Étude d'impact stratégique du Plan d'intervention gouvernemental de protection de la santé publique contre le virus du Nil occidental : rapport sectoriel 8 - Évaluation du risque toxicologique associé à l'utilisation d'adulticides dans le cadre programme

Dans le cadre d’une évaluation d’impact découlant du programme de contrôle vectoriel du virus du Nil occidental (VNO), les risques que l’utilisation d’insecticides chimiques (adulticides) contre les moustiques responsables de la transmission du VNO pourraient poser pour la population d’une région traitée ont été évalués. Les statuts d’homologation en vigueur au Canada ont été révisés afin de déterminer quelles substances devaient être étudiées. Le malathion, appliqué par voie aérienne et terrestre, les pyréthrines synergisées au butoxyde de pipéronyle (PBO) et la d-trans-alléthrine synergisée au PBO et au composé MGK-264 constituent les substances actuellement homologuées au Canada et évaluées dans ce rapport. La resméthrine synergisée au PBO n’est pas homologuée au Canada, mais elle fait partie des produits disponibles pour des applications aériennes aux États-Unis. En raison des avantages que plusieurs experts lui reconnaissent, elle a également été évaluée afin de disposer des données requises pour une éventuelle demande d’homologation.

Les données de concentrations maximales des substances à l’étude retrouvées dans l’environnement dans le cas où des applications seraient effectuées ont été fournies par la Société de protection des forêts contre les insectes et maladies (SOPFIM) dans le cadre d’un autre volet de l’étude d’impact à laquelle la présente étude se rapporte. Cette société est désignée comme la responsable des éventuelles opérations d’application. Les concentrations fournies ont été modélisées à l’aide d’un logiciel spécialisé à cette fin. Ce logiciel a auparavant été validé par des essais terrains effectués par la Direction de la toxicologie humaine de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), la SOPFIM, le REMsPc Counsulting de Toronto et les Mosquito Control District de Pasco, Manatee et Lee County en Floride. La SOPFIM a également fourni un scénario d’intervention de pire cas réaliste pour une saison estivale où la propagation du VNO serait particulièrement problématique. Ainsi, il appert que dans ce cas, une même région pourrait être traitée jusqu’à 7 reprises sur une période de 24 jours, à partir du début du mois d’août. En tenant compte des paramètres de demi-vie dans l’environnement des substances à l’étude et des concentrations environnementales modélisées par la SOPFIM pour une seule journée d’application, il a été possible d’estimer des concentrations environnementales maximales et moyennes auxquelles la population pourrait être exposée durant la saison estivale. Les concentrations maximales ont été utilisées pour estimer l’exposition aiguë de cette population, alors que les moyennes de concentrations journalières sur les 30 premiers jours de la période d’applications ont été utilisées pour estimer l’exposition sous-chronique. En raison de l’arrivée de l’hiver subséquemment à la saison potentielle d’applications d’adulticides, l’exposition chronique a été jugée comme hautement improbable et n’a donc pas été évaluée.

Pour l’exposition aiguë, les milieux environnementaux tels que l’air, le sol, et les surfaces végétales comme le gazon et le feuillage ont été considérés comme potentiellement contaminés par les adulticides. À noter que les modélisations de la SOPFIM ont montré que les gouttelettes d’adulticides ne persistaient pas au-delà d’une heure dans l’air après le traitement. Les voies d’exposition considérées ont été :

Pour toutes les classes d’âges :

  • l’inhalation des adulticides présents dans l’air;
  • l’ingestion de particules du sol et de poussières contaminées aux adulticides;
  • l’absorption cutanée des adulticides présents dans l’air, les particules du sol et les poussières intérieures, et déposés sur le feuillage et le gazon.

Pour les nourrissons :

  • l’ingestion de lait maternel potentiellement contaminé par des adulticides accumulés via l’exposition de la mère durant la période des applications.

Pour les enfants de 0,5 à 4 ans :

  • l’ingestion de gazon contaminé;
  • l’ingestion de dépôts via le contact « main-bouche ».

