Crise d’opioïdes au Canada : les gouvernements passent à l’action

Le Canada fait actuellement face à une crise d’opioïdes grandissante. En 2016, le gouvernement canadien rapporte 2 816 décès liés de façon apparente à des surdoses d’opioïdes (1).

Au Québec, bien que la situation soit moins critique que dans l’ouest du pays, le taux de décès lié à la consommation d’opioïdes est en constante augmentation, particulièrement chez les 50 à 64 ans (2). Entre le 1er août 2017 et le 18 septembre 2017, le Bureau du Coroner du Québec rapporte 12 décès par surdose (3). Durant cette période, la naloxone (l’antidote des opioïdes) a été administrée au moins 24 fois. De plus, du fentanyl, un opioïde 40 fois plus puissant que l’héroïne, a été retrouvé dans des échantillons d’urine de consommateurs de drogue à Montréal en août 2017. Ce médicament, parfois co-formulée avec l’héroïne à l’insu des consommateurs, augmente grandement le risque de surdose. (3)

En réponse à cette crise, les gouvernements provinciaux ainsi que le fédéral mettent en œuvre de nombreux programmes de réduction des méfaits, notamment l’accès à la naloxone dans des pharmacies communautaires (4). À partir de mai 2015, la Direction de santé publique de Montréal met en place un programme de formation à l’administration de naloxone par les pairs. À ce jour, plus d’une vingtaine d’organismes offrent cette formation, dont Cactus, Dopamine, Relais Méthadone et Méta d’Âme (3). Depuis le 10 novembre 2017, l’accès à la naloxone est universel et gratuit dans les pharmacies communautaires à travers le Québec (5). 

La naloxone à emporter en prévention des décès liés aux surdoses

La naloxone est un antidote des opioïdes. Lorsqu’administrée, elle est efficace en quelques minutes chez une personne ayant consommé des opioïdes et n’a pratiquement aucun effet sur les personnes n’ayant pas consommé (6). Le temps représente un facteur crucial du pronostic du patient.

La disponibilité de la naloxone au public général (soit la « naloxone à emporter ») permet son administration par les témoins d’une surdose. Cette intervention par les pairs ne remplace toutefois pas des soins médicaux complets et l’appel aux services d’urgence demeure crucial étant donné le risque de récidive des symptômes de surdose (6).

Les programmes de réduction des méfaits qui intègrent la naloxone à emporter démontrent une diminution de la mortalité ainsi qu’une augmentation de la sensibilisation aux risques liés à la prise des opioïdes (7).

Depuis novembre 2014, l’Organisation mondiale de la Santé recommande une accessibilité accrue de la naloxone dans les pharmacies pour qu’elle soit “à disposition des personnes susceptibles d’être témoins d’une overdose aux opioïdes” (6). En août 2017, l’Association des pharmaciens du Canada (AphC) prend position pour que la naloxone soit disponible à tous les Canadiens sans restrictions sur l’éligibilité, l’approvisionnement ou le coût, qu’elle devrait être disponible à travers une multitude de sources et qu’elle est une stratégie importante dans la lutte contre les intoxications aux opiacés (8). 

Le rôle de première ligne du pharmacien communautaire

Le 10 novembre 2017, à la suite d’une entente entre l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) et le ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), toute personne peut se procurer une trousse de naloxone gratuitement dans une pharmacie au Québec (5). De par cette entente, les pharmaciens reçoivent un honoraire pour l’enseignement de l’administration de la naloxone.

Espace ITSS a rencontré quelques pharmaciens communautaires de la région de Montréal qui ont accepté de partager leur expérience et leurs réflexions sur le sujet.

Parmi ces pharmaciens propriétaires, cette entente représente une victoire. Durant le mois de novembre 2017, plusieurs formations dont des webinaires de l’AQPP étaient disponibles pour que les pharmaciens soient en mesure de renseigner les patients au sujet de la naloxone à la suite de cette entente.

Certains rapportent que le rôle d’enseignement sera valorisé et donc beaucoup plus établi et qu’en raison des heures d’ouverture très étendues des pharmacies, les patients peuvent recevoir un enseignement au moment opportun. Ceci est particulièrement important chez la clientèle vulnérable que représentent les toxicomanes, par exemple, car avoir à se présenter à un lieu spécifique pour un rendez-vous constitue une barrière à l’accès et peut être dissuasif. D’ailleurs, les ressources disponibles en prévention de surdose sont surtout concentrées à Montréal, alors que n’importe quel patient au Québec pourrait prendre des opioïdes à haute dose.

Pour eux, le rôle important du pharmacien en première ligne en ce qui a trait à l’enseignement permet de joindre les patients qui ne sont pas nécessairement vus par des médecins et d’aborder des enjeux complémentaires de prévention comme les ITSS.

À qui ces pharmaciens recommandent-ils la naloxone?

  • Aux patients prenant des opioïdes à hautes doses pour des douleurs chroniques ou pour un trouble d’usage des opioïdes (sous méthadone ou buprénorphine);
  • Aux utilisateurs de drogues intraveineuses qui viennent chercher des seringues à la pharmacie;
  • Aux patients ayant un antécédent de surdose;
  • Aux patients ayant une dépendance connue ou soupçonnée aux opioïdes, surtout après une période d’arrêt ou de diminution de dose.

