Ingestion d’acétaminophène : quand la n-acétylcystéine ne suffit peut-être plus

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Auteur(s)
Sophie Gosselin
M.D., CSPQ, FRCPC, FAACT, Urgentologue et toxicologue médicale, CUSM, Consultante en toxicologie médicale, Centre antipoison du Québec, Consultante en toxicologie médicale, Poison & Drug Information Service, Alberta

Résumé

Dans certaines situations cliniques, telles les ingestions massives d’acétaminophène, les données actuelles montrent que l’administration de n-acétylcystéine selon le protocole habituel ne serait pas suffisante dans tous les types d’ingestion de ce produit. Le présent article résume les travaux du groupe EXTRIP ainsi que ses recommandations concernant l’utilisation de l’épuration extracorporelle dans le traitement de l’intoxication par l’acétaminophène comprenant une atteinte mitochondriale.

Introduction 

Le groupe international de recherche EXTRIP (http://www.extrip-workgroup.org) a publié en août dernier une revue systématique ainsi que des recommandations cliniques sur l’usage de l’épuration extracorporelle dans le traitement des intoxications par l’acétaminophène.(1)

Étant l’analgésique le plus utilisé au monde, l’acétaminophène (APAP) est aussi la cause la plus fréquente d’insuffisance hépatique engendrée par un médicament.(2,3) Les types d’ingestion associés à l’APAP, c’est-à-dire ceux qui sont rapportés dans la plupart des textes de référence, sont l’ingestion aiguë lorsque la prise du médicament se fait sur une période de moins de 2, 4 ou 8 h, l’ingestion chronique lorsque la prise du produit s’effectue sur plus de 24 h et l’ingestion échelonnée qui se caractérise par la prise de plusieurs doses thérapeutiques ou non thérapeutiques sur une période de plus de 8 h mais de moins de 24 h.

Depuis quelques années, un autre type d’ingestion est de plus en plus reconnu, soit l’ingestion massive de doses supérieures à 350 mg/kg. Cette ingestion diffère des autres types d’ingestion d’acétaminophène par la présentation précoce d’une altération de l’état de conscience et l’apparition précoce d’une acidose métabolique avec hyperlactatémie. De plus, la présentation de ce dernier type d’ingestion se distingue de la présentation habituelle de la toxicité de l’acétaminophène qui est constituée de quatre stades : le stade 1 : asymptomatique (0-24 h), le stade 2 : hépatite toxique (12-36 h), le stade 3 : insuffisance hépatique (36-96 h) et, finalement, le stade 4 : résolution ou décès.

L’acidose métabolique qui suit l’ingestion massive d’acétaminophène témoigne d’une atteinte mitochondriale. Ce type d’ingestion était peu documenté dans les études observationnelles sur l’efficacité de la n-acétylcystéine (NAC) menées au début des années 1990.(4,5) Selon les informations disponibles, il est incertain que le protocole actuel d’administration de la NAC, dérivé des calculs cinétiques de Prescott et de Rumack, soit suffisant pour prévenir les complications.(6) En effet, une étude animale a noté une mortalité de plus de 40 % même lors du recours à la NAC. Il est possible que d’autres mécanismes toxiques soient en cause ou que la production de métabolites toxiques tels que la NAPQI (N-acétyl-p-benzoquinone imine) excède l’apport de glutathion avec les doses de NAC employées présentement.(7)

C’est pourquoi l’élimination extracorporelle représente un traitement potentiel pour ce type d’intoxication, puisqu’elle permet d’éliminer l’acétaminophène le plus tôt possible de l’organisme avant que son métabolisme soit complet. En revanche, la NAPQI est une molécule instable difficilement mesurable dans le sang, donc il est incertain qu’elle soit dialysable.

Dans un autre ordre d’idées, le groupe EXTRIP a publié à la suite de ses travaux un article intéressant qui détaille les informations nécessaires pour publier un bon rapport de cas sur l’efficacité des techniques d’épuration extracorporelle.(8)

Méthodologie

La méthodologie du groupe a été publiée en 2012.(9) Un sous-groupe composé de trois toxicologues médicaux et d’un néphrologue a effectué la sélection des articles et la compilation des résultats. Le groupe a utilisé une méthode Delphi modifiée avec une discussion en personne entre les deux votes afin de déterminer les recommandations finales.

Résultats

Sur les 295 articles sélectionnés lors de la recherche initiale, seuls 24 ont été retenus. Il n’y avait qu’une seule étude randomisée, une étude observationnelle et vingt rapports de cas.(10,11) Les cas choisis représentaient des intoxications aiguës, et les diverses thérapies extracorporelles étaient employées pour l’élimination du poison et non dans le cadre du traitement de l’insuffisance hépatique ou rénale qui peut survenir au cours de l’évolution des intoxications par l’acétaminophène. Il est intéressant de noter que, dans les rapports de cas retenus, la NAC avait été administrée aux patients pour traiter la plupart des intoxications mentionnées dans ces rapports.

