16 novembre 2017

Utilisation des jardins communautaires et alimentation bio – Étude exploratoire

Article
Auteur(s)
Marie-Eve Levasseur
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Fabien Gagnon
M.D., M. Sc., FRCPC, médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Onil Samuel
B. Sc., expert et conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

Résumé

Un engouement croissant pour les jardins communautaires et collectifs est observé au Québec depuis les dernières décennies. Cet article présente une étude réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec à l’automne 2014 qui visait à évaluer l’efficacité potentielle des jardins communautaires à réduire l’exposition aux pesticides chez leurs utilisateurs. Un sondage a été conduit auprès de 100 utilisateurs de 4 jardins communautaires de la région de la Capitale-Nationale afin de documenter leurs pratiques culturales, leur autonomie alimentaire en fruits et en légumes, de même que leurs sources d'approvisionnement alternatives pour ce qu'ils ne peuvent produire ou conserver. 

Introduction

De toutes les composantes de l’agriculture urbaine au Québec, les jardins communautaires ou collectifs forment probablement celles qui connaissent le plus grand essor. Les jardins communautaires offrent des parcelles de terre où chacun cultive et récolte individuellement le fruit de son travail, alors que dans un jardin collectif, la responsabilité de l’ensemble du terrain relève de tous les participants qui partagent plantation, entretien et récolte (lorsque cette dernière n’est pas destinée à des organismes de charité). Cet engouement se reflète notamment par une augmentation du nombre de jardins depuis les dernières années et l’allongement de plusieurs listes d’attente pour ces installations. Ainsi, à Montréal, le nombre de jardins communautaires est passé d’une quarantaine en 1981 à 97 en 2011, et le nombre de jardins collectifs est aussi passé d’une quarantaine, en 2008, à environ 75 en 20111. Cette tendance semble s’étendre à d’autres municipalités et régions. En particulier, on observe une croissance des parcelles cultivables dans de nombreuses agglomérations comme Gatineau (plus d’une quinzaine de jardins communautaires et collectifs soutenus par la ville)2 et Québec, où les premiers jardins ont vu le jour à la fin des années 1970 pour en dénombrer aujourd’hui plus d’une cinquantaine de tous types. Il y aurait plus de 18 000 jardins communautaires au Canada et aux États-Unis3.

Selon une étude de perception effectuée dans la région de Toronto, les utilisateurs des jardins communautaires et collectifs y verraient des bénéfices en termes d’accessibilité alimentaire et de saine alimentation, d’activité physique, d’amélioration de leur santé mentale, de socialisation et de cohésion sociale4. Ces bénéfices sont également rapportés dans une récente revue de la littérature portant sur les effets des espaces verts sur la santé, incluant les jardins communautaires, dans un contexte nord-américain (Canada, États-Unis, pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE])5.

De plus, dans la mesure où l’utilisation de pesticides y est souvent encadrée, plusieurs utilisateurs y voient un moyen de réduire leur exposition. Cette dernière assomption est cependant plus difficile à soutenir en fonction des données disponibles. En effet, même si des études ont montré que la consommation de produits biologiques permet de réduire l’exposition aux pesticides6-8, les méthodes de recrutement des participants ou les devis expérimentaux de ces études limitent considérablement l’applicabilité de tels résultats à ceux dont la diète n’est pas essentiellement bio. Dans le cas particulier des utilisateurs de jardins communautaires et collectifs, l’ampleur de la diminution de leur exposition aux pesticides dépendra de la capacité de leurs récoltes à satisfaire l’ensemble de leurs besoins en légumes et en fruits, de même que de la provenance et de la nature des produits achetés pour combler les écarts.

La présente étude, réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) à l’automne 2014 dans le cadre de l’évaluation de la faisabilité d’un projet de biosurveillance, visait donc à évaluer le potentiel de réduction de l’exposition aux pesticides conféré à l’utilisation d’un jardin communautaire. Cette étude excluait les jardins collectifs, leurs utilisateurs pouvant difficilement répondre du mode de production des récoltes qu’ils consomment.

Méthode

Une recension des installations a été effectuée par l’intermédiaire du 211, un service qui offre des informations sur les ressources et services communautaires, publics et parapublics des régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches. Les données suivantes ont ensuite été colligées à partir des sites Internet des municipalités ou des jardins communautaires : les caractéristiques et la raison sociale du jardin, le type de cultures permises, l’encadrement des pesticides et toute autre information pertinente.

À partir des 49 installations recensées, 4 ont été sélectionnées en fonction de caractéristiques communes (ancienneté, présence d’un responsable qui soit également un utilisateur, production de cultures sans pesticides ou utilisant des produits reconnus en agriculture biologique, nature communautaire du jardin). Une rencontre informelle a ensuite été tenue avec les responsables des jardins retenus afin d’en apprendre davantage sur le fonctionnement de leur jardin et d’obtenir leur accord pour recevoir et prétester une première version du sondage qu’ils ont ultérieurement transmis eux-mêmes à leurs membres par voie électronique (afin de préserver la confidentialité de leurