Ampleur de la violence au travail au Québec

Trois principales sources, permettant d’estimer l’ampleur de la violence au travail au Québec, ont permis de documenter cette section portant sur la prévalence de la violence au travail au Québec, et sur les principaux secteurs d’activité et catégories professionnelles visés. L’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST6) a permis de recueillir des données sur la violence physique, le harcèlement psychologique et le harcèlement sexuel. La dernière édition de l’Enquête québécoise sur la santé de la population (EQSP), menée en 2014-2015, documente également la prévalence du harcèlement psychologique au travail. Enfin, le dernier rapport présentant les statistiques sur les lésions attribuables à la violence en milieu de travail de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) 2011-2014, publié en 2016, décrit les dossiers ouverts à la CNESST pour des lésions psychiques et des lésions physiques attribuables à la violence en milieu de travail.

Les données québécoises permettant d’estimer la prévalence de la violence en milieu de travail indiquent que le harcèlement psychologique est un phénomène beaucoup plus fréquent que la violence physique. Selon l’EQCOTESST, 14,8 % des travailleurs ont déclaré avoir été victimes de harcèlement psychologique au cours des douze mois précédant l’enquête, alors que 1,9 % ont déclaré avoir vécu de la violence physique [79]. Par ailleurs, les données récentes de l’EQSP 2014-2015 révèlent qu’environ 20 % des travailleurs estiment avoir été victimes de harcèlement psychologique au travail à l’occasion, souvent ou très souvent au cours de la dernière année (EQSP, 2016)7.

Selon les plus récentes données de l’EQSP (2016), les travailleurs du secteur des services (18 %) sont plus nombreux à déclarer avoir été victimes de harcèlement psychologique, comparativement à ceux du secteur primaire8 (12 %) ou de la construction (14 %). Les résultats de l’EQCOTESST [79] abondent dans le même sens et spécifient que les travailleurs en contact avec le public sont davantage exposés au harcèlement psychologique, au harcèlement sexuel et à la violence physique que ceux qui ne le sont pas. Le secteur des soins de santé et des services sociaux est celui qui présente la prévalence la plus élevée de ces trois formes de violence, suivi par le secteur des services gouvernementaux ou parapublics, et par le secteur de l’enseignement.

Lorsqu’on examine la prévalence de la violence au travail selon les catégories d’emploi, l’EQSP révèle que les travailleurs de la catégorie professionnelle « gestion » seraient moins susceptibles de déclarer avoir vécu du harcèlement psychologique que les autres catégories d’emploi. Des analyses multivariées menées sur les données de l’ECQOTESST (2011) ont permis de constater que le statut socio-économique est protecteur pour les hommes, alors que ce n’est pas le cas pour les femmes [80]. En effet, ces analyses ont révélé que les taux d’exposition des professionnelles (17,1 % comparativement à 8,3 % chez les hommes), des cadres supérieurs et intermédiaires (15,4 % comparativement à 4,4 % chez les hommes) et des superviseurs et des gestionnaires de première ligne (20,0 % comparativement à 8,3 % chez les hommes) montrent que, contrairement à leurs homologues masculins, elles ne sont pas protégées contre l’exposition au harcèlement psychologique. Cela est confirmé par des analyses multivariées qui montrent que les hommes dans ces catégories professionnelles sont significativement moins susceptibles d’être exposés au harcèlement psychologique au travail. En date de la publication de ce chapitre, de telles analyses n’ont pas été menées sur les données de l’EQSP. À cet égard, une étude finlandaise portant sur le harcèlement psychologique de femmes cadres montre que ces dernières peuvent être la cible de harcèlement en provenance à la fois du bas et du haut de la hiérarchie, ou encore en provenance des collègues [81].

Selon la CNESST, les lésions attribuables à la violence en milieu de travail représentent 2,29 % de l’ensemble des lésions avec indemnités de remplacement du revenu9 en 2014 [82]. Cette même année, 1891 lésions attribuables à la violence en milieu de travail ont été acceptées, ce qui correspond à 76,4 % des demandes déposées en 2014 à la CNESST au regard de ce type de lésion. De ce nombre, le quart (24,4 %) correspond à des lésions de type psychique, alors que 75 % sont des lésions de type physique. En 2014, 46,3 % des demandes relatives à des lésions psychiques attribuables à la violence au travail ont été acceptées10 par la CNESST, comparativement à 96,7 % des demandes pour les lésions de nature physique attribuables à la violence. Cette même année, 70,3 % des lésions acceptées touchent les femmes. L’interprétation de ces statistiques doit se faire avec prudence puisqu’elles ne rendent pas compte des taux d’exposition des travailleurs à la violence au travail, mais plutôt des taux de lésions associées à la violence déclarées à la CNESST par les travailleurs, puis acceptées par cette même instance. Les travailleurs du secteur de la santé et des services sociaux sont les plus touchés en ce qui a trait aux lésions attribuables à la violence au travail acceptées en 2014, représentant 37,3 % des cas, suivis par les enseignants (19,0 %) [82].

  1. L’EQCOTESST est une enquête menée en 2007-2008 sur un échantillon représentatif de la population qui travaille.
  2. La question portant sur le harcèlement psychologique est légèrement différente d’une enquête à l’autre. Pour cette raison, toute comparaison doit être faite avec prudence.
  3. Fait référence aux industries des domaines suivants : agriculture, foresterie, pêche et chasse, extraction minière, et extraction de pétrole et de gaz.
  4. L’indemnité de remplacement du revenu (IRR) est versée par la CNESST à un travailleur qui est jugé incapable d’occuper son emploi pendant une période donnée.
  5. Les lésions acceptées peuvent inclure une IRR ou non, selon le cas.