Avis sur la pertinence d'une intervention visant à contrôler une incidence élevée d'infections invasives à méningocoque de sérogroupe B dans l'Est du Québec

Depuis la dernière éclosion d'infections invasives à méningocoque (IIM) causée par un clone virulent de sérogroupe C entraînant une campagne de vaccination de masse avec un vaccin conjugué (en 2001), ainsi que la mise en œuvre d'un programme d'immunisation de routine des enfants (en 2002) et des adolescents (en 2013), la grande majorité des IIM au Québec sont causées par des souches de sérogroupe B (IIM-B). Le Québec est la province canadienne où l'incidence des IIM-B est la plus élevée et il existe des disparités dans les taux d'incidence au niveau régional. En 2003, un clone particulier de sérogroupe B, ST-269, a été identifié au Québec et s'est propagé d'abord chez les adolescents et les jeunes adultes pour ensuite atteindre les jeunes enfants. Actuellement, ce clone représente une proportion élevée des souches circulant dans l'Est de la province, trois régions sociosanitaires (RSS) étant particulièrement touchées : le Saguenay-Lac-Saint-Jean (RSS 02), la Capitale-Nationale (RSS 03) et Chaudière-Appalaches (RSS 12).

Face à une situation d'incidence plus élevée qui prévaut dans l'Est de la province du Québec et de la disponibilité au début de l'année 2014 d'un vaccin potentiellement protecteur, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) a demandé au Comité sur l'immunisation du Québec (CIQ) de rédiger un avis sur la pertinence d'une intervention de contrôle limitée dans le temps et dans l'espace avec l'objectif suivant : réduire de manière durable l'incidence des IIM-B dans les RSS les plus affectées et d'éviter, dans la mesure du possible, une extension de la circulation du clone virulent à d'autres régions.

Épidémiologie des IIM-B au Québec

Une analyse des données de surveillance du fichier des maladies à déclaration obligatoire (MADO) et des données du Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) pour les années 2006 à 2013 a permis d'identifier un total de 602 cas d'IIM : 468 (78 %) étaient de sérogroupe B dont 304 (65 %) avaient 20 ans ou moins. Le taux d'incidence global d'IIM-B dans la population était de 0,7/100 000 p.-a, soit 2,1/100 000 p.-a chez les 20 ans et moins et de 0,3/100 000 p.-a dans la population âgée de plus de 20 ans.

Au cours de la même période, les taux d'incidence dans les RSS 02, RSS 03 et RSS 12 étaient statistiquement plus élevés que la moyenne provinciale. Dans le groupe d'âge des 20 ans et moins, ces taux étaient de 11,5, 5,2 et 2,1 par 100 000 p.-a respectivement dans les RSS 02, RSS 03 et RSS 12. Dans le groupe d'âge de 21 ans et plus, ces taux sont respectivement de 1,1, 0,4 et 0,3 par 100 000 p.-a.

Parmi les 468 cas d'IIM-B, 191 (41 ) provenaient des régions 02 (74 cas : 16 %), région 03 (77 cas : 16 %) et région 12 (30 cas : 9 %). Les 3 régions les plus touchées représentent 46 % du total des cas d'IIM-B chez les 20 ans et moins.

Les taux d'incidence observés en 2013 restent élevés, 10 par 100 000 p.-a dans la région 02 et 5 dans la région 03. Dans la RSS 12, une incidence particulièrement élevée a été observée en 2007, mais depuis lors, les taux sont comparables à la moyenne provinciale.

Les IIM-B sont des maladies graves avec une létalité de l'ordre de 4 à 6 %. La létalité est plus élevée chez les jeunes enfants. Des séquelles physiques permanentes sont observées chez environ 20 % des survivants et des déficits neurologiques chez plus de la moitié.

Le vaccin 4CMenB

Un nouveau vaccin préparé à partir de protéines de surface du méningocoque et de composantes de vésicules extra membranaires a été homologué au Canada en décembre 2013 (Bexsero, Novartis Vaccine). Il induit l'apparition d'anticorps bactéricides qui sont considérés comme un marqueur de protection. Des études comparant le phénotype et le génotype des protéines incluses dans le vaccin et celles figurant dans les souches invasives circulant au Québec suggèrent que le vaccin couvrirait au moins les deux tiers de toutes les souches et plus de 90 % des souches appartenant au clone ST-269.

L'efficacité de 4CMenB n'a pas été évaluée dans le cadre d'essais cliniques. L'efficacité du vaccin a été déduite à partir des études d'immunogénicité en démontrant l'induction de réponses en anticorps bactéricides dans le sérum vis-à-vis de chacun des antigènes vaccinaux. La vaccination des nourrissons avec trois doses et des enfants, adolescents et jeunes adultes avec deux doses de 4CMenB, induit des anticorps bactéricides chez la grande majorité des vaccinés. Un mois après la primovaccination (2, 4, et 6 mois), entre 84 % et 100 % des nourrissons avaient des anticorps bactéricides contre les composantes incluses dans le vaccin. L'immunogénicité de 3 doses administrées avant l'âge de 6 mois est comparable à celle observée après la vaccination des enfants âgés de 6 à 60 mois avec deux doses. Le calendrier avec deux doses espacées de 6 mois semble induire des titres plus élevés d'anticorps chez une proportion plus importante des adolescents que les calendriers comportant des intervalles d'un mois ou de deux mois entre les doses.

