La taurine et les boissons énergisantes

Volume 26, Numéro 1

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Auteur(s)
Pierre-Yves Tremblay
M. Sc., Pharmacologue, Institut national de santé publique du Québec

Révision scientifique:
Lyse Lefebvre, B. Pharm.
, Pharmacienne, Institut national de santé publique du Québec
Pierre-André Dubé, M. Sc., Pharmacien, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

Depuis plusieurs années, on consomme la taurine en tant que suppléments alimentaires pour ses nombreux effets bénéfiques sur le corps humain. Cet acide aminé fait également partie de la gamme des composés actifs généralement retrouvés dans les boissons énergisantes. La quantité de taurine retrouvée dans les suppléments va principalement de 300 à 1000 mg alors qu’une cannette de boisson énergisante peut en contenir de 25 à 4000 mg. 

Les effets dits « bénéfiques » de cette molécule sont bien connus de la communauté scientifique, mais il en est tout autrement pour ses effets indésirables, qui restent encore à ce jour très peu documentés. La grande majorité des études concernant la taurine ont été réalisées à partir des formulations de suppléments alimentaires. À ce jour, aucune étude sur les boissons énergisantes n’a étudié les effets spécifiques de la taurine isolément. 

En date de 2009, aucune étude n’a démontré que la biodisponibilité et les effets physiologiques de la taurine en comprimé sont comparables aux doses de taurine retrouvées dans les boissons énergisantes.

Source

La taurine se retrouve naturellement dans la viande et les produits laitiers (1). Elle est considérée comme un acide aminé dit « conditionnellement » non essentiel, ce qui signifie qu’elle peut être synthétisée de manière endogène par le corps humain, mais qu’il est possible que l’organisme ne puisse la synthétiser en quantité suffisante afin de compenser son élimination lors d’un stress ou d’une activité physique intense. Généralement, la synthèse endogène de taurine suffit aux besoins de l’organisme et un apport alimentaire (exogène) n’est pas nécessaire. Les quantités contenues dans une ou plusieurs boissons énergisantes peuvent se situer bien au-delà de la quantité fournie par une alimentation typique, qui est estimée entre 40 à 400 mg/j (2). La taurine est toutefois indispensable au développement des systèmes cérébral et visuel de l’enfant. En effet, étant inapte à produire lui-même cet acide aminé. L’enfant satisfait l’intégralité de ses besoins en taurine grâce au lait maternel qui en contient approximativement 42 mg/l (3).

On retrouve la taurine endogène principalement dans le cerveau, la rétine, le myocarde et les fibres musculaires de type II, mais également à plus faible concentration dans la rate, les reins, le foie et le pancréas (4).

La synthèse de la taurine, dans laquelle les vitamines B6 et B12 jouent un rôle important de coenzymes, est résumée dans le schéma 1 (voir version pdf) (5). Un individu ayant une carence en vitamines B6 et B12 pourra difficilement synthétiser de la taurine.

Pharmacocinétique

La taurine possède une très bonne biodisponibilité lorsqu’ingérée. Elle est facilement et rapidement absorbée par le tractus gastro-intestinal, se retrouve rapidement dans la circulation sanguine et est largement distribuée dans les tissus (6). Suite à l’ingestion d’un repas riche en taurine, des chercheurs ont constaté que le pic plasmatique survenait après 90 min. Par la suite, les niveaux plasmatiques redescendent au niveau endogène en 180 à 270 min (7). La taurine est principalement éliminée inchangée dans l’urine. Cependant, comme il y a synthèse endogène de taurine, il est difficile d’évaluer précisément certains paramètres cinétiques comme la demi-vie, le volume de distribution et le pourcentage excrété par les différentes voies d’élimination (6).

On a constaté récemment qu’une augmentation de la dose orale de taurine (30 mg/kg à 300 mg/kg) n’augmente pas de manière significative la concentration de taurine au cerveau (6). Il est donc permis de croire que les mécanismes de transports de la taurine au niveau du système nerveux central seraient rapidement saturables.

Effet physiologique

La taurine joue un rôle important dans la digestion et l’absorption des lipides. Sa conjugaison à l’acide biliaire pour former des sels biliaires permet l’émulsification des graisses, améliorant ainsi leur absorption. La taurine, qui est un acide aminé souffré, est également impliquée dans les processus de détoxification au niveau du foie (8).

Une étude chez le rat a démontré que des suppléments de taurine, allant de 0,25 à 50 g/kg, contribueraient grandement à la diminution des taux de LDLcholestérol, le « mauvais » cholestérol, tout en faisant augmenter le HDLcholestérol soit le « bon » cholestérol. Cette théorie n’a toutefois pas encore été démontrée chez l’humain (9). 