Les mêmes voies ont été considérées pour l’exposition sous-chronique. Toutefois, l’inhalation et le contact cutané avec des gouttelettes en suspension dans l’air ont été exclus, les gouttelettes ne persistant pas dans l’air pour cette durée.

Les scénarios d’exposition de la population ont été déterminés en tenant compte d’une utilisation normale sans considérer de possibles accidents impliquant des déversements importants d’adulticides. Ils ont été établis en respectant de manière générale les Lignes Directrices du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Ainsi, les doses pour des expositions aiguës et sous-chroniques ont été estimées pour 5 classes d’âges, soit les nourrissons, les 0,5 à 4 ans, les 5 à 11 ans, les 12 à 19 ans et les adultes. Certains paramètres déterministes principalement recommandés par les Lignes Directrices québécoises et, dans certains cas par d’autres organismes comme l’Agence de protection de l’Environnement des États-Unis (US EPA), ont été utilisés dans le calcul de l’exposition. Ainsi, on a assumé que le temps moyen passé à l’extérieur était de 2 heures par jour pour les adultes et les nourrissons et de 2,8 heures par jour pour les autres classes d’âges. De plus, les surfaces exposées de la peau ont été assumées comme étant les mains, les avant-bras, les pieds, les jambes inférieures et la tête pour les moins de 20 ans, alors que dans le cas des adultes, les mêmes surfaces sauf les pieds ont été considérées. Ces paramètres déterministes ont été combinés à d’autres paramètres auxquels on a attribué une distribution de valeurs suivant une forme, une moyenne et un écart-type bien défini dans le but de réaliser une estimation plus raffinée de l’exposition et des risques qui en découlent. Ces paramètres sont le poids corporel, l’étendue des surfaces exposées de la peau décrites ci-haut, la taille, le taux d’inhalation, la consommation de lait maternel pour les nourrissons, les taux d’ingestion de particules, la fréquence de contact « main-bouche » pour les enfants de 0,5 à 4 ans, le facteur d’adhérence sol/peau et la durée de contact de l’adulticide avec la peau. L’utilisation de la distribution des valeurs de ces paramètres dans le calcul de l’exposition a été faite à l’aide de simulations de Monte Carlo au moyen du logiciel Cristal BallÔ. Ainsi, en procédant à 5 000 itérations du calcul de l’exposition, des distributions d’exposition totale et des risques associés ont été obtenues.

Ceci a permis d’estimer des distributions des niveaux d’exposition aiguë et sous-chronique et des risques associés, pour chaque classe d’âges. Ces distributions ont permis de connaître des moyennes d’exposition et de risques, ainsi que ces derniers paramètres pour des centiles définis.

Parmi les paramètres auxquels une distribution de valeurs a été appliquée, celui qui a été le plus déterminant dans l’évaluation de l’exposition aiguë totale est, pour toutes les classes d’âges excepté celle des 0,5 à 4 ans, le poids corporel. Pour les 0,5 à 4 ans, le paramètre le plus influent est le taux de contact « main-bouche ». Pour les nourrissons et les 4 à 19 ans, la durée de contact de l’adulticide avec la peau a également été un paramètre influent dans les simulations. Aucune distribution de valeurs n’a été utilisée pour représenter les concentrations environnementales. Pour ce qui est de l’exposition sous-chronique, le patron est beaucoup plus homogène alors que dans tous les cas, c’est la variabilité au niveau de la concentration environnementale sous-chronique qui influence le plus l’exposition sous-chronique totale, suivi de la fréquence de contact « main-bouche » pour les 0,5 à 4 ans et du temps de permanence de l’adulticide sur la peau pour les autres classes d’âges.

