Lignes directrices nationales de l’initiative canadienne de recherche en abus de substances (ICRAS) sur la Prise en Charge Clinique du Trouble Lié à l’Usage d’Opioïdes

Les lignes directrices nationales de l’ICRAS sur la Prise en Charge Clinique du Trouble Lié à l’Usage d’Opioïdes sont maintenant publiées. Elles constituent un outil éducatif détaillé pour le traitement optimal du trouble de l’usage d’opioïdes (TLUO) basé sur des données probantes. Onze recommandations y sont présentées (pièce jointe ci-dessous : Résumé en français des lignes directrices), abordant les différentes options de traitement de première et seconde ligne, les traitements complémentaires ou alternatifs, et les stratégies complémentaires de réduction des méfaits. La version intégrale de l’article (en anglais) est disponible sur le site web du CMAJ.

Dans le cadre de référence Joindre, dépister et détecter, traiter, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) préconise l’intégration de la prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) dans les plans d’action régionaux de santé publique , en particulier « de cibler un ensemble de facteurs souvent communs à plusieurs de ces infections et d’aborder la santé sexuelle et la consommation de substances psychoactives ». Le traitement de la dépendance aux opioïdes constitue une des stratégies pour atteindre les objectifs visés par l’approche de réduction des méfaits.

Vous trouverez également ci-dessous et en pièce jointe (Buprémorphine-naloxone et Méthadone) des éléments supplémentaires de contexte sur le TLUO et sa prise en charge. Nous vous rappelons que ces éléments sont traités dans l’atelier de formation gratuit de l’INSPQ Traitement des troubles de l’usage d’opioïdes : une approche de collaboration interdisciplinaire.

Pourquoi traiter le TLUO?

Avec 19 millions de prescriptions d’opioïdes en 2016, le Canada occupe le deuxième rang de la consommation d’opioïdes per capita après les États-Unis. On estime que 13,1% de la population canadienne adulte a fait usage d’opioïdes de prescription en 2015 et que 2800 personnes seraient décédées d’une surdose de ceux-ci en 2016. (A, B)

Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) qualifie cette situation de “crise” avec à son origine plusieurs facteurs complexes. Ceux-ci incluent la surprescription d’opioïdes pour le traitement de la douleur chronique, la stigmatisation entourant les troubles de l’usage des opioïdes, dont la dépendance qui empêchent certaines personnes de demander l’aide qui leur faut, la prise de drogues illicites telle l’héroïne, ainsi qu’une multitude de facteurs de risque psychologiques, sociaux et biologiques (C).

Bien que l’incidence de la consommation d’opioïdes soit plus faible que celle d’autres substances, tels que l’alcool et la marijuana, le fardeau de la dépendance aux opioïdes est considérablement plus élevé: des taux accrus de morbidité et de mortalité, la transmission d’infections dont le VIH et le virus de l’hépatite C (VHC) via le matériel de consommation chez les personnes qui font usage de drogues par injection et des coûts divers (soins de santé, forces de l’ordre, perte de productivité, détresse familiale, etc.). (D)

Le sevrage complet des opioïdes (ou désintoxication) est une approche souvent irréaliste et porte un haut taux de rechute (jusqu’à 88% des patients), de risque accru de surdose et de mortalité (E). Les protocoles thérapeutiques canadiens ciblent la réduction des méfaits avec un traitement du TLUO à long terme plutôt qu’une désintoxication. En effet, traiter le TLUO comme une maladie chronique permet d’augmenter le niveau de fonctionnalité des consommateurs de drogues, de les réintégrer à la société, de diminuer leur risque d’infections notamment au VIH et au VHC, d’augmenter leur espérance de vie, de diminuer les taux de criminalité et de travail du sexe, ainsi que de diminuer les coûts pour la société.

Au Canada, deux traitements principaux sont prescrits, soit la combinaison buprénorphine/naloxone ou la méthadone. Il est toutefois aussi possible d’utiliser de la morphine orale à libération longue.

