surveillance. Ces trois formes de cyberviolence directe touchent entre 18 % et 55 % des adolescentes et des adolescents, la proportion variant selon l’étude. Une seule étude2 recensée a permis de spécifier les résultats concernant la victimisation des adolescentes. Dans cette étude, 66 % des adolescentes sont victimes de cyberviolences (surveillance et contrôle, harcèlement et cyberviolence sexuelle)2. Finalement, la cyberviolence indirecte, elle, concernerait entre 18 % et 55 % des adolescentes et des adolescents.
Les jeunes adultes (18-25 ans) sont le sous-groupe le plus étudié; la majorité des études au sujet des cyberviolences ont été réalisées auprès d’échantillons d’étudiants collégiaux ou universitaires1. Le harcèlement, qui est la forme de violence qui a été la plus documentée dans ces études, est subi dans une proportion variant entre 2 % et 70 % chez les jeunes femmes et entre 2 % et 77 % des jeunes dans les études incluant des hommes et des femmes. La surveillance et le contrôle sont des formes subies dans une proportion variant entre 1 % et 65 % des femmes et par 2 % à 77 % des jeunes adultes dans les études qui ont considéré les femmes et les hommes. La cyberviolence sexuelle varie entre 3 % et 53 % chez les jeunes adultes dans les études dont les échantillons comprennent à la fois des hommes des femmes, mais elle pourrait s’élever jusqu’à 70 % à 75 % des jeunes femmes adultes, bien que de telles proportions ne sont rapportées que dans une seule étude. Finalement, la violence indirecte toucherait entre 70 % à 75 % des jeunes femmes (résultat rapporté par une seule étude) et entre 2 % à 77 % des jeunes adultes1. En somme, la prévalence de la victimisation varie beaucoup d’une étude à l’autre en fonction des définitions utilisées pour conceptualiser la cyberviolence et des instruments utilisés pour la mesurer.
Seules deux études ont examiné la prévalence de la victimisation auprès des femmes adultes (18 ans et plus). Elles ont toutes deux documenté la surveillance et le contrôle et ont rapporté des proportions de victimisation variant entre 6 % et 78 %3,4. L’une d’entre elles a aussi examiné le harcèlement en ligne et la cyberviolence indirecte et a révélé que 7 % à 72 % des femmes en étaient victimes3.
Facteurs de vulnérabilité et de protection de la cybervictimisation par un partenaire ou un ex-partenaire intime
La recension systématique des écrits de Fernet et ses collaborateurs1 a permis de dégager quelques facteurs de vulnérabilité et de protection identifiés dans les écrits scientifiques comme étant associés à la victimisation. Très peu d’études ont examiné ces facteurs et elles utilisaient toutes un devis transversal (un seul temps de mesure). Ainsi, il est impossible de savoir si les facteurs identifiés sont une cause ou une conséquence des cyberviolences : il est seulement possible d’affirmer qu’ils y sont associés. Ces facteurs sont présentés dans le tableau suivant. Le fait d’être une femme se distingue comme le facteur ayant été le plus fréquemment associé au risque d’être victime de cyberviolence5,6,7,8.
Facteurs de vulnérabilité | Facteurs de protection | |
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À tout âge5,6,7,8 |
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À l’adolescence5,8,9,10,11 |
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Chez les jeunes adultes 6,7,12,13,14,15,16 |
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À l’âge adulte |
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Mythes et réalité entourant les cyberviolences en contexte de relation intime ou de séparation
Des mythes entourant la violence conjugale sont véhiculés dans la population. Certains d’entre eux ont trait à la violence exercée en ligne par un partenaire ou un ex-partenaire intime.
Mythe : Les cyberviolences ont moins de répercussions sur les victimes puisqu’aucun contact n’a lieu dans la réalité entre l’agresseur et la victime.
Réalité : Même si les cyberviolences exercées par des partenaires ou d’ex-partenaires se produisent en ligne, elles ont des conséquences importantes sur les victimes. Le harcèlement en ligne, la surveillance et le contrôle exercés à l’aide des technologies, ainsi que la diffusion de contenu à caractère sexuel peuvent avoir d’importantes répercussions2,8,14:
- Physiques : fatigue, perte de poids, automutilation, suicide et tentatives de suicide;
- Psychologiques : détresse émotionnelle, pensées suicidaires, symptômes anxieux et dépressifs, peur;
- Interpersonnelles : perte de relations significatives, difficultés à s’engager avec un nouveau partenaire intime;
- Financières : perte d’emploi, déménagements, réabonnement à des services technologiques, médication, services pour suppression du contenu;
- Autres : temps investi pour porter plainte aux autorités, interruption de sa participation à des activités sociales dans sa communauté et en milieu de travail, difficultés à trouver un nouvel emploi, peur de perdre la garde de ses enfants en cour en raison du contenu pornographique diffusé en ligne, etc.
Mythe : Pour s’en sortir, les victimes de cyberviolences en contexte intime et de séparation n’ont qu’à couper le contact avec leur partenaire.
Réalité : Étant donné la rapidité avec laquelle les informations sont propagées sur Internet et la facilité avec laquelle il est possible de créer des profils pour entrer en contact avec des individus, il est très difficile pour une victime de limiter les échanges avec son agresseur et d’interrompre la diffusion d’informations qui la concerne.
- Le contenu diffusé publiquement en ligne au sujet de la victime peut difficilement être retracé et effacé.
- Le contenu diffusé aux proches de la victime (ex. : des photos de la victime nue transmises à partir d’une liste d’envoi) peut difficilement être récupéré et il est difficile d’en limiter la diffusion et les répercussions.
- Des logiciels espions (ex. : logiciel de géolocalisation) peuvent être installés à l’insu de la victime sur ses appareils électroniques (ex. : cellulaire) rendant la désactivation difficile.
- L’agresseur peut continuer de contacter la victime sur les réseaux sociaux 1) directement, par la création de nouveaux comptes ou 2) indirectement, par les publications de contacts communs (ex. : en commentant du contenu publié par un tiers), et ce, même si la victime a bloqué le profil de l’agresseur.
Dernière mise à jour : Novembre 2018
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