À la lumière des résultats obtenus, il apparaît que le malathion appliqué par voie aérienne, et dans une moindre mesure, par voie terrestre, soit la substance qui présente le plus de risques toxicologiques. L’exposition aiguë moyenne à cette substance appliquée par voie aérienne dépasse la limite et elle pourrait présenter des risques pour une proportion importante des enfants de 0,5 à 4 ans (environ 65 %). Il s’agit ici de résultats pour un scénario d’application optimisé par la SOPFIM, et approuvé par l’Agence de Réglementation de la Lutte Antiparasitaire (ARLA), sur la base de résultats obtenus lors d’essais terrains. Si les modélisations avaient été réalisées sur la base d’applications de type conventionnel tel que décrit sur l’étiquette du produit conservée à l’ARLA, les niveaux d’exposition auraient été encore plus élevés. Pour l’application terrestre de malathion, le niveau moyen lors d’une exposition aiguë ne dépasse généralement pas la limite, mais une faible proportion des enfants parmi les plus exposés (environ 3 %) demeurerait à risque. Les adulticides autres que le malathion apparaissent tous plus sécuritaires lors d’une exposition aiguë, bien que le MGK-264 ne semble pas exempt de risques pour un faible pourcentage (environ 3 %) des individus des trois classes d’âges les plus jeunes. Pour tous les autres adulticides, aucun individu ne dépasse la limite acceptable lors d’une exposition aiguë.

Au niveau des risques pour des expositions sous-chroniques, les simulations effectuées montrent que pratiquement toutes les classes d’âges présenteraient des risques pour une proportion importante des individus exposés au malathion, tant par voie aérienne que terrestre. Ainsi, par voie aérienne, seuls les adultes présenteraient une exposition moyenne ne dépassant pas l’indice de risque de 1, qui est le rapport entre l’expositon estimée et la limite qu’il est recommandé de ne pas dépasser, mais pour 4 % des adultes, cette exposition présenterait un indice de risque dépassant 1. Pour les 0,5 à 4 ans exposés au malathion appliqué par voie aérienne, presque la totalité des enfants (98 %) présenterait un indice de risque supérieur à 1, si on se fie aux résultats des simulations, alors que cette proportion varie entre 32 et 45 % pour les classes d’âges autres que les adultes. Pour le malathion appliqué par voie terrestre, les enfants de 0,5 à 4 ans présenteraient une exposition qui dépasse la limite maximale à ne pas dépasser dans 86 % des cas, alors que dans les autres classes d’âges, entre 3 et 10 % des individus la dépasseraient. D’autre part, une proportion de 3 à 4 % des enfants de 0,5 à 4 ans présenteraient également un risque de dépasser la limite maximale d’exposition dans le cas de la resméthrine, du PBO appliqué avec cette dernière, et du MGK-264. Aucun individu ne serait exposé à des niveaux dépassant la valeur toxicologique de référence (VTR) pour les autres substances étudiées.

Outre les concentrations environnementales et les scénarios considérés, les indices de risque relativement élevés pour l’exposition aiguë au malathion et au MGK-264 peuvent être en partie expliqués par le fait que l’indice de risque est à 50 % influencé par la comparaison de la dose d’exposition par inhalation avec la VTR par inhalation. Or, cette dernière est significativement plus sévère que la VTR par ingestion, dans tous les cas, ce qui explique une contribution élevée à l’indice de risque même quand les concentrations dans l’air sont modérées.

Pour ce qui est des indices de risque pour des expositions sous-chroniques, les valeurs élevées obtenues pour le malathion s’expliquent aussi par les concentrations environnementales atteintes et les scénarios d’exposition considérés, mais également par le fait que la VTR sous-chronique du malathion est pratiquement la même que la VTR chronique, même si la période d’étude considérée est loin de même se rapprocher d’une période chronique.