Pharmacologie des traitements de maintien

Il y a trois principaux groupes d’opioïdes: les naturels (morphine, codéine), les semi-synthétiques (hydromorphone, oxycodone, buprénorphine, héroïne) et les synthétiques (méthadone, mépéridine, fentanyl, tramadol). D’un point de vue pharmacologique, les opioïdes se lient principalement aux récepteurs mu et kappa dans le cerveau, provoquant ainsi une sensation d’euphorie (“rush”) et d’analgésie. Ils entraînent aussi des effets moins recherchés tels de la dysphorie, de la somnolence, de la nausée et des vertiges. (F)

En cas de surdose, les opioïdes entraînent une dépression respiratoire pouvant mener à la perte de conscience ou à la mort. Certains consommateurs d’opioïdes deviennent dépendants et développent entre autres de la tolérance à l’euphorie ressentie (menant à l’augmentation constante de la quantité consommée pour avoir le même effet) et la peur du phénomène de sevrage rapide et physiquement brutal lors de manque. (G)

Contrairement à l’héroïne ou aux opioïdes médicamenteux, qui sont de courte action pouvant faire basculer quelqu’un entre l’euphorie et le sevrage en l’espace de quelques heures (nécessitant ainsi plusieurs doses par jour) les opioïdes utilisés en TLUO  ont une durée d’action beaucoup plus longue et soutenue (D). Ainsi, avec une administration une fois par jour, il est possible de maintenir le patient sur un plateau où les concentrations d’opioïdes restent stables: il ne ressent donc pas les pics et les creux d’une consommation d’opioïdes à courte action. La méthadone et la buprénorphine/naloxone empêchent même l’effet d’autres opioïdes si le patient en consomme, à raison de leur affinité puissante sur le récepteur mu. (H)

Admissibilité et administration des traitements de la dépendance aux opioïdes

Pour être admissible aux traitements du TLUO, les patients doivent avoir:

  • Plus de 14 ans;
  • Un diagnostic de dépendance aux opioïdes selon les critères du DSM-V;
  • Une consommation confirmée par un test urinaire positif pour un opioïde ET l’histoire médicale;
  • Un contrat de consentement au traitement et d’engagement à respecter les conditions du programme. (I)

Une priorité est accordée aux femmes enceintes, aux personnes ayant des comportements à risque mettant leur vie en danger, aux patients ayant une condition psychiatrique instable, aux parents de jeunes enfants ou aux patients ayant un état de santé requérant une attention médicale urgente (ex. sepsis, endocardite ou SIDA) (J).

Les traitements pour TLUO sont généralement administrés en pharmacie, sous la supervision du pharmacien. La dose de chaque patient est individualisée et constamment réévaluée: on vise un juste milieu entre l’absence des signes de sevrage (sensation de “craving”) et l’absence des signes de surdose (somnolence et autres) (J).

Lorsqu’un patient est stable depuis quelque temps sur une dose et exprime la volonté de diminuer la quantité, il est possible de faire une diminution de la dose sur plusieurs mois, voire plusieurs années (J). Toutefois, plus la dose diminue, plus il devient difficile de continuer à diminuer. L’étape la plus difficile est de passer d’une très faible dose à un sevrage complet: plusieurs patients vont donc rester sur une petite dose plutôt que de sevrer complètement. Bien que le sevrage complet soit une option, l’idéal quand on débute un traitement de TLUO est sa poursuite à long terme pour éviter les risques de rechute et la morbidité qui y est associée.

Références

  1. « Prescriptions for painkillers still rising in Canada despite opioid crisis » https://beta.theglobeandmail.com/news/national/prescriptions-for-painkillers-still-rising-in-canada-despite-opioidcrisis/article34431838/?ref=http://www.theglobeandmail.com&
  2. « Prescriptions opioids » http://www.ccdus.ca/Resource%20Library/CCSA-Canadian-Drug-Summary-Prescription-Opioids-2017-en.pdf
  3. « Médicaments d’ordonnance et opioïdes » http://www.ccdus.ca/fra/topics/prescription-drugs/pages/default.aspx
  4. « Opioid Dependence Treatment: Options In Pharmacotherapy » https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2874458/
  5. « Predictors of Relapse after Inpatient Opioid Detoxification during 1-Year Follow-Up » https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5046044/
  6. « Basic opioid pharmacology: an update » https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4590096/
  7. « The Neurobiology of Opioid Dependence: Implications for Treatment » https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2851054/
  8. « Buprenorphine/Naloxone for Opioid Dependence : Clinical Practice Guideline » https://www.cpso.on.ca/uploadedFiles/policies/guidelines/office/buprenorphine_naloxone_gdlns2011.pdf
  9. « La buprénorphine dans le traitement de la dépendance aux opioïdes » http://www.opq.org/doc/media/808_38_fr-ca_0_ld_buprenorphone.pdf
  10. « Le traitement de la dépendance aux opioïdes » http://www.professionsante.ca/files/2012/04/QP04_023-031.pdf 
Rédigé par
Michelle Chen
Date de publication
23 mars 2018