Selon un groupe de chercheurs chinois, la taurine aurait également des propriétés anxiolytiques significatives. Cet effet serait médié par l’interaction de la taurine sur les systèmes sérotoninergique (5-HT) et GABAnergique (10). La taurine pourrait également agir comme neurotransmetteur inhibiteur du même type que le GABA et comme neuromodulateur des récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate), reliés à certaines fonctions de la mémoire (11).

D’autres résultats indiquent que la taurine aurait deux effets marquants sur les cellules musculaires du myocarde, les cardiomyocytes. Elle permettrait, en premier lieu, de régulariser l’excitabilité du myocarde, en contrôlant les transferts membranaires osmotiques et ioniques impliquant le potassium, le calcium et le sodium. Deuxièmement, elle pourrait renforcer la contractilité cardiaque, diminuant par le fait même les risques d’arythmie. Une diminution de la pression artérielle, un effet vasodilatateur et une augmentation du rythme cardiaque seraient également observés dans certains cas (12). De plus, la taurine possèderait des propriétés antioxydantes. Des chercheurs ont démontré que la taurine aiderait à l’accélération et à l’amélioration de la réparation de certains organes, comme les reins, touchés par divers stress oxydatifs provoqués par la présence d’éthylène glycol ou de chlorure d’ammonium (13).

Finalement, elle aurait le pouvoir d’inhiber quelques-uns des effets générés par la surconsommation d’alcool, principalement la somnolence, les effets néfastes sur la mémoire et les dommages causés au foie et à la muqueuse gastrique. L'ingestion d'alcool entraîne une augmentation de la concentration en taurine dans le cerveau et au système nerveux central en modifiant la transmission de l'influx nerveux, ce qui provoque la sécrétion de taurine. Une élévation du taux de taurine au cerveau semblerait avoir un effet régulateur sur la prise d'alcool et pourrait être utilisée pour contrer une dépendance à celle-ci. En fait, la taurine supprimerait l’hyperexcitation neuronale provoquée par la consommation d’alcool (14).

En dépit des effets nombreux et pour le moins diversifiés de la taurine, il est impossible pour l’instant de déterminer lesquels de ces effets sont présents à la suite de consommation de boissons énergisantes, puisqu’aucune étude n’a encore été réalisée à ce sujet. En plus des effets connus et confirmés de la taurine, quelques études sont en cours afin d’évaluer des hypothèses concernant d’autres effets possibles de celle-ci, par exemple, des effets sur l’humeur et sur les performances cognitives. La taurine possède un large éventail d’effets physiologiques (15,16). Cependant rien n’indique pour l’instant que tous ces effets pourraient être présents chez les personnes consommant des boissons énergisantes. Le tableau 1 (voir version pdf) énumère les différents effets physiologiques potentiels de la taurine.

Effets indésirables

Il existe peu d’informations concernant les effets négatifs résultant de la consommation de taurine. Bien que certaines études aient démontré la présence d’effets indésirables suite à la consommation de boissons énergisantes, aucune d’elles n’a pu associer ces effets à la présence de taurine dans ces breuvages. À forte dose, des cas de constipation et de diarrhée ont été rapportés chez quelques individus (17). La majorité des effets secondaires connus de la taurine ont été observés chez des patients déjà malades. Une étude a démontré que la taurine peut provoquer de l’hypothermie et de l’hypokaliémie chez certains patients ayant une insuffisance adrénocorticale (18). Une autre étude fait état de nausées, de céphalées, de vertiges et de troubles de la démarche chez certains patients épileptiques (18).

Toxicité

Différentes études rapportent des cas d’intoxication à la suite de surconsommation de boissons énergisantes associée ou non à une activité physique intense ou combinée avec l’ingestion d’une quantité considérable d’alcool. Cependant, dans chacun de ces cas, la cause exacte de l’intoxication est restée inconnue. Bien que la caféine soit hautement suspectée dans ces intoxications, il est difficile d’établir clairement l’innocuité de la taurine au sein des boissons énergisantes.

En 1999, le Scientific Committee on Food a conclu, grâce à diverses études toxicologiques, que la taurine ne démontrait aucun potentiel génotoxique, tératogène ou cancérogène (4).

Selon un avis scientifique publié par l'European Food Safety Authority, un groupe de chercheurs définit que : « En l’absence de nouvelles informations sur l’exposition chronique et aigüe, les expositions utilisées dans le présent avis reposent sur les données communiquées par le SCF en 2003, à savoir une consommation chronique journalière moyenne de 0,5 canette par personne et une exposition chronique élevée au 95e percentile de 1,4 canettes pour un consommateur régulier. Dans l’avis émis par le SCF en 2003, un nombre de 3 canettes/jour était considéré comme une consommation raisonnable élevée (aigüe)... » (4). 