Six mois après la primovaccination (à l'âge de 12 mois), une proportion importante des enfants vaccinés n'avaient plus un titre d'anticorps considéré comme séroprotecteur : 18 % contre les fHbp et 39 % contre les NHBA (protéines présentes dans le complexe clonal ST 269).

Un mois après la dose de rappel donnée durant la 2e année de vie, 97-100 % des enfants vaccinés avaient un titre considéré comme séroprotecteur d'anticorps. Douze mois après la dose de rappel, respectivement 38 % et 64 % des enfants vaccinés avec 4 doses (0, 2, 6 et 12 mois) n'avaient plus de titre considéré séroprotecteur contre le fHbp et le NHBA. Généralement, les données indiquent une décroissance plus rapide des anticorps après la vaccination des nourrissons qu'après la vaccination des jeunes enfants et adolescents. Il n'y a pas d'information à savoir si la perte rapide d'anticorps après la vaccination correspond à une perte de protection contre la maladie.

Les données provenant des études cliniques semblent indiquer que le vaccin 4CMenB est plus réactogène que les vaccins de routine utilisés actuellement au Québec, surtout chez les nourrissons âgés de moins de 6 mois. La coadministration de 4CMenB avec certains vaccins de routine semble augmenter la fréquence des effets indésirables, surtout des effets systémiques comme la fièvre. La majorité des effets indésirables observés après la vaccination étaient de courte durée et ne nécessitaient pas de consultation médicale. Cependant, une proportion non négligeable des individus vaccinés a rapporté des effets indésirables (ex. : fièvre ≥ 39 °C) ou de l'absentéisme dans les jours suivant la vaccination.

Indices coûts-efficacité

La majorité des simulations faites dans les analyses économiques indiquent des ratios coût-efficacité peu favorables (> 40 000 $/QALY) lorsque le prix par dose est supérieur à 30 $. C'est dans la RSS 02 que les ratios coût-efficacité seront les plus favorables au Québec, compte tenu de l'incidence plus élevée de la maladie.

Il persiste toutefois certaines incertitudes à ce jour concernant l'utilisation du vaccin 4CMenB et son efficacité à réduire le fardeau de la maladie de manière durable. Les principales incertitudes qui ont fait l'objet de discussion sont les suivantes :

  • Efficacité réelle du vaccin et la durée de la protection selon les groupes d'âge;
    • Capacité du vaccin à réduire le portage, à limiter la transmission et à induire une immunité de groupe touchant les groupes d'âge vaccinés et les groupes d'âge non visés par une vaccination de masse;
  • Nombre de cohortes de naissance nécessaires à vacciner et couverture vaccinale pour obtenir une immunité de groupe;
  • C
  • apacité d'une intervention ponctuelle ciblée à réduire de manière durable l'incidence de la maladie dans les régions ciblées; Impact d'une réactogénicité plus élevée sur l'acceptabilité de l'ensemble de la vaccination de routine.

Recommandation

Considérant que :

L'incidence des IIM-B est substantiellement plus élevée dans la RSS 02 que dans les autres RSS et que cette situation perdure depuis 2004 sans signe récent de déclin.

Une létalité de 9 % chez les moins de 21 ans a été observée au cours des 8 dernières années dans la RSS 02. Le caractère imprévisible de la maladie et la rapidité de son évolution clinique difficilement contrôlable, même avec les meilleurs traitements, sont des motifs de crainte et soulèvent de l'anxiété dans le milieu concerné.

Le vaccin 4CMenB a la capacité de couvrir une grande proportion des clones de méningocoques circulants dans cette région. Le vaccin 4CMenB est un vaccin dont l'efficacité clinique n'est pas connue, mais qui a la capacité d'induire l'apparition d'anticorps bactéricides considérés comme protecteurs chez la grande majorité des personnes vaccinées.

Le vaccin 4CMenB pourrait également diminuer la transmission du méningocoque dans la population et ainsi induire une immunité de groupe protégeant de manière indirecte les personnes non vaccinées. Toutefois, l'ampleur de cet effet et sa persistance à la suite d'une campagne d'immunisation de masse sont incertaines.

Le vaccin 4CMenB est plus réactogène que les vaccins actuellement utilisés au Québec, surtout chez les jeunes enfants et particulièrement lorsqu'il est coadministré avec d'autres vaccins. Cependant, on peut prédire que la réactogénicité sera réduite par l'utilisation prophylactique d'acétaminophène post-vaccination.

Les membres du CIQ sont arrivés à recommander à l'unanimité l'immunisation des jeunes de 20 ans et moins qui résident dans la RSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean, afin de contrôler une situation endémique qui perdure. Cette intervention de santé publique qui se veut limitée dans le temps et l'espace devra faire l'objet d'une évaluation rigoureuse et les leçons qui en seront tirées serviront à définir la politique future d'utilisation de ce vaccin. Par contre, une telle intervention ne réduira que marginalement le fardeau total des IIM-B dans l'ensemble du Québec.

Pour les autres RSS du Québec, la surveillance épidémiologique rehaussée doit se poursuivre, afin d'analyser les tendances et, le cas échéant, de nouvelles recommandations concernant l'utilisation du vaccin 4CMenB pourront être émises.

Sujet(s)
Immunisation
Type de publication
ISBN (électronique)
978-2-550-70360-0
ISBN (imprimé)
978-2-550-70359-4
Notice Santécom
Date de publication