Hyperthermie induite par les amphétamines : un danger bien réel

Auteur(s)
Marie-Pier Ferland
B. Sc. inf., CSPI, Infirmière clinicienne, Centre antipoison du Québec
Olivier Jacques-Gagnon
B. Sc. inf., CSPI, Infirmier clinicien, Centre antipoison du Québec

Résumé

La consommation des amphétamines et de leurs dérivés est un problème de société reconnu. Le Centre antipoison du Québec a noté une augmentation de la gravité des cas rapportés. L’hyperthermie est un élément majeur pouvant assombrir le pronostic, et différents facteurs peuvent contribuer à son développement. Peu importe les causes de l’hyperthermie associée à la prise d’amphétamines, le traitement optimal demeure une prise en charge rapide où il y a contrôle de l’agitation et refroidissement externe vigoureux. 

Introduction

Malgré une augmentation de la consommation d’amphétamines, de cathinones (communément nommées sels de bain) et de leurs dérivés, la consommation de 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA) est demeurée relativement stable au cours des dernières années. Le Centre antipoison du Québec (CAPQ) rapporte une augmentation du nombre de patients développant des effets indésirables graves en raison d’une intoxication par ces substances(1).

Selon le rapport de 2015 de la Drug Enforcement Administration (DEA), le Canada se classe au premier rang en ce qui concerne la production et l’exportation de MDMA vers les États-Unis(2). La facilité d’accès à cette drogue peut amener chez certains une tendance à en banaliser les effets. Il est cependant possible de noter plusieurs conséquences néfastes suivant la prise d’amphétamines, dont des troubles cognitifs et psychologiques lors d’usages répétés de même que des complications pouvant mettre la vie des patients en péril comme l’hyperthermie, la rhabdomyolyse, le syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique (SIADH) et la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).

Les deux cas présentés dans cet article, qui se sont produits au cours des six derniers mois, relatent des expositions graves aux amphétamines, et l’hyperthermie semble être un élément central dans ces cas.

Description de cas

Cas 1

Un homme de 20 ans, sans antécédent médical, est trouvé dans un état d’agitation et de confusion. Il aurait consommé des amphétamines dans un but récréatif. L’examen clinique fait au centre hospitalier démontre la présence d’une rigidité musculaire, d’une hyperthermie à 42 °C, d’une mydriase ainsi que d’ecchymoses aux membres inférieurs. Une heure après que l’équipe traitante lui a administré une combinaison d’halopéridol, de lorazépam et de diphénhydramine pour contrôler son agitation, le patient subit un épisode de bradycardie à 30 battements par minute (bpm) suivi d’une asystolie. L’équipe traitante procède donc à une réanimation cardiorespiratoire (RCR) qui dure environ 20 minutes, puis le patient revient à un rythme cardiaque sinusal. Ensuite, des benzodiazépines lui sont administrées de même qu’un curarisant et il est intubé.

Après l’intubation, on suspecte un syndrome hyperthermique. Un refroidissement externe est entamé, et l’équipe traitante administre d’emblée au patient une dose de dantrolène. L’électrocardiogramme (ECG) démontre une tachycardie sinusale, un intervalle QT corrigé (QTc) à 580 millisecondes (msec) ainsi qu’un complexe QRS à 120 msec en présence d’un bloc de branche droit incomplet.

Voici les résultats des bilans sanguins qui ont été faits approximativement trois heures après son arrivée au centre hospitalier : pH : 7,27; PCO: 41; HCO3- : 19; ratio normalisé international (RNI) : 1,81; plaquettes : 97 X 109/L; hémoglobine : 143 g/L; urée : 7,5; créatinine : 228 micromoles par litre (mcmol/L); créatinine kinase (CK) : 36 370 unités internationales (u.i.) ; lactates : 4,5 millimoles par litre (mmol/L); trou osmolaire : 21; éthanolémie : 1,6 mmol/L; acétaminophène et salicylates : non détectables; calcium ionisé : 1,46 mmol/L; phosphorémie : 2,02 mmol/L; magnésémie : 1,66 mmol/L et alanine aminotransférase (ALT) : 339 u.i. Le dépistage général effectué au laboratoire de toxicologie de l’hôpital Sainte-Justine a démontré la présence urinaire de MDMA, de 3,4-méthylènedioxyamphétamine (MDA), d’éthylone et de caféine. Enfin, aucune particularité n’a été décelée à la tomodensitométrie cérébrale.