Chez des patients prenant des opioïdes, les pharmaciens évaluent différents facteurs de risque de surdose: âge avancé, maladies respiratoires, insuffisance rénale et hépatique, troubles psychiatriques augmentant le risque suicidaire, troubles cognitifs, troubles neuromusculaires, obésité, polypharmacie et accès limité aux services d’urgence (mobilité diminuée ou résidant en région éloignée). Le pharmacien devient alors un intervenant clé dans la sélection de ces patients et dans leur enseignement.

En quoi consiste l’intervention du pharmacien lors de la remise d’une trousse de naloxone?

  • Remettre l’aide-mémoire de l’INESSS sur l’administration de la naloxone;
  • Effectuer un enseignement sur les signes de surdose, la préparation, l’administration du médicament et la surveillance de la personne en surdose après avoir donné la dose;
  • Expliquer les conditions de conservation recommandées de la trousse et la gestion du matériel usagé;
  • Expliquer le cadre légal, à savoir que la loi C-224 protège les personnes de poursuites pour possession simple et de certaines autres infractions s’il y a appel des services d’urgence pour une surdose;
  • Rappeler qu’il est important d’appeler les services d’urgence lors de l’utilisation de la trousse à cause du risque de surdose rebond.

L’enseignement ne se limite pas aux utilisateurs d’opioïdes et peut également être fait à ses aidants naturels ou même à des gens susceptibles d’être témoins d’une surdose, étant donné que la nature de l’intervention requiert une tierce personne.

Que peuvent-ils offrir d’autre?

Les pharmaciens sont aussi bien placés pour exercer un rôle pivot: ils sont munis d’outils et de ressources vers lesquels référer les patients, allant des organismes communautaires aux ressources médicales à proximité de leur pharmacie.

Des défis à surmonter par les pharmaciens

Selon les pharmaciens rencontrés, la toxicomanie reste encore un sujet très tabou et souvent difficile à aborder, d’autant plus que la disposition d’une pharmacie communautaire rend les échanges entre pharmaciens et patients moins confidentiels. De plus, le temps requis pour faire une intervention de qualité est parfois problématique dans l’organisation du travail en pharmacie.

Certains pharmaciens rapportent devoir combattre la désinformation et les idées préconçues au sujet de la naloxone. Par exemple, plusieurs personnes craignent encore d’appeler les services d’urgence lors d’une surdose par peur de représailles juridiques.

Ces pharmaciens demeurent tout de même confiants pour offrir cette intervention et devenir plus proactifs pour identifier les patients qui peuvent bénéficier de ce produit.   

Un énorme merci aux pharmaciens Félice Saulnier, Eric Van Hoenacker, Nicolas Raymond et François Lalande pour leur collaboration et leur générosité.


Références :

1. National report: Apparent opioid-related deaths in Canada (January 2016 to March 2017) [En ligne]. Gouvernement du Canada; 2017. Disponible: https://www.canada.ca/en/public-health/services/publications/healthy-li…

2. Shemilt M, Langlois É, Dubé M, Gagné M, Perron P, Dubé P. Décès attribuables aux intoxications par opioïdes au Québec, 2000 à 2012 : mise à jour 2013-2016 [En ligne]. Institut national de santé publique du Québec; 2017. Disponible: http://default/sites/default/files/publications/2298_deces_attribuables…

3. Augmentation du nombre de surdoses de la région de Montréal : contamination des drogues de rue par le fentanyl confirmée [En ligne]. Montréal: Direction régionale de santé publique de Montréal du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal; 2017. Disponible: http://www.dsp.santemontreal.qc.ca/fileadmin/documents/dossiers_themati…

4. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Communiqué de la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie: Journée internationale de sensibilisation aux surdoses — Le Gouvernement du Québec est en action [En ligne]. 2017. Disponible: http://www.msss.gouv.qc.ca/documentation/salle-de-presse/ficheCommuniqu…

5. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Communiqué du ministre de la Santé et des Services sociaux : Le Gouvernement du Québec confirme la gratuité de la naloxone dès le 10 novembre [En ligne]. 2017. Disponible: http://www.msss.gouv.qc.ca/documentation/salle-de-presse/ficheCommuniqu…

6. Prise en charge de l'abus de substances psychoactives : Informations sur l'overdose d'opioïdes [En ligne]. Organisation mondiale de la Santé; 2014. Disponible: http://www.who.int/substance_abuse/information-sheet/fr/

7. Webber V. Les programmes de prévention des surdoses : l’éducation et la distribution de naloxone. [En ligne]. Montréal, Québec: Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé; 2016 [cité le 7 novembre 2017]. Disponible: http://www.ccnpps.ca/docs/2016_OBNL_NGO_GuidePratique_Fr.pdf

8. Environmental Scan : Access to naloxone across Canada [En ligne]. Association des pharmaciens du Canada; 2017. Disponible: https://www.pharmacists.ca/cpha-ca/assets/File/cpha-on-the-issues/Envir…

 

Written by
Michelle Chen - stagiaire en pharmacie de l'Université de Montréal
Publication date: 24 November 2017