Présence de lévamisole chez les utilisateurs de cocaïne

Volume 27, Numéro 4

Auteur(s)
Pierre-André Dubé
B. Pharm., Pharm. D., M. Sc., C. Clin. Tox., Pharmacien-toxicologue, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

En avril 2010, l’équipe de toxicologie clinique de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) publiait un communiqué de toxicovigilance sur l’agranulocytose induite par la consommation de cocaïne coupée au lévamisole(1). À ce moment, sur un échantillon de dix individus décédés en octobre 2009 et positifs pour la benzoylecgonine sanguine (métabolite de la cocaïne), huit démontraient une présence concomitante de lévamisole sanguin. Une étude californienne montre quant à elle que 169/191 (88 %) des dépistages urinaires positifs pour la cocaïne par immunoessai en octobre 2009 étaient aussi positifs pour le lévamisole lorsque confirmés par LC-MS-MS(2).

Selon les statistiques de fréquentation du site Internet de l’INSPQ, le format PDF du communiqué de toxicovigilance destiné aux professionnels de la santé au sujet du lévamisole a été consulté plus de 2 044 fois depuis sa publication le 7 avril 2010. De ce nombre, 805 consultations ont été enregistrées en avril 2010 suivies de 45 à 154 par mois jusqu’aux dernières données publiées en août 2011. Ceci démontre l’intérêt des professionnels quant à cette problématique et la pertinence de la publication des résultats de toxicovigilance. Malgré tout, la vigilance doit désormais aller plus loin que l’agranulocytose. En effet, de récentes publications scientifiques montrent également la présence de vasculopathies spécifiques aux consommateurs de cocaïne coupée au lévamisole(3-13).

Depuis fin 2009, le Laboratoire de toxicologie de l’INSPQ effectue systématiquement une recherche de lévamisole lors de son dépistage général par GC-MS. Le but de cet article est de décrire brièvement les résultats obtenus.

Méthode

À l’aide de requêtes SQL, nous avons extrait de la base « LIMS » du Laboratoire de toxicologie toutes les données suivantes : analyses effectuées par le laboratoire entre le 1er janvier 2009 et le 31 août 2011, présence de lévamisole au dépistage général par GC-MS, présence de benzoylecgonine ou de cocaïne ou les deux au dépistage général par GC-MS ou au dépistage par LC-MS-MS, dosage de benzoylecgonine ou de cocaïne ou les deux par LC-MS-MS, pour les principales matrices (urine, sang, sérum, liquide oculaire). Les patients qui n’ont pu avoir de dépistage général par GC-MS ont été exclus de cette étude. Étant donné les limites de la base de données « LIMS », les résultats ont été analysés au cas par cas. Seules les cent dernières analyses démontrant une consommation de cocaïne seront présentées brièvement dans cet article.

Résultats

Selon la base de données du Laboratoire de toxicologie, 695 individus ont eu un ou plusieurs dépistages positifs de cocaïne ou de benzoylecgonine entre le 1er janvier 2009 et le 31 août 2011. En commençant par les dernières analyses effectuées, 157 des dossiers ont dû être analysés individuellement pour en inclure 100 à l’étude. La plupart des dossiers exclus étaient d’individus vivants, dont la demande de dépistage de cocaïne n’incluait pas le dépistage du lévamisole par GC-MS.

Pour ces 100 dossiers, les principaux résultats sont les suivants :

  • Individus vivants : 6/100
  • Individus décédés (cas de coroner) : 94/100
  • Période : décembre 2010 à août 2011
    • Cocaïne (+), benzoylecgonine (+), mais lévamisole (-) : 28/100
    • Cocaïne (-), benzoylecgonine (+) mais lévamisole (-) : 19/100
    • Cocaïne (+), benzoylecgonine (+), et lévamisole (+) : 46/100
    • Cocaïne (-), benzoylecgonine (+), et lévamisole (+) : 5/100
    • Cocaïne (-), benzoylecgonine (-), mais lévamisole (+) : 2/100