La nuit suivante, bien que la sédation ait été suspendue pour évaluer l’état neurologique du patient, ce dernier ne répond pas aux stimuli douloureux. La température corporelle est maintenue entre 35,5 °C et 36 °C à l’aide d’un matelas refroidissant. Trois problèmes prioritaires sont soulignés, soit les lactates élevés, la rhabdomyolyse importante ainsi que la coagulopathie résultant d’une CIVD.

Au deuxième jour d’hospitalisation, l’hémodiafiltration est entamée en raison d’une acidose métabolique (lactates augmentés à 13,3 mmol/L) et d’une insuffisance rénale progressive (créatinine à 364 mcmol/L, urée de 12,3 mmol/L) résultant d’une rhabdomyolyse (CK à 405 000 u.i). La CIVD semble progresser, car le RNI est désormais à 3,10, et les plaquettes sont abaissées à 81 X 109/L. En raison d’une hémoglobinémie de 79 g/L, le patient reçoit un culot globulaire, du plasma, des cryoprécipités, des concentrés de prothrombine et de la vitamine K. Aucun saignement n’a été constaté. Le bilan hépatique se détériore alors que l’aspartate aminotransférase (AST) est à 14 840 u.i. et l’ALT à 5 900 u.i.

Au troisième jour d’hospitalisation, l’hémodiafiltration est toujours en cours. Une tomodensitométrie cérébrale montre un nerf optique comprimé à cause d’un œdème cérébral. Après une rencontre avec les proches du patient, la décision de prodiguer des soins de confort (soins de fin de vie) est prise en raison du faible pronostic neurologique.

Cas 2

Un homme de 18 ans sans antécédent médical, ayant consommé dans un but récréatif 6 comprimés de MDMA 24 heures auparavant, est trouvé confus avec une altération de son état de conscience; il est donc intubé à son arrivée au centre hospitalier. L’examen physique montre une mydriase, une fréquence cardiaque (FC) de 180 bpm et une température corporelle de 43 °C. Les analyses de laboratoire initiales sont les suivantes : CK : 400 u.i.; créatinine : 180 mcmol/L, lactates : 4,2 mmol/L et glycémie : 1,9 mmol/L, corrigée à l’aide d’une ampoule de dextrose concentrée à 50 %.

En soirée, le patient est en défaillance multiorganique : en hypoxie (saturation à 100 % avec une fraction inspirée d’oxygène à 30 % et une pression positive en fin d’expiration à 10 cm H20); en insuffisance rénale (créatinine : 160 mcmol/L, urée : 11,8 mmol/L, CK : 23 219 u.i.); en CIVD (RNI : 3,0) avec une perturbation du bilan hépatique (bilirubine : 92 mcmol/L, AST : 5 717 u.i., ALT : 3 253 u.i. et gamma glutamyl transférase [GGT] : 91 u.i.). L’hépatologue est contacté, mais le patient ne sera pas transféré pour une greffe hépatique en raison de son état précaire. Son état continue de se détériorer malgré le refroidissement externe. L’équipe traitante lui administre des plaquettes, du plasma congelé et des cryoprécipités. Des canules pour l’oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO) sont installées en préparation d’un éventuel transfert, mais le traitement est non disponible à l’hôpital. La dialyse n’est pas entreprise, puisque la diurèse est préservée malgré une progression de la rhabdomyolyse (CK : 88 000 u.i.).

Quelques jours plus tard, le patient ne se réveille pas en dépit de la fin de la sédation. Il est stable hémodynamiquement, apyrétique et la fonction respiratoire s’améliore. La CIVD est désormais contrôlée, et la fonction hépatique s’est stabilisée. L’hémodiafiltration a finalement été entamée pour faciliter la gestion de la volémie. Les analyses de laboratoire sont les suivantes : AST : 5 717 u.i.; ALT : 3 253 u.i.; CK : 63 703 u.i.; créatinine : 159 mcmol/L; urée : 6,7 mmol/L; lactates : 3,6 mmol/L; troponines T : 1 969 ng/L; plaquettes : 49 X 109/L et RNI : 2,54.

Près de deux semaines plus tard, le patient va mieux. Il est alerte et orienté, bien qu’une suspicion de convulsion ait été notée à l’électroencéphalogramme effectué au quatrième jour d’hospitalisation. Des traitements d’hémodialyse sont nécessaires en raison des conséquences néphrologiques de l’intoxication (créatinine : 656 mcmol/L et urée : 16,8 mmol/L). Le CAPQ cesse les suivis à ce moment, considérant la stabilisation de l’état du patient.

