Cigarette électronique : perspectives et santé publique

Auteur(s)
Olivier Jacques-Gagnon
B. Sc. inf., CSPI, Infirmier clinicien, Centre antipoison du Québec
Violaine Ayotte
candidate au baccalauréat en soins infirmiers, Infirmière, Centre antipoison du Québec
Martin Laliberté
M.D., M. Sc, FRCPC, FACMT, Urgentologue, Centre universitaire de Santé McGill, Consultant en toxicologie clinique, Centre antipoison du Québec, Président, Association canadienne des centres antipoison

Résumé

Le marché des cigarettes électroniques dans lesquelles on emploie de la nicotine liquide est en plein essor et représente une nouvelle problématique de santé publique. Toutefois, la loi canadienne sur les aliments et drogues ne permet pas la vente de produits contenant de la nicotine sans une autorisation commerciale préalable. Actuellement, les risques et les bienfaits de la cigarette électronique font l’objet d’un débat chez les experts, mais tous sont d’avis qu’une réglementation encadrant sa vente est nécessaire. D’ailleurs, plusieurs organismes ont émis des recommandations préconisant une meilleure réglementation des dispositifs électroniques et de la nicotine en solution liquide. C’est que la nicotine est une toxine qui possède un potentiel de toxicité systémique sévère et parfois létale.

Introduction

L’usage de la cigarette électronique est une problématique de santé publique en émergence au Québec, au Canada et dans le reste du monde(1,2). La nette augmentation de sa popularité s’expliquerait par un accroissement de la publicité et une hausse des réseaux de distribution, ce qui la rendrait plus attrayante et plus accessible. Malgré des opinions divergentes au sujet des bienfaits et des risques de la cigarette électronique, les professionnels de la santé s’entendent pour affirmer qu’une réglementation est nécessaire. L’Organisation mondiale de la santé a d’ailleurs fait des recommandations en ce sens dans son rapport de 2014 sur les inhalateurs électroniques de nicotine(3).Une augmentation de l’utilisation entraîne souvent une augmentation des expositions volontaires et involontaires. Le présent article décrit quelques cas présumés d’intoxication répertoriés par le Centre antipoison du Québec (CAPQ), impliquant la cigarette électronique et de la nicotine liquide.

Description de cas

Cas 1

Le CAPQ reçoit un appel d’un centre hospitalier concernant un adolescent de 15 ans pesant 93 kg, qui aurait ingéré volontairement 22,5 ml de liquide à vapoter (e-liquide) contenant 18 mg/ml de nicotine. La dose totale équivaut à 405 mg, soit une dose possiblement ingérée de nicotine de 4,3 mg/kg. Les symptômes rapportés au moment de l’appel initial 3 heures postingestion se limitent à un vomissement. Lors du suivi effectué par le CAPQ 9 heures postingestion, les signes vitaux du patient sont normaux, soit une tension artérielle de 123/72 mm Hg, une fréquence cardiaque de 76 battements par minute (bpm), une fréquence respiratoire à 18/minute et une saturation périphérique en oxygène à 100 % à l’air ambiant. L’électrocardiogramme et les examens sanguins sont normaux et, compte tenu de l’évolution clinique favorable, le suivi prend fin. 

Cas 2

Le CAPQ reçoit un appel d’un homme de 20 ans en bonne santé, utilisateur de la cigarette électronique. Lors de l’utilisation de son dispositif, il aurait reçu quelques gouttes de nicotine liquide de 12 mg/ml dans la bouche et sur les lèvres. Le jeune homme se plaint de vomissements, de palpitations et de céphalée; les symptômes auraient débuté de 20 à 30 minutes après l’exposition. Considérant ces symptômes, le CAPQ dirige le patient vers le centre hospitalier le plus près pour une évaluation médicale. Il transmet les recommandations d’évaluation et recommande une période d’observation minimale de 4 heures postexposition à l’infirmière du triage. Une bradycardie est observée pendant quelques minutes, associée avec une céphalée résiduelle. Après la période d’observation, le patient reçoit son congé alors que sa fréquence cardiaque est de 70 bpm.