Puisque le dépistage général par GC-MS est effectué systématiquement pour tous les cas de coroner, il n’est pas étonnant que la plupart des dossiers proviennent d’individus décédés. Il faut faire attention lors de l’interprétation de ces résultats, car le décès n’est pas nécessairement relié à la présence de cocaïne et de lévamisole. Les deux cas où seul le lévamisole était rapporté positif, étaient chez des individus vivants dont la demande de dépistage pour confirmer la présence de lévamisole provenait d’un centre hospitalier. Le dépistage de la cocaïne n’a donc pas eu lieu à notre laboratoire, mais on peut assumer que le résultat est positif. Somme toute, on a pu détecter dans 53 cas sur 100 la présence concomitante de lévamisole, principalement lorsque la cocaïne est encore présente et qu’elle n’est pas complètement métabolisée en benzoylecgonine et en d’autres métabolites.

Conclusion

Les données présentées indiquent que la cocaïne actuellement disponible sur le marché noir au Québec est toujours coupée avec le lévamisole. Malgré tout, les cliniciens québécois ne semblent pas enclins à confirmer la présence de lévamisole chez leurs patients cocaïnomanes, peut-être pour éviter les frais d’une analyse supplémentaire ou par ignorance de ce service analytique. Il serait dans ce cas plus avantageux sur le plan économique et de veille scientifique d’ajouter le lévamisole ainsi que les autres agents de coupe (ex. : diltiazem, lidocaïne) directement dans les méthodes de dépistage et de dosage de la cocaïne par LC-MS-MS.

Remerciements

Monsieur Alain Rodrigue, coordonnateur technique au Laboratoire de toxicologie, pour l’extraction initiale des données.

Pour toute correspondance

Pierre-André Dubé
Rédacteur en chef – Bulletin d’information toxicologique
Institut national de santé publique du Québec
945, avenue Wolfe, 4e étage, Québec (Québec) G1V 5B3
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Télécopieur : 418 654-2148
Courriel : [email protected]

Références

  1. Dubé PA. Agranulocytose induite par la consommation de cocaïne contaminée au lévamisole. Institut national de santé publique du Québec 2010-04-07; [En ligne] http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1074_AgranulocytoseCocaineContaminee.pdf (consulté le 2011-09-13).
  2. Lynch KL, Dominy SS, Graf J, Kral AH. Detection of levamisole exposure in cocaine users by liquid chromatography-tandem mass spectrometry. J Anal Toxicol 2011 Apr;35(3):176-8.
  3. Poon SH, Baliog CR, Jr., Sams RN, Robinson-Bostom L, Telang GH, Reginato AM. Syndrome of Cocaine-Levamisole-Induced Cutaneous Vasculitis and Immune-Mediated Leukopenia. Semin Arthritis Rheum 2011 Aug 23.
  4. Ullrich K, Koval R, Koval E, Bapoje S, Hirsh JM. Five consecutive cases of a cutaneous vasculopathy in users of levamisole-adulterated cocaine. J Clin Rheumatol 2011 Jun;17(4):193-6.
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  10. Chung C, Tumeh PC, Birnbaum R, Tan BH, Sharp L, McCoy E, Mercurio MG, Craft N. Characteristic purpura of the ears, vasculitis, and neutropenia-a potential public health epidemic associated with levamisole-adulterated cocaine. J Am Acad Dermatol 2011 Jun 7.
  11. Lung D, Lynch K, Agrawal S, Armenian P, Banh K. Images in emergency medicine. Adult female with rash on lower extremities. Vasculopathic purpura and neutropenia caused by levamisole-contaminated cocaine. Ann Emerg Med 2011 Mar;57(3):307, 311.
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Dubé, PA. Présence de lévamisole chez les utilisateurs de cocaïne. Bulletin d’information toxicologique 2011-10-11. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/presence-de-levamisole-che…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 27, Numéro 4, octobre 2011