Les résultats de risque moyen obtenus dans la présente étude sont de manière générale plus élevés que ceux obtenus lors de l’étude antérieure de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), surtout pour les enfants de quatre ans et moins exposés au malathion, et ce, malgré que les concentrations environnementales de dépôts au sol soient plus faibles. La différence est encore plus importante (10 fois plus élevée) pour les risques sous-chroniques. Pour les risques encourus suite à une exposition aiguë, ces résultats plus élevés peuvent s’expliquer par des concentrations dans l’air plus élevées et des scénarios d’exposition qui augmentent la dose obtenue par voie cutanée pour les nourrissons et par contact « main-bouche » chez les 0,5 à 4 ans. Pour les risques sous-chroniques, la différence encore plus importante s’explique principalement par le fait que l’exposition cutanée a été transformée en équivalent d’ingestion et comparée à la VTR par ingestion, alors que dans l’ancienne étude, l’exposition cutanée avait été comparée à des VTR cutanées, beaucoup plus permissives que les VTR par ingestion retenues.

Les scénarios d’exposition ont été établis avec une approche conservatrice même si l’utilisation de distributions de valeurs a permis d’avoir un portrait de l’écart entre les individus les plus et les moins à risque. Ainsi, les doses potentielles d’exposition qui seraient éventuellement absorbées dans une situation réelle d’application seraient vraisemblablement plus faibles que celles qui ont été générées par modélisation. Par conséquent, les risques seraient également plus faibles. À la lumière des résultats de la présente étude, et considérant les incertitudes inhérentes à un exercice d’évaluation de risque, notamment sur le fait que les VTR ne considèrent pas tous les effets non testés, l’utilisation d’adulticides devrait être évitée si possible. Si cependant il devenait nécessaire de traiter de grandes superficies par application aérienne, la resméthrine synergisée au PBO devrait être préférée au malathion. D’une part, les indices de risque y étant associés sont de façon générale plus faibles que pour le malathion et d’autre part, les manifestations cliniques d’intoxications aux pyréthrinoïdes sont beaucoup moins sévères et fréquentes, selon la littérature.

La resméthrine synergisée devrait également être préférée au traitement terrestre de malathion. Cependant, la seule option qui, dans les simulations, n’a présenté en aucun cas un indice de risque supérieur à 1 est l’application terrestre de pyréthrines synergisées au PBO. Mis à part les considérations opérationnelles, cette technique devrait, en dernier recours, être préférée à toute autre option du point de vue toxicologique.

Les risques pour les travailleurs affectés aux opérations d’application d’adulticides ont été évalués sommairement avec une approche totalement différente de celle utilisée pour la population. C’est pourquoi cette question fait l’objet d’un document séparé présenté à l’annexe D. La principale conclusion à en tirer est qu’il est primordial que les travailleurs respectent les mesures de protection qui s’imposent pour éviter de s’exposer à des niveaux préoccupants.

Dans tous les cas où des adulticides, sous quelque forme que ce soit, seraient utilisés, il serait important de prévoir des moyens de gestion du risque afin de diminuer l’exposition de la population, plus spécifiquement celle des enfants puisque ce sont ceux de 0,5 à 4 ans qui sont les plus exposés et les plus à risque. Cela devrait inclure l’émission d’avis en cas d’application, et ce, suffisamment en avance pour permettre aux populations de prendre les mesures préventives qui s’imposent. Parmi celles-ci, il serait notamment souhaitable que les parents voient à diminuer le plus possible le temps passé à l’extérieur par les enfants, le jour de l’application. Enfin, dans tous les cas, les mesures de protection découlant du sens commun sont d’usage.

Finalement, bien qu’au moment de la production du présent rapport, la US EPA était en processus de révision d’une étude utilisant des VTR différentes que celles utilisées ici pour des expositions aiguë et sous-chronique par voie orale pour le malathion et pour une exposition aiguë par inhalation pour le PBO, c’est sur la base des VTR actuellement officielles que la présente étude a été réalisée. Toutefois, des calculs parallèles ont été réalisés avec les VTR en révision et ont permis de démontrer que les conclusions et interprétations ne changeraient pas de manière significative avec l’obtention de nouveaux résultats découlant de la considération de ces VTR. 

Notas

Consulter également la page sur le VNO.

Autor(es)
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Denis Belleville
Institut national de santé publique du Québec
ISBN (Digital)
2-550-46463-X
ISBN (Print)
2-550-46462-1
Santecom Number
Date de publication