Cas 3

Le CAPQ reçoit un appel d’un centre hospitalier concernant la tentative de suicide d’un homme de 29 ans pesant 89 kg, qui aurait ingéré le contenu de 4 bouteilles de 30 ml (chacune) de nicotine liquide utilisée dans les cigarettes électroniques. Les concentrations en nicotine des deux premières bouteilles étaient respectivement de 6 mg/ml et de 18 mg/ml, alors que les concentrations des deux dernières bouteilles étaient inconnues. En tout, l’homme aurait ingéré plus de 8 mg/kg de nicotine. À son arrivée au centre hospitalier moins d’une heure postingestion, le patient présente des symptômes de vomissements et d’étourdissements, sa tension artérielle est de 129/89 mm Hg et sa fréquence cardiaque est de 130 bpm. Aucune décontamination n’a été recommandée par le CAPQ, vu les vomissements spontanés et le risque d’aspiration pulmonaire avec le charbon de bois activé. Un traitement symptomatique est recommandé et, moins de 5 heures postingestion, le patient est redevenu asymptomatique.

Discussion

La sécurité des cigarettes électroniques et de la nicotine en solution liquide est un sujet d’actualité, tant pour les professionnels de la santé que pour le public. Plusieurs organismes dans le monde, dont les centres antipoison, tentent de répondre aux questions relatives à la sécurité et à l’efficacité de ces nouveaux dispositifs électroniques produisant de la fumée. Or, diverses questions demeurent actuellement sans réponse, entre autres choses, au sujet des effets possibles de l’usage quotidien des cigarettes électroniques à court, à moyen et à long terme; de l’exposition à la fumée secondaire et tertiaire(4); des risques reliés à la nicotine elle-même, du manque de réglementations, etc. Étant donné que des cas d’intoxications volontaires et involontaires similaires à ceux décrits ci-dessus surviennent de plus en plus fréquemment, l’adoption d’une réglementation fédérale ou provinciale devient nécessaire.

Le CAPQ pour sa part a noté une augmentation importante des expositions volontaires et involontaires en 2014-2015 par rapport aux années précédentes. En 2012, il a reçu 4 appels relativement à la cigarette électronique, 5 appels en 2013, et, en 2014, le nombre d’appels a grimpé à 47. Depuis janvier 2015, le centre a reçu 54 appels toutes expositions confondues.

En mars 2015, le neuvième rapport du Comité permanent de la santé a émis des recommandations sur l’établissement d’un cadre réglementaire en ce qui a trait à la cigarette électronique(5). Il liste 14 recommandations spécifiques sur l’encadrement législatif de la cigarette électronique et de ses produits connexes. Parmi ces dernières recommandations, plusieurs sont en lien avec la publicité visant les adolescents et les adultes de même qu’avec le faible contrôle de la qualité de la nicotine liquide et des dispositifs électroniques. Par ailleurs, la sécurité des contenants et des dispositifs contribuant à la protection des enfants en bas âge doit aussi être évaluée.

Il est important de rappeler que, comme le stipule l’avis de Santé Canada publié en 2009, aucune autorisation n’a été émise au Canada pour la vente de cigarettes électroniques dans lesquelles on emploie de la nicotine liquide(6). Selon le Règlement sur les aliments et drogues, le commerce de liquides contenant de la nicotine est illégal sans une autorisation officielle. Par contre, malgré l’interdiction, les ventes sont en progression un peu partout au pays. La grande variabilité de la nicotine se trouvant dans le liquide des cigarettes électroniques(7), et dans la fumée qu’elles produisent(8), montre qu’il faut réglementer et surveiller la concentration des liquides de recharge de même que celle des dispositifs électroniques diffusant de la fumée. De plus, la disponibilité de la nicotine sous forme liquide dans les domiciles pose un risque d’intoxication grave non seulement chez les enfants(9), mais aussi chez les adultes parmi lesquels un décès a été noté(10).

De même, la plus grande accessibilité de la nicotine liquide devient une arme de plus pour les gens suicidaires. La nicotine est une toxine puissante qui crée une dépendance chez les utilisateurs chroniques, et une exposition importante à cette toxine pourrait produire une toxicité létale. Le problème avec les recharges de nicotine liquide est que leur concentration en nicotine peut être très élevée (supérieure à 100 mg/ml); l’utilisateur risque donc de développer de graves symptômes d’intoxication. Présentement, aucune assurance qualité ne permet de vérifier que la concentration de nicotine indiquée sur le contenant correspond au contenu exact.

Il convient de mentionner que certains rapports favorables à la cigarette électronique indiquent qu’elle pourrait être une bonne méthode d’aide à la cessation tabagique(11). Les effets de la fumée produite par les cigarettes électroniques sont probablement moins nocifs pour la santé que ceux de la cigarette régulière, et la cigarette électronique pourrait donc permettre une bonne transition vers l’arrêt complet de la « mauvaise » habitude de fumer.

Même si les autres ingrédients contenus dans le liquide des cigarettes électroniques peuvent être moins néfastes que ceux présents dans la cigarette régulière, ils peuvent aussi poser des risques pour la santé et doivent être identifiés, testés et réglementés. La présence de formaldéhyde(12), de composés organiques volatils et de particules de métaux est observée(13). De plus, une étude animale sur des souris montre un affaiblissement du système immunitaire pulmonaire à la suite de l’exposition à la fumée de cigarettes électroniques(14). Par ailleurs, l’ajout de saveurs attrayantes au liquide peut rendre la consommation plus séduisante chez une clientèle plus jeune, voire inciter une partie de cette clientèle à entamer la consommation de ces produits. D’autant plus que les risques que pourraient comporter ces saveurs artificielles n’ont pas été nécessairement bien étudiés au niveau pulmonaire(15). Commencer à vapoter avec de la nicotine liquide peut créer une dépendance physique et psychologique et pourrait même amener certaines personnes à commencer à fumer des cigarettes contenant du tabac. Finalement, une réglementation concernant la conception d’un dispositif de cigarette électronique et de recharges de nicotine liquide sécuritaires est nécessaire pour éviter les expositions accidentelles chez les enfants qui seraient attirés par les saveurs ajoutées.

Conclusion

Le marché des cigarettes électroniques dans lesquelles on emploie de la nicotine liquide est en pleine expansion. Par conséquent, un cadre législatif strict doit être mis en place pour protéger la population. Plusieurs risques relatifs aux dispositifs électroniques sont évoqués et nécessitent une meilleure évaluation. Pour le moment, peu de cas de toxicité sévère ont été rapportés. Des hypothèses concernant l’absorption orale limitée et la décontamination rapide par vomissement ont été proposées et sont encore à l’étude. Par contre, il faudra s’attendre à une absorption accrue au niveau sublingual, cutané, pulmonaire et parentéral. Les risques de toxicité sévère, voire létale, sont toujours présents, et il faut que tous les professionnels de la santé demeurent vigilants. Actuellement, la loi interdit la vente de cigarettes électroniques contenant de la nicotine liquide, mais il est facile de s’en procurer par Internet ou auprès de détaillants autonomes (dépanneurs, épiceries, centres de vapotage, etc.). Plusieurs experts considèrent malgré tout que la cigarette électronique est une bonne méthode de sevrage de la cigarette régulière et encouragent son utilisation. Lorsque la réglementation et le contrôle des cigarettes électroniques seront bien établis, il sera alors possible d’envisager l’utilisation de ce produit à des fins bénéfiques, par exemple comme aide à la cessation tabagique.

Toxiquiz

1. Quelle loi canadienne réglemente la nicotine contenue dans le liquide des cigarettes électroniques?

A.  Aucune loi.

B.  Loi sur le tabac.

C.  Loi sur les aliments et drogues.

D.  Loi sur les licences d’exportation et d’importation.

* Vous voulez connaître la réponse? Voir la section Réponses du bulletin complet en version PDF.

Pour toute correspondance

Olivier Jacques-Gagnon
Pavillon Jeffery Hale
Centre antipoison du Québec
1270, chemin Sainte-Foy, 4e étage
Québec (Québec)  G1S 2M4
Courriel : to[email protected]

Références

  1. Czoli CD, Hammond D, White CM. Electronic cigarettes in Canada: prevalence of use and perceptions among youth and young adults. Can J Public Health. 2014;105(2):e97-e102.
  2. Centers for Disease Control and Prevention. New CDC study finds dramatic increase in e-cigarette-related calls to poison centers. CDC Newsroom [En ligne]. 2014 [cité le 6 avril 2015]. Disponible : http://www.cdc.gov/media/releases/2014/p0403-e-cigarette-poison.html
  3. Organisation mondiale de la santé. Inhalateurs électroniques de nicotine. Rapport de l’OMS [En ligne]. Dans Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac : Conférence des Parties à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac – Point 4.4.2 de l’ordre du jour provisoire, sixième session; 13 au 18 oct. 2014 ; Moscou (Fédération de Russie). 2014 [cité le 20 avril 2015]. Disponible : http://apps.who.int/gb/fctc/PDF/cop6/FCTC_COP6_10-fr.pdf
  4. Goniewicz ML, Lee l, Electronic cigarettes are a source of thirdhand exposure to nicotine. Nicotine Tob Res 2015;17(2): 256-258.
  5. Comité permanent de la Santé. Vapotage : vers l’établissement d’un cadre réglementaire sur les cigarettes électroniques. 9e rapport. [En ligne]. Ottawa : Chambre des communes; 2015 [cité le 26 avril 2015]. Disponible : http://www.parl.gc.ca/content/hoc/Committee/412/HESA/Reports/RP7862816/hesarp09/hesarp09-f.pdf
  6. Santé Canada. Avis – À toutes les personnes qui souhaitent importer, annoncer ou vendre des cigarettes électroniques au Canada [En ligne]. Santé Canada, mars 2009. No de dossier : 09-108446-55 [consulté le 20 avril 2015]. Disponible : http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/alt_formats/pdf/prodpharma/applic-demande/pol/notice_avis_e-cig-fra.pdf
  7. Davis B, Dang M, Kim J, Talbot P. Nicotine concentrations in electronic cigarette refill and do-it-yourself fluids. Nicotine Tob Res. 2015; 17(2):134-141.
  8. Goniewicz ML, Kuma T, Gawron M, Knysak J, Kosmider L, Nicotine levels in electronic cigarettes Nicotine Tob Res [En ligne]. 2013 [cité le 20 avril 2015];15(1):156-68. Disponible : http://ntr.oxfordjournals.org/content/15/1/158.full.pdf
  9. Lowry JA. Electronic cigarettes: another pediatric toxic hazard in the home? Clin Toxicol (Phila.). 2014;52(5):449-450.
  10. Bartschat S, Mercer-Chalmers-Bender K, Beike J, Rothschild MA, Jübner M. Not only smoking is deadly: fatal ingestion of e-juice-a case report. Int J Legal Med. 2015;129(3):481-6.
  11. Farsalinos KE, Polosa R. Safety evaluation and risk assessment of electronic cigarettes as tobacco cigarette substitutes: a systematic review. Ther Adv Drug Saf. 2014;5(2):67‑86.
  12. Jensen RP, Luo W, Pankow, JF, Strongin RM, Peyton DH. Hidden formaldehyde in e-cigarette aerosols. N Engl J Med [En ligne]. 2015 [cité le 17 avril 2015]; 372(4):392-4. Disponible : http://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJMc1413069
  13. Saffari A, Daher N, Ruprecht A, De Marco C, Pozzi P, Boffi R, et al. Particulate metals and organic compounds from electronic and tobacco-containing cigarettes: comparison of emission rates and secondhand exposure. Environ Sci Processes Impacts. 2014;16(10):2259-67.
  14. Sussan TE, Gajghate S, Thimmulappa RK, Ma J, Kim JH, Sudini K, et al. Exposure to electronic cigarettes impairs pulmonary anti-bacterial and anti-viral defenses in a mouse model. PLoS ONE. 2015;10(2):e0116861.
  15. Barrington-Trimis JL, Samet JM, McConnell R. Flavorings in electronic cigarettes: an unrecognized respiratory health hazard? JAMA. 2014;312(23):2493‑4. 

Jacques-Gagnon O, Ayotte V, Laliberté M. Cigarette électronique : perspectives et santé publique. Bulletin d’information toxicologique 2015;31(2):5-8.
[En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/cigarette-electronique-per…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 31, Numéro 2, mai 2015