Toxicité des médicaments chinois

Volume 12, Numéro 2

Auteur(s)
Lyse Lefebvre
B. Pharm., Pharmacienne, Institut national de santé publique du Québec

Les médicaments traditionnels chinois sont de plus en plus répandus dans le monde entier. Au cours des dernières années, les effets toxiques de certains de ces composés ont été rapportés dans la littérature scientifique.

L'incidence exacte des intoxications par les médicaments chinois est difficile à évaluer mais les cas rapportés montrent les risques de l'utilisation de ces produits. Bien que la plupart des cas rapportés soient survenus à Hong Kong, il ne faut pas croire que ces intoxications ne peuvent survenir chez nous. En effet, au Québec, une femme âgée qui consommait plusieurs médicaments chinois, est décédée à la suite de complications cardiaques. Un des produits dont elle faisait usage quotidiennement s'est avéré contenir de l'aconitine, un alcaloïde cardiotoxique.

  • Chan TYK, Tomlison B, Tse LKK, Chan JCN, Chan WWM & Critchley JAJH (1994) Aconitine Poisoning Due to Chinese Herbal Medicines: A review. Vet Hum Toxicol 36(5):452-455.

    Les auteurs rapportent 18 cas d'intoxications survenus chez des adultes de 24 à 81 ans qui avaient ingéré des médicaments chinois contenant du "Chuanwu" et du "Caowu" en association avec environ 10 autres herbes médicinales. Ces deux plantes, le "Chuanwu", racine de l'Aconitum Carmichaeli et le "Caowu", racine de l'Aconitum Kusnezofii, sont réputées posséder des effets antiinflammatoires,analgésiques et cardiotoniques et ont été utilisées en phytothérapie chinoise pour le traitement des troubles musculo-squelettiques. Elles contiennent des alcaloïdes diterpéniques C19 hautement toxiques dont l'aconitine, la mésaconitine et l'hypaconitine. À noter cependant que le type d'alcaloïdes et la quantité présente dans chaque plante peuvent varier selon l'espèce, l'origine, le moment de la récolte et la méthode de préparation et sont des facteurs déterminants de la sévérité de l'intoxication.

    Après ingestion, la plupart des patients se présentent avec des signes neurologiques (paresthésies de la bouche et de la langue progressant vers des paresthésies périphériques et faiblesse musculaire généralisée), des signes cardiovasculaires (hypotension, bradycardie, arythmies ventriculaires) et des signes gastro-intestinaux (nausées, vomissements). Le décès, causé par les arythmies ventriculaires, survient habituellement en moins de 24 heures. Le taux de mortalité serait d'environ 6%, selon les auteurs.

    Le traitement de l'intoxication par l'aconitine est essentiellement symptomatique puisqu'il n'existe pas d'antidote spécifique. Si le délai depuis l'ingestion est court, des méthodes de décontamination gastro-intestinales incluant l'administration de charbon activé peuvent être utiles. La tension artérielle et le rythme cardiaque de tous les patients devraient être surveillés pendant au moins 24 heures. En conclusion, tous les médecins devraient connaître la toxicité potentielle des différentes espèces d'Aconitum et savoir que ces plantes peuvent se retrouver dans les médicaments chinois disponibles au Canada.

  • Perharic L, Shaw D, Leon C, De Smet PAGM, Murray VSG (1995) Possible Association of Liver Damage with the Use of Chinese Herbal Medicine for Skin Diseases.Vet Hum Toxicol 37(6):562-566.

    Les auteurs rapportent dans cet article 11 cas de dommages hépatiques consécutifs à l'utilisation prolongée de médicaments traditionnels chinois pour le traitement d'affections dermatologiques.

    La probabilité d'une association étiologique est élevée dans deux cas au cours desquels il y a eu récupération et retour à la normale de la fonction hépatique après l'arrêt du médicament et récurrence de l'hépatite lorsque le médicament a été ingéré à nouveau. Dans deux autres cas, la possibilité d'une association étiologique a été suggérée par la coïncidence entre l'évolution de l'affection hépatique et la consommation de médicaments traditionnels chinois, la récupération de la fonction hépatique après l'arrêt des médicaments traditionnels chinois et l'exclusion d'autres causes possibles d'hépatotoxicité. Parmi les autres cas, deux n'ont pas été retenus en raison du manque d'informations, deux autres auraient pu être associés aux médicaments traditionnels chinois mais aussi à d'autres causes telles que des infections virales ou la prise concomitante de flucloxacilline. Enfin, trois patients asymptomatiques avaient des tests de la fonction hépatique anormaux.

    Il n'est pas facile de déterminer un agent causal dans ces situations. En effet, les médicaments traditionnels chinois utilisés par les patients contenaient entre 10 à 25 ingrédients, soit un total de 43 ingrédients différents incluant 40 espèces de plantes, un champignon, des extraits animaux et un produit inorganique. Parmi les produits présents, la Glycyrrhiza (réglisse) et la Scuttellaria (skullcap) ont déjà été tenues responsables de dommages hépatiques. Le mécanisme responsable de l'hépatotoxicité n'a pas été élucidé. Les effets ne semblent pas être proportionnels à la dose et pourraient être idiosyncrasiques.

    Des études récentes ont démontré que certains médicaments traditionnels chinois se sont avérés efficaces dans le traitement d'affections dermatologiques sévères. Cependant, leur utilisation chez certains patients prédisposés peut entraîner des dommages hépatiques qui pourraient même être fatals.

    La complexité des cas rapportés par Perharic et al. illustre bien la nécessité d'une surveillance continuelle de la consommation des médicaments traditionnels chinois, incluant une évaluation régulière de la fonction hépatique et exigeant l'arrêt de ces médicaments lorsque des anomalies sont décelées.

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 12, Numéro 2, juillet 1996