Le triacétate d'uridine: un nouvel antidote pour le traitement de l'intoxication au 5-fluorouracil

Volume 27, Numéro 2

Auteur(s)
Martin Laliberté
M.D., M. Sc, FRCPC, FACMT, Urgentologue, Centre universitaire de Santé McGill, Consultant en toxicologie clinique, Centre antipoison du Québec, Président, Association canadienne des centres antipoison

Introduction

Les intoxications aux antinéoplasiques sont relativement rares et sont souvent le résultat d’erreurs thérapeutiques. Les conséquences cliniques peuvent s’avérer très sérieuses étant donné le faible index thérapeutique de cette classe de médicaments. Les erreurs thérapeutiques qui surviennent avec les antinéoplasiques peuvent être causées par plusieurs facteurs comme par exemple l’absence de mesures de contrôle, le manque de familiarité avec le dosage des antinéoplasiques selon la surface corporelle ou encore l’inexpérience de certains professionnels de la santé(1).

Des antidotes efficaces sont disponibles pour certains antinéoplasiques. Ces antidotes sont parfois utilisés pour usage thérapeutique en oncologie médicale permettant ainsi l’utilisation de doses d’antinéoplasiques plus importantes. Ils peuvent être également d’une grande utilité dans une situation d’intoxication accidentelle.

Intoxications par le 5-fluorouracil

Le 5-fluorouracil (5-FU) est un agent antinéoplasique d’utilisation courante pour le traitement de cancers colorectaux et d’autres tumeurs solides. C’est un analogue de la pyrimidine qui possède un faible index thérapeutique et qui est souvent administré par pompe intraveineuse à des doses près des doses maximales tolérées. Plusieurs cas d’intoxications accidentelles au 5-FU sont publiés dans la littérature médicale. Chaque année, aux États-Unis, le 5-FU est administré à environ 275 000 patients dans le cadre d’un régime de chimiothérapie pour le traitement de tumeurs cancéreuses et parmi ces cas, environ 3 % des patients traités vont développer des effets toxiques majeurs. Des patients décèdent chaque année des effets toxiques du 5-FU, à la suite de l’administration d’une dose excessive ou d’une administration accidentelle trop rapide(2). La toxicité clinique du 5-fluorouracil se manifeste principalement par des effets gastro-intestinaux et hématologiques.

Le résumé de Hon et collab. (publié en 2010) rapporte le cas d’une intoxication accidentelle au 5-FU potentiellement fatale traitée avec le triacétate d’uridine(2). Un patient de 43 ans porteur d’un adénocarcinome colorectal avec métastases hépatiques reçoit par erreur une dose potentiellement létale de 5-FU, lors d’un cycle de chimiothérapie. Il reçoit une dose de charge de 900 mg de 5-FU en bolus intraveineux, suivie d’une deuxième dose de 2 800 mg devant être administrée sur une période de 72 heures par pompe intraveineuse. En raison d’un problème technique de la pompe, la deuxième dose est administrée au patient en deux heures. L’erreur est rapidement constatée et le patient est immédiatement admis à l’unité des soins intensifs pour investigation et traitement. Le patient est rapidement hémodialysé pendant une période de trois heures, bien que l’efficacité de l’hémodialyse ne soit pas documentée dans la prise en charge d’une intoxication accidentelle au 5-FU. La dose totale de 5-FU administrée au patient est évaluée à 3 700 mg ou 38 mg/kg, ce qui représente une dose potentiellement létale. Après consultation en oncologie et auprès d’un centre antipoison, le patient est identifié comme étant candidat pour l’administration de triacétate d’uridine, un nouvel antidote en investigation aux États-Unis pour le traitement de la toxicité associée au 5-FU. Les démarches nécessaires pour contacter le fabricant de l’antidote sont entreprises. Le triacétate d’uridine est administré 22 heures après l’intoxication à raison de 44 grammes par jour par voie orale divisé en quatre doses pendant cinq jours. À l’issue du traitement, l’évolution du patient est excellente. Au cours de son hospitalisation, il ne présente aucun vomissement, aucune lésion de la muqueuse orale, ni de la peau, aucune évidence de dysfonction hépatique ou rénale, ni aucun signe de toxicité cardiaque. De plus, la leucocytose, l’hémoglobine ainsi que le décompte plaquettaire demeurent normaux. Pendant son séjour à l’hôpital, le patient ne montre qu’une thrombophlébite profonde qui est sans relation directe avec son intoxication. Le patient quitte l’hôpital sept jours suivant son intoxication au 5-fluorouracil. Il est revu en clinique d’oncologie onze jours après son intoxication et il ne présente à ce moment aucun signe de toxicité au 5-FU ni d’évidence de myélosuppression.

Le 5-FU est un antimétabolite analogue de la pyrimidine qui, à la suite à son administration, est scindé in vivo en deux métabolites cytotoxiques : le triphosphate de fluorouridine (FUTP) et le monophosphate de fluorodésoxyuridine (5-FdUMP). L’effet antitumoral du 5-FU est principalement attribuable au 5-FdUMP qui possède un effet inhibiteur de la thymidylate synthétase, une enzyme qui joue un rôle important dans la synthèse de l’ADN. L’autre métabolite, le FUTP, est incorporé à l’ARN cellulaire et interfère avec le métabolisme cellulaire normal. Les effets toxiques non-désirables du 5‑FU sont principalement reliés aux effets cellulaires du FUTP(2).