La consommation chronique élevée et la consommation raisonnable élevée donnent respectivement des quantités moyennes de 1400 mg/j et de 3000 mg/j. L’exposition journalière moyenne en taurine provenant d’un régime alimentaire omnivore est estimée au maximum à 400 mg/j. En se basant sur une étude réalisée chez le rat, ce même groupe estime que la dose sans effet indésirable observé (DSEIO) de la taurine se situerait à 1500 mg de taurine/kg/j, ce qui est de loin supérieur à une consommation de 3000 mg/j chez un humain de 60 kg (50 mg/kg/j). La taurine étant un composé endogène, il n’est pas nécessaire d’établir une marge de sécurité pour appliquer ces données chez l’humain. Les auteurs concluent que l’exposition à la taurine aux niveaux présents dans les boissons énergisantes ne devrait pas susciter d’inquiétude sur le plan de la sécurité.

Interactions

Une seule interaction médicamenteuse importante est mentionnée dans la littérature avec les suppléments de taurine. Théoriquement, en raison de ses effets potentiels diurétiques, la taurine pourrait réduire l'excrétion de lithium et en augmenter les niveaux sanguins. La dose de lithium pourrait devoir être diminuée lors de consommation concomitante de taurine.

Conclusion

Selon l’état des connaissances actuelles, une exposition à la taurine aux concentrations retrouvées dans les boissons énergisantes ne devrait pas susciter d’inquiétude en ce qui concerne la santé publique. La très faible présence d’effets indésirables, jumelée à l’écart considérable entre la DSEIO et les concentrations de taurine dans les boissons énergisantes permettent d’arriver à cette conclusion.

Pour l’instant il n’y a pas vraiment d’évidence indiquant que la taurine pourrait représenter un risque pour la santé humaine. Cependant, de plus amples études sont nécessaires pour établir l’innocuité de la consommation de taurine à long terme. Une étude québécoise est en cours sur la taurine, les résultats sont attendus vers 2011. Cette étude a pour but d’isoler l’effet de la taurine sur le plan cardiovasculaire. L’hypothèse actuelle est que l’effet de la taurine potentialiserait celui de la caféine.

Références

  1. Laidlaw SA, Grosvenor M, Kopple JD. The taurine content of common foodstuffs. JPEN J Parenter Enteral Nutr 1990 Mar;14(2):183-8.
  2. Shao A, Hathcock JN. Risk assessment for the amino acids taurine, L-glutamine and L-arginine. Regul Toxicol Pharmacol 2008 Apr;50(3):376-99.
  3. Kaplan LA, Pesce AJ, Kazmierczak SC. Human nutrition. Clinical chemistry: theory, analysis, correlation. 4th ed. St. Louis: Mosby; 2003. p. 695-706.
  4. Aguilar F, Charrondiere UR, Dusemund B, Galtier P, Gilbert J, Gott DM. The use of taurine and d-glucurono-gamma-lactone as constituents of the so-called "energy" drinks. Scientific Opinion of the Panel on Food Additives and Nutrient Sources added to Food. The EFSA Journal 2009;935:1-31.
  5. Obeid OA, Johnston K, Emery PW. Plasma taurine and cysteine levels following an oral methionine load: relationship with coronary heart disease. Eur J Clin Nutr 2004 Jan;58(1):105-9.
  6. Sved DW, Godsey JL, Ledyard SL, Mahoney AP, Stetson PL, Ho S, Myers NR, Resnis P, Renwick AG. Absorption, tissue distribution, metabolism and elimination of taurine given orally to rats. Amino Acids 2007;32(4):459-66.
  7. Trautwein EA, Hayes KC. Plasma and whole blood taurine concentrations respond differently to taurine supplementation (humans) and depletion (cats). Z Ernahrungswiss 1995 Jun;34(2):137-42.
  8. Chesney RW, Helms RA, Christensen M, Budreau AM, Han X, Sturman JA. The role of taurine in infant nutrition. Adv Exp Med Biol 1998;442:463-76.
  9. Yokogoshi H, Oda H. Dietary taurine enhances cholesterol degradation and reduces serum and liver cholesterol concentrations in rats fed a high-cholesterol diet. Amino Acids 2002;23(4):433-9.
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  11. Bichler A, Swenson A, Harris MA. A combination of caffeine and taurine has no effect on short term memory but induces changes in heart rate and mean arterial blood pressure. Amino Acids 2006 Nov;31(4):471-6.
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  13. Aruoma OI, Halliwell B, Hoey BM, Butler J. The antioxidant action of taurine, hypotaurine and their metabolic precursors. Biochem J 1988 Nov 15;256(1):251-5.
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  17. Taurine. In: Klasco RK (Ed); AltMedDex® System.Thomson Reuters, Greenwood Village, Colorado. [142]. 2009. 
  18. Clauson KA, Shields KM, McQueen CE, Persad N. Safety issues associated with commercially available energy drinks. J Am Pharm Assoc (2003) 2008 May;48(3):e55-e63.

Tremblay PY. La taurine et les boissons énergisantes. Bulletin d’information toxicologique 2010;26(1):14-18. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/la-taurine-et-les-boissons…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 26, Numéro 1, mars 2010