Discussion

En 2010, sur trois cent quatre-vingt-quatre cas d’exposition, neuf cas graves et un décès ont été rapportés au CAPQ. En 2015, ce sont dix-neuf cas graves et un décès qui ont été rapportés sur trois cent soixante-quatre cas(1).

L’hyperthermie suivant la prise d’amphétamines est un phénomène bien documenté par plusieurs auteurs, mais ses mécanismes précis demeurent partiellement compris. Elle peut être expliquée par plusieurs facteurs dont : les changements au niveau de la sérotonine, la libération des catécholamines(3,10), la vasoconstriction périphérique(4), les conditions environnementales, l’activité motrice, les facteurs génétiques, la co-ingestion d’autres substances telles que la caféine(5), etc.

Selon Gowing et collab.(14), une corrélation peut être établie entre le risque de mortalité et la température corporelle. Il est donc possible d’émettre l’hypothèse que la période de temps au cours de laquelle un patient maintient une température supérieure ou égale à 40 °C est un facteur qui influence grandement le pronostic de ce patient.

Normalement, la régulation de la température corporelle est un mécanisme complexe qui s’effectue par les systèmes nerveux central et périphérique afin de maintenir l’homéostasie. Ainsi, la production de chaleur se fait par une augmentation du métabolisme basal, une augmentation de l’activité motrice et une augmentation du métabolisme des lipides et des glucides. Quant à la rétention de chaleur, elle se fait principalement par la vasoconstriction cutanée et la piloérection, tandis que la perte de chaleur se produit principalement par l’intermédiaire de la vasodilatation cutanée et de la diaphorèse. La perte de chaleur peut être facilitée grâce à des principes de conduction (ex. : appliquer de la glace et des compresses d’eau fraîche) et de convection (ex. : dévêtir le patient, installer un ventilateur à proximité de ce dernier). Enfin, lorsqu’il y a hyperthermie, certaines enzymes et protéines sont dénaturées, ce qui provoque une altération de plusieurs fonctions métaboliques.

La consommation des amphétamines ou de leurs dérivés engendre, par différents mécanismes, une augmentation de la stimulation des récepteurs sérotoninergiques, dopaminergiques, α-adrénergiques et β-adrénergiques(3,9), ce qui entraîne notamment une stimulation du système nerveux sympathique. La prise d’amphétamines cause une vasoconstriction périphérique par l’intermédiaire des récepteurs α‑adrénergiques et nuit donc à la capacité du corps à réguler sa température par la diaphorèse. De plus, la température ambiante peut être relativement élevée lors d’événements tels que les festivals de musique électronique ou à tout autre endroit où la foule est dense.

Plusieurs conséquences peuvent découler de l’hyperthermie telles que l’hyponatrémie, le SIADH, la rhabdomyolyse(11), les convulsions, l’hémorragie cérébrale(14), la CIVD(7) et une défaillance multiorganique(7).

Il faut aussi comprendre que certaines différences individuelles pourraient influencer la pharmacocinétique et la pharmacodynamique de ces drogues et donc influencer leur toxicité. De plus, la médication actuelle du patient ainsi que tous les co-ingestants devraient être évalués, car plusieurs interactions médicamenteuses peuvent aussi affecter l’évolution de la situation(8).

Grunau(6) a effectué en 2010 une revue systématique basée sur une série de cas rapportés. Dans ces cas, du dantrolène avait été administré comme traitement de l’hyperthermie reliée à la MDMA. Sa conclusion va dans le sens d’une amélioration du taux de survie, mais la littérature démontre un niveau d’évidence très faible, et aucune comparaison n’a été effectuée avec les autres modalités thérapeutiques telles que la sédation, le refroidissement physique et la curarisation(7). Étant donné le peu de littérature scientifique sur le sujet, le traitement des symptômes, incluant l’administration de benzodiazépines et le refroidissement physique, demeure la seule modalité thérapeutique recommandée actuellement. Toutefois, une exception doit être soulignée en ce qui a trait au syndrome sérotoninergique pur; ce syndrome pourrait être traité à l’aide d’un antagoniste 5-HT2A (ex. : cyproheptadine) lorsque les traitements initiaux sont inefficaces.

