Sources résidentielles de plomb et niveaux de plombémie chez de jeunes enfants habitant d'anciens arrondissements de Montréal

Malgré que l'utilisation du plomb ait été fortement réduite au cours des 40 dernières années, l'importance des différentes sources d'exposition au plomb dans l'environnement résidentiel des jeunes enfants est encore un sujet d'actualité. Toutefois, celle-ci demeure peu documentée. À la suite de la découverte en 2005 à Montréal de certains cas de dépassement de la norme québécoise de plomb dans l'eau, la Direction de santé publique (DSP) de Montréal a fait une estimation, à l'aide d'un modèle pharmacocinétique, de la plombémie moyenne des jeunes enfants possiblement exposés à diverses concentrations de plomb dans l'eau du robinet. Des recommandations ont alors été proposées pour réduire la consommation d'eau pour les jeunes enfants (moins de 6 ans) et les femmes enceintes vivant dans des zones considérées à risque pour la contamination de l'eau par le plomb. Des échantillonnages d'eau et un suivi ont été effectués, mais aucune autre démarche n'a été entreprise afin d'évaluer l'impact véritable de la contamination de différentes sources d'exposition au plomb sur la plombémie des jeunes enfants.

Ce projet, conformément à notre entente avec le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), devait décrire les niveaux de plombémie de jeunes enfants montréalais et estimer le degré de suivi des recommandations proposées par la DSP de Montréal concernant la consommation d'eau. Également, il devait décrire les niveaux de plomb dans les poussières et la peinture des résidences et comparer les estimations effectuées par des modèles pharmacocinétiques, de la plombémie des enfants avec les données obtenues durant l'étude.

Méthodologie générale

Sélection des participants

L'étude a été menée du 10 septembre 2009 au 27 mars 2010 auprès d'enfants âgés de 1 à 5 ans résidant dans les arrondissements ciblés de la Ville de Montréal (Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, Saint-Laurent et Verdun). Un total de 3 800 familles (un enfant par famille) a été sollicité par une lettre d'information incluant le formulaire d'information préalable au consentement. Elle était suivie d'un appel téléphonique afin de vérifier si ces familles respectaient les critères d'inclusion de l'étude. Par la suite, une infirmière auxiliaire et une technicienne se sont présentées au domicile des participants.

Sources d'exposition et prélèvement biologique

Dans un premier temps, le formulaire d'information de consentement devait être lu et signé. Par la suite, la technicienne évaluait l'état général de la résidence, remplissait un questionnaire sur l'environnement résidentiel avec le parent et procédait à l'échantillonnage de l'eau du robinet de la cuisine (un litre après 5 minutes d'écoulement et 4 litres après 30 minutes de stagnation). Immédiatement après (sans écoulement préalable), 250 ml d'eau au robinet de la salle de bain étaient prélevés. L'échantillonnage des poussières a été effectué avec l'aide de lingettes humides au plancher de trois pièces de la résidence et sur le rebord de la fenêtre de la chambre de l'enfant. Finalement, à l'aide d'un appareil à fluorescence à rayons X (XRF), la technicienne mesurait les niveaux de plomb présents dans la peinture et prélevait, lorsque possible, des écailles de peinture pour des analyses en laboratoire. L'infirmière auxiliaire, quant à elle, remplissait avec la famille un questionnaire sur la santé et la nutrition de l'enfant et procédait au prélèvement sanguin veineux au bras de celui-ci.

Analyses de laboratoires

Tous les échantillons ont été conservés à 4 °C jusqu'à leur analyse en laboratoire. Les échantillons d'eau ont été analysés par un laboratoire privé selon un protocole proposé par l'US EPA (méthode 200.8) et modifié légèrement en augmentant le temps d'acidification. La limite de détection de la méthode était de 0,01 μg/l. L'analyse des poussières, des écailles de peinture et des prélèvements sanguins a été faite au laboratoire de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) par spectrométrie de masse à plasma d'argon (inductively coupled plasma mass spectrometry, ICP-MS). La limite de détection de la méthode pour l'analyse des poussières était de 0,01 μg, celle pour l'analyse des écailles de peinture de 10 μg/g et de 0,001 μmol/l (0,0207 μg/dl) pour les prélèvements sanguins.

Analyses statistiques

L'analyse statistique de l'influence des différentes variables d'exposition a été effectuée par des modèles d'analyse multivariée avec un contrôle des variables de confusion et une étude des effets modifiants. Le niveau de signification statistique a été fixé à 0,05 (test bilatéral).

Principaux résultats

Taux de participation

Un total de 3 800 familles a été contacté par lettre et, de ce nombre, 2 043 familles ont répondu à un questionnaire téléphonique. Seulement 549 familles furent considérées admissibles pour participer au projet et 313 familles ont accepté de participer à l'étude. Finalement, 306 enfants ont été retenus pour les analyses statistiques.

Suivi des recommandations proposées par la DSP de Montréal

À partir des 2 043 familles qui ont été évaluées pour leur admissibilité, et en ne considérant pas le critère de consommation d'eau, 1 173 répondaient à tous les critères d'inclusion (âge de l'enfant, secteur de résidence, temps de résidence, langue parlée, type de résidence, lieu de naissance, maladie). Six cent vingt-trois des 1 173 familles (soit 53 %) consommaient de l'eau embouteillée ou utilisaient un système de filtration d'eau conformément aux recommandations proposées par la DSP de Montréal.

Analyse de plomb dans l'eau

Le niveau moyen (moyenne géométrique (MG)) de la concentration de plomb dans l'eau du robinet de la cuisine (moyenne arithmétique (MA) des cinq prélèvements d'eau) pour l'ensemble des résidences (n = 306) était de 1,60 μg/l. Au total, seulement 5 échantillons d'eau du robinet de la cuisine après 5 minutes d'écoulement dépassaient la norme québécoise de la présence de plomb dans l'eau potable (10 μg/l). Au niveau du robinet de la salle de bain, la concentration moyenne mesurée dans le premier jet (stagnation aléatoire) était de 4,98 μg/l (n = 204).

La présence de conduite en plomb dans les résidences a été estimée pour 276 résidences par l'équipe de l'École Polytechnique de Montréal à l'aide d'un algorithme basé sur les résultats de concentrations de plomb dans l'eau dans les différents prélèvements effectués au robinet de cuisine. Pour 30 résidences, une nouvelle série d'échantillonnage de l'eau a été effectuée afin de mieux caractériser l'entrée de service. À la suite de ce prélèvement, 171 résidences étaient considérées avec conduite en plomb et 127 sans conduite en plomb. Finalement, pour 8 des participants, il n'a pas été possible de confirmer les caractéristiques de l'entrée de service.

Analyses de plomb dans les poussières

La quantité moyenne (MG) de plomb dans la poussière du plancher (moyenne des trois échantillons) était de 0,85 μg/pi2. La quantité moyenne (MG) de plomb dans la poussière des rebords de fenêtre (n = 263) était de 7,14 μg/pi2. Un total de 13 prélèvements (12 résidences) présentaient un dépassement des valeurs guides utilisées pour les poussières domestiques (plancher : 40 μg/pi2, fenêtre : 250 μg/pi2).

Analyses de plomb dans la peinture

Les mesures effectuées avec l'aide de l'appareil à fluorescence (XRF) ont montré que 31 % des résidences avaient une composante (mur, plancher, porte, cadre de porte ou fenêtre) où au moins 2 mesures de XRF dépassaient la valeur guide de 1 mg/cm2.

La concentration médiane de plomb mesurée dans les écailles de peinture était de 1 300 mg/kg pour 153 résidences (max. : 260 000 mg/kg). Quarante-deux résidences présentaient une ou plusieurs écailles qui dépassaient la valeur guide de 5 000 mg/kg.

Analyse de plomb dans le sang

La plombémie moyenne (MG) de tous les enfants à l'étude était de 1,35 μg/dl. La distribution de la plombémie était similaire selon les groupes d'âge (12-23 mois, 24-35 mois et 36-71 mois) et selon le sexe des enfants. Cependant, les enfants appartenant au groupe de minorités visibles, ainsi que ceux investigués durant l'automne, avaient une plombémie légèrement supérieure aux autres participants. À noter cependant qu'un seul enfant avait une plombémie supérieure à la norme québécoise de déclaration (0,5 μmol/l ou 10,35 μg/dl).

Analyse de plomb dans le sang et association avec l'environnement résidentiel

L'analyse de la plombémie à l'aide des modèles multivariés a montré que les enfants consommant une eau du robinet de la cuisine dont la concentration de plomb était supérieure à 3,27 μg/l (3e tercile) avaient une plombémie moyenne (MG) significativement plus élevée que les enfants consommant une eau non contaminée par le plomb (1er tercile). Cette différence significative fut aussi observée lorsque l'on considérait la plombémie des enfants des résidences avec présence probable de conduites en plomb en comparaison à l'absence de conduites en plomb.

Les plombémies des enfants sont aussi significativement supérieures lorsque ceux-ci sont exposés à des quantités plus grandes de plomb dans les poussières de plancher (> 1,22 μg/pi2), du rebord de fenêtre (> 14,14 μg/pi2) et à des écailles de peinture ayant des concentrations plus élevées de plomb (> 5 000 mg/kg) comparativement à des quantités ou des concentrations plus faibles.

Comparaison de nos résultats avec ceux de la DSP de Montréal en 2006

La plombémie moyenne de nos participants est inférieure à celle fournie par le modèle pharmacocinétique de la US EPA utilisé par la DSP de Montréal. Le modèle utilisé, avec de nombreuses valeurs par défaut, a probablement surestimé les concentrations de plomb sanguin chez les jeunes enfants de Montréal. Cependant, les concentrations de plomb mesurées dans l'eau du robinet dans notre étude étaient inférieures à celles mesurées par la DSP de Montréal en 2006.

Conclusion

Cette étude a permis de constater que les sources d'exposition au plomb dans les résidences montréalaises étudiées étaient faibles et que la plombémie moyenne des jeunes enfants participant à l'étude, durant l'automne 2009 et l'hiver 2010 était peu élevée.

Finalement, notre étude ainsi que les estimations de la DSP de Montréal en 2006 ont permis de constater que les enfants vivant dans des résidences reliées à des conduites de distribution d'eau en plomb avaient des plombémies significativement plus élevées que les enfants vivant dans des résidences non reliées à de telles conduites.

Auteur(-trice)s
Julie St-Laurent
Ph. D., Institut national de santé publique du Québec
Patrick Levallois
M. D., M. Sc. FRCPC, médecin spécialiste. Institut national de santé publique du Québec
Denis Gauvin
M. Sc, conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Marilène Courteau
Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-67254-8
ISBN (imprimé)
978-2-550-67253-1
Notice Santécom
Date de publication