Contexte :
En juillet 2018, le gouvernement du Québec a lancé la Stratégie nationale pour prévenir les surdoses d’opioïdes et y répondre. Cette stratégie repose sur une approche de réduction des méfaits adoptée à la fin des années 1980 au Québec. Cette approche a permis de considérer la consommation de drogues comme un enjeu médical et social plutôt qu’uniquement sous l’angle de la répression et de la judiciarisation. En 2019, un sondage populationnel a été réalisé au Québec, afin d’établir « un portrait des attitudes de la population québécoise à l’égard des personnes qui consomment des substances psychoactives illicites et des programmes de réduction des méfaits » et de comparer les résultats avec une précédente enquête conduite vingt ans plus tôt. Dans ce contexte, l’étude qualitative produite ici avait pour objectif de saisir les nuances dans les connaissances, les représentations, les attitudes et les opinions de la population québécoise suite à l’enquête populationnelle menée en 2019. Elle avait pour finalité d’explorer entre autres les perceptions concernant les raisons pouvant conduire des personnes à développer une dépendance aux drogues ou encore l’acceptabilité des différentes mesures de réduction des méfaits.
Méthode :
Dix groupes de discussion virtuels ont été conduits du 5 mai au 11 juin 2020 auprès de 54 participants, résidant dans quatre villes du Québec : 2 groupes ont été réalisés à Gatineau; 3, à Montréal; 3, à Québec et 2 à Sherbrooke.
Quelques constats tirés du rapport :
- Globalement, les participants étaient défavorables à la légalisation de nouvelles substances psychoactives (sauf à des fins médicinales), mais favorables à la décriminalisation de la consommation tout en maintenant illégaux la production et le commerce de ces substances.
- En ce qui concerne les attitudes que les services policiers et le système judiciaire devraient adopter par rapport aux personnes arrêtées en possession simple de drogues, les participants oscillaient entre deux approches : une approche punitive (amendes ou attitudes à ajuster selon le comportement de la personne sous influence des drogues), et une approche empathique d’entraide et de sensibilisation.
- En général, les participants étaient favorables aux mesures de réduction des méfaits, car selon eux, elles contribuent à sauver des vies; à réduire la dépendance, les surdoses et les risques de transmission des infections (VIH et virus de l’hépatite C); à offrir un cadre sécuritaire en favorisant le dialogue et l’aide; et à s’inscrire dans un processus de désintoxication et de réinsertion sociale si désiré.
- La majorité des participants n’avaient pas connaissance du rôle joué par les pharmacies dans la distribution des trousses de naloxone et de matériel d’injection stérile.
- À l’unanimité, les participants étaient favorables à l’offre gratuite de naloxone, à l’accès au matériel d’injection stérile, puis à la prescription médicale de méthadone. En revanche, les mesures de réduction des méfaits les plus controversées étaient celles mises en place dans les pénitenciers fédéraux (ex. : échange de seringues stériles) et la prescription médicale d’héroïne. Certains participants avaient l’impression qu’elles étaient contreproductives et encourageaient la consommation de drogues au lieu d’aider à la réduire.
- Sur le principe, les participants étaient favorables aux services d’injection supervisée (y compris dans un autobus réaménagé ou unité mobile) et aux logements supervisés. Pour plusieurs, cependant, ces deux types de services ne devaient pas être implantés dans les quartiers résidentiels, ni à proximité des garderies et des écoles. Les services étaient mieux acceptés par ceux et celles ayant une certaine familiarité avec les usagers de drogues ou s’ils étaient proposés dans les centres-villes, les secteurs commerciaux ou dans des structures en lien avec la santé (ex. : CLSC). Deux conditions principales s’imposaient également pour implanter ces deux types de services supervisés : assurer un suivi avec du personnel qualifié, puis informer, voire impliquer et rassurer la population.
Conclusion et pistes de réflexions :
Les résultats de l’étude qualitative rappellent l’importance de :
- Prendre en compte les conditions d’acceptabilité des mesures de réduction des méfaits, soulevées par les participants :
- un lieu « bien choisi » (les services de consommation supervisée pourraient être proposés sur un (ou plusieurs) site(s) permanent(s) et une unité mobile, comme cela est déjà le cas à Montréal pour rejoindre plus facilement les secteurs moins bien desservis et résidentiels),
- un accompagnement et suivi garantis, assurés par du personnel qualifié, incluant entre autres des médecins en qui la population a confiance, représenteraient un gage de sécurité rassurant),
- une information partagée : le dialogue et le partage d’informations en vue parfois d’impliquer et surtout de rassurer la population (ex. : sur comment les organismes travaillent et accompagnent les usagers de substances psychoactives) étaient considérés comme une dernière condition essentielle pour faciliter la mise en place des programmes de réduction des méfaits.
- Amorcer un débat politique pour la décriminalisation de la possession simple : Étant donné l’ouverture de nombreux Québécois à la décriminalisation de la possession simple de drogues (autres que le cannabis) et en écho à plusieurs démarches entreprises ailleurs au Canada (par le gouvernement de la Colombie-Britannique en juillet 2020 par exemple), la décriminalisation pourrait être débattue et considérée, autant sur la scène politique provinciale que fédérale, comme une alternative à l’approche judiciaire.
- Poursuivre les efforts d’information et de sensibilisation de la population : Plus largement, de nouvelles campagnes pourraient être mises en place pour diffuser :
- des informations détaillées pour expliquer
- les multiples facteurs qui peuvent conduire à la dépendance aux drogues, sachant qu’une meilleure compréhension de cette réalité complexe permet une réduction de la stigmatisation des consommateurs et une plus grande ouverture de la population aux mesures de réduction des méfaits et aux organismes communautaires qui les développent à l’attention des usagers (à ce sujet vous pouvez revoir la manchette qui parlait justement des préjugés en lien avec le matériel stérile d’injection);
- les mesures de réduction des méfaits en général et les principes qui les sous-tendent, ce qui pourrait permettre une meilleure compréhension des Québécois quant à cette approche dans sa globalité et dans ses différentes déclinaisons (ex. : prescription médicale d’héroïne, réduction des méfaits en milieu carcéral);
- des informations ciblées pour que les Québécois sachent, par exemple, que les trousses de naloxone sont accessibles en pharmacie et pour qu’ils connaissent les ressources disponibles à ce sujet (ex. : modalités de formation).
- des informations détaillées pour expliquer