Conclusion

Pour conclure, l’hyperthermie associée à la prise d’amphétamines semble être un élément majeur contribuant à un mauvais pronostic. Cet article vise donc à sensibiliser le personnel médical à l’importance d’une prise en charge rapide et d’un traitement vigoureux afin d’abaisser la température à < 38,5 °C durant la première heure et ainsi favoriser une meilleure évolution clinique.

Remerciements

Les auteurs souhaitent exprimer leur gratitude envers la Dre Maude St-Onge pour la révision du présent document ainsi que pour ses précieux commentaires.

Toxiquiz

Quel est le principal signe annonçant une intoxication grave par les amphétamines ou leurs dérivés? 

A.  Fréquence cardiaque > 120 bpm.

B.  Convulsions.

C.  Hyperthermie ≥ 40 °C.

D.  Tremblements.

*Vous voulez connaître la réponse? Voir la section Réponses dans le bulletin en version PDF.

Pour toute correspondance

Olivier Jacques-Gagnon
Pavillon Jeffery Hale
Centre antipoison du Québec
1270, chemin Sainte-Foy, 4e étage
Québec (Québec)  G1S 2M4
Courriel : [email protected]

Références

  1. Centre antipoison du Québec. Base de données TOXIN : CIUSSS de la Capitale-Nationale; 2016 [consultée le 22 mars 2016].
  2. Dans : Drug Enforcement Administration. National drug threat assessment summary 2015 [En ligne]. États-Unis : U.S. Department of Justice; 2015 [cité le 8 mars 2016). (DEA-DCT-DIR-008-16). p. 85-88. Disponible : http://www.dea.gov/docs/2015%20NDTA%20Report.pdf
  3. Docherty JR, Green AR. The role of monoamines in the changes in body temperature induced by 3,4-methylenedioxymethamphetamine (MDMA, ecstasy) and its derivatives. Br J Pharmacol. 2010;160(5):1029-44.
  4. Kiyatkin EA, Kim AH, Wakabayashi KT, Baumann MH, Shaham Y. Critical role of peripheral vasoconstriction in fatal brain hyperthermia induced by MDMA (ecstasy) under conditions that mimic human drug use. J Neurosci. 2014;34(23):7754-62.
  5. McNamara R, Kerans A, O’Neill B, Harkin A (2006). Caffeine promotes hyperthermia and serotonergic loss following co-administration of the substituted amphetamines, MDMA (‘‘Ecstasy’’) and MDA (‘‘Love’’). Neuropharmacology. 2006;50(1):69-80.
  6. Grunau BE, Wiens MO, Brubacher JR. Dantrolene in the treatment of MDMA-related hyperpyrexia: a systematic review. CJEM. 2010;12(5):435-42.
  7. Davies O, Batajoo-Shrestha B, Sosa-Popoteur J, Olibrice M. Full recovery after severe serotonin syndrome, severe rhabdomyolysis, multi-organ failure and disseminated intravascular coagulopathy from MDMA. Heart Lung. 2014;43:117-119.
  8. Rietjens SJ, Hondebrink L, Westerink RH, Meulenbelt J. Pharmacokinetics and pharmacodynamics of 3,4-methylenedioxymethamphetamine (MDMA): Interindividual differences due to polymorphisms and drug-drug interactions. Crit Rev Toxicol. 2012;42(10):854-76.
  9. Rickli A, Hoener MC, Liechti ME. Monoamine transporter and receptor interaction profiles of novel psychoactive substances: para-halogenated amphetamines and pyrovalerone cathinones. Eur Neuropsychopharmacol. 2015;25(3):365-76.
  10. Baumann MH, Ayestas MA Jr, Partilla JS, Sink JR, Shulgin AT, Daley PF, et collab. The designer methcathinone analogs, mephedrone and methylone, are substrates for monoamine transporters in brain tissue. Neuropsychopharmacology. 2012; 37(5):1192-203.
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  14. Gowing LR, Henry-Edwards SM, Irvine RJ, Ali RL (2002). The health effects of ecstasy: a literature review. Drug Alcohol Rev. 2002; 21(1): 53-63.

Ferland MP, Jacques-Gagnon O. Hyperthermie induite par les amphétamines : un danger bien réel. Bulletin d’information toxicologique 2016;32(2):4-8. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/hyperthermie-induite-par-l…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 32, Numéro 2, juin 2016