Après une intoxication, la toxicité clinique du 5-FU se manifeste au cours des premiers jours (3 à 7 jours), par des effets gastro-intestinaux : anorexie, nausées, vomissements, diarrhée, ulcérations des muqueuses, hémorragie digestive avec déshydratation et anomalies électrolytiques. Les effets toxiques hématologiques suivront ensuite : agranulocytose et myélosuppression avec septicémie pouvant conduire au décès. De plus, une neuropathie périphérique, une cardiomyopathie et des lésions cutanées sont également rapportés(1). Le 5-FU est un agent antinéoplasique qui possède un faible index thérapeutique et sa toxicité dépend à la fois de la dose totale administrée et de la vitesse d’administration. Des effets toxiques sévères et des décès sont rapportés avec l’administration de doses de 20 à 25 mg/kg. Chez l’adulte, une dose de 3 000 mg administrée en une heure est considérée comme possiblement fatale.

Triacétate d’uridine

Aucun antidote n’était disponible jusqu’à présent pour le traitement des intoxications accidentelles par le 5-FU. Le traitement de l’intoxication était essentiellement un traitement de support. Cependant, il est connu depuis plusieurs années que les effets toxiques du 5-FU peuvent être renversés chez l’animal par l’administration d’uridine, un nucléoside pyrimidique naturel qui représente l’un des quatre constituants de base de l’ARN. Après administration, l’uridine est transformée en triphosphate d’uridine qui entre en compétition avec le métabolite toxique du 5-FU, le FUTP, pour incorporation dans l’ARN des cellules normales de l’organisme. L’uridine peut donc prévenir la toxicité cellulaire du 5-FU pour les tissus normaux du tractus gastro-intestinal et du système hématopoïétique. Cet effet protecteur de l’uridine ne diminue en rien l’efficacité thérapeutique du 5-FU en raison d’une utilisation différente de l’uridine entre les cellules normales et les cellules cancéreuses(3).

L’uridine ne possède pas les caractéristiques nécessaires qui peuvent en faire un antidote pratique pour usage clinique. En effet, la biodisponibilité de l’uridine par voie orale est faible et son administration par voie intraveineuse est problématique en raison d’une possibilité de réactions systémiques sévères. Le triacétate d’uridine est un précurseur de l’uridine qui peut être utilisé par voie orale. L’absorption gastro-intestinale du triacétate d’uridine est facilitée par une plus grande liposolubilité qui favorise son transport à travers la muqueuse intestinale. Après administration, le triacétate d’uridine est désacétylé en uridine. Son utilité comme antidote potentiel au 5-FU est connue depuis quelques années. L’usage du triacétate d’uridine a été proposé afin d’augmenter la tolérance de doses plus importantes de 5-FU qui peuvent être administrées en usage thérapeutique(4).

L’utilité du triacétate d’uridine comme antidote pour le traitement de l’intoxication au 5‑FU est également rapporté ailleurs dans la littérature. Le résumé de Bamat et collab. (publié en 2010) rapporte une série de 28 patients traités avec le triacétate d’uridine par voie orale, pour des intoxications accidentelles au 5-FU, à raison de 10 grammes aux 6 heures pour un total de 20 doses. Tous les patients traités ont survécu avec récupération complète et réduction importante des effets gastro-intestinaux et hématologiques anticipés, y compris un patient exposé au 5-FU à une dose 10 fois supérieure à celle recommandée. L’auteur compare ces résultats à une cohorte historique de 43 patients avec une intoxication au 5-FU traités de façon conventionnelle, dont 39 patients sont décédés(5).

Conclusion

Le 5-fluorouracil est un agent antinéoplasique d’utilisation courante qui présente des risques significatifs lors d’une intoxication accidentelle. Le triacétate d’uridine, un précurseur de l’uridine, semble être un antidote efficace et sécuritaire pour le traitement de l’intoxication au 5-FU. L’administration rapide de triacétate d’uridine peut réduire de manière importante la toxicité gastro-intestinale et hématologique, ainsi que la mortalité associée à une intoxication accidentelle au 5-FU. Les résultats obtenus après l’administration de triacétate d’uridine semblent être supérieurs comparés à ceux obtenus avec un traitement de support. Des études cliniques supplémentaires seront nécessaires afin d’évaluer son efficacité comme antidote dans l’intoxication au 5-FU.

Pour toute correspondance

Martin Laliberté
Centre antipoison du Québec
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Références

  1. Wang R. Antineoplastics overview (Chapter 52). Goldfrank’s Toxicological Emergencies. 9th Edition. New York: McGraw-Hill, 2011, 770-777.
  2. Hon et al. 5-fluorouracil overdose: A case of potential fatal toxicity treated with a unique investigational antidote. Clin Toxicol 2010; 48(6): 612.
  3. Van Groeningen C et al. Clinical and pharmacological study of orally administered uridine. J Natl Cancer Inst 1991; 83: 437-441.
  4. Saif MW et al. 5-fluorouracil dose escalation enabled with PN401 (triacetyluridine): toxicity reduction and increased antitumor activity in mice. Cancer Chemother Pharmacol 2006; 58: 136-142.
  5. Bamat MK et al. Uridine triacetate: An orally administered, life-saving antidote for 5-fluorouracil. J Clin Oncol 2010; 28(15): 9084.

Laliberté M. Le triacétate d'uridine: un nouvel antidote pour le traitement de l'intoxication au 5-fluorouracil. Bulletin d'information toxicologique 2011-04-15. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/le-triacetate-d-uridine-un…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 27, Numéro 2, avril 2011