Le groupe a catégorisé l’acétaminophène comme étant une substance dialysable. Par contre, la NAPQI n’ayant pas été mesurée, il est impossible de statuer sur l’impact de la quantité de métabolites toxiques qui pourraient être éliminés à l’aide des techniques d’épuration extracorporelle. Quelques études plus récentes ont démontré que la NAC était éliminée lors de la dialyse; il est alors important d’ajuster la dose durant le traitement d’épuration extracorporelle (1D).(12-14)

Les recommandations du groupe concernant l’emploi des méthodes d’épuration extracorporelle sont présentées dans le tableau 1 (voir le document PDF). Dans ce tableau, il faut noter que l’indication principale d’épuration extracorporelle est la présence d’insuffisance mitochondriale ainsi que les concentrations d’acétaminophène susceptibles d’en résulter. La dose ingérée n’est pas un critère de dialyse. Le groupe émet par ailleurs une suggestion reflétant un moins large consensus (2D) que pour les autres indications concernant le critère unique de la concentration d’acétaminophène en l’absence de signes d’insuffisance mitochondriale pour des concentrations de moins de 6 620 µmol/L, qui, quant à elles, justifieraient la dialyse si la NAC n’était pas administrée.

L’hémodialyse est la méthode de choix (1D), suivie de l’hémoperfusion s’il est impossible de recourir à hémodialyse (1D). Les autres modalités sont non efficaces, excepté l’exsanguinotransfusion chez les nouveau-nés (2D).  

Conclusion

Bien que les recommandations du groupe EXTRIP soient très claires, c’est-à-dire que la méthode à privilégier dans le traitement de l’intoxication par l’acétaminophène demeure la NAC, l’évidence actuelle laisse croire que le protocole courant ne serait pas suffisant dans les cas d’ingestions massives d’APAP (supérieures à 350 mg/kg). Afin de contrer l’insuffisance mitochondriale qui est très souvent fatale, il est donc utile au médecin traitant susceptible de faire face à ce type d’intoxication de pouvoir considérer très rapidement l’usage de thérapies d’épuration extracorporelle.

Pour toute correspondance

Sophie Gosselin
Département de médecine d’urgence
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Références

  1. Gosselin S, Juurlink DN, Kielstein JT, Ghannoum M, Lavergne V, Nolin TD, et al. Extracorporeal treatment for acetaminophen poisoning: recommendations from the EXTRIP workgroup. Clin Toxicol (Phila) 2014;52(8):856-67.
  2. Mowry JB, Spyker DA, Cantilena LR Jr., Bailey JE, Ford M. 2012 Annual report of the American Association of Poison Control Centers' National Poison Data System (NPDS): 30th annual report. Clin Toxicol (Phila) 2013;51(10):949-1229.
  3. Leise MD, Poterucha JJ, Talwalkar JA. Drug-induced liver injury. Mayo Clin Proc 2014;89(1):95-106.
  4. Smilkstein MJ, Bronstein AC, Linden C, Augenstein WL, Kulig KW, Rumack BH. Acetaminophen overdose: a 48-hour intravenous N-acetylcysteine treatment protocol. Ann Emerg Med 1991;20(10):1058-63.
  5. Smilkstein MJ, Knapp GL, Kulig KW, Rumack BH. Efficacy of oral N-acetylcysteine in the treatment of acetaminophen overdose. Analysis of the national multicenter study (1976 to 1985). N Engl J Med 1988;319(24):1557-62.
  6. Rumack BH. Acetaminophen hepatotoxicity: the first 35 years. J Toxicol Clin Toxicol 2002;40(1):3-20.
  7. Miners JO, Drew R, Birkett DJ. Mechanism of action of paracetamol protective agents in mice in vivo. Biochem Pharmacol 1984;33(19):2995-3000.
  8. Lavergne V, Ouellet G, Bouchard J, Galvao T, Kielstein JT, Roberts DM, et al. Guidelines for reporting case studies on extracorporeal treatments in poisonings: methodology. Semin Dial 2014;27(4):407-14.
  9. Lavergne V, Nolin TD, Hoffman RS, Roberts D, Gosselin S, Goldfarb DS, et al. The EXTRIP (EXtracorporeal TReatments In Poisoning) workgroup: guideline methodology. Clin Toxicol (Phila) 2012;50(5):403-13.
  10. Gazzard BG, Willison RA, Weston MJ, Thompson RP, Williams R. Charcoal haemoperfusion for paracetamol overdose. Br J Clin Pharmacol 1974;1(3):271-5.
  11. Higgins RM, Goldsmith DJ, MacDiarmid-Gordon A, Taberner D, Venning MC, Ackrill P. Treating paracetamol overdose by charcoal haemoperfusion and long-hours high-flux dialysis. QJM 1996;89(4):297-306.
  12. Hernandez SH, Howland MA, Schiano T, Hoffman RS. Pharmacokinetics of N-acetylcysteine during renal replacement therapies (RRTs). Clin Toxicol 2013;51 (7):579.
  13. Grunbaum AM, Kazim S, Ghannoum M, Kallai-Sanfacon MA, Mangel R, Villeneuve E, et al. Acetaminophen and n-acetylcysteine dialysance during hemodialysis for massive ingestion. Clin Toxicol 2013;51 (4):270-1.
  14. Sivilotti ML, Juurlink DN, Garland JS, Lenga I, Poley R, Hanly LN, et al. Antidote removal during haemodialysis for massive acetaminophen overdose. Clin Toxicol (Phila) 2013;51(9):855-63. 

Gosselin S. Ingestion d’acétaminophène : quand la n-acétylcystéine ne suffit peut-être plus. Bulletin d’information toxicologique 2014;30(3):69-72. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/ingestion-d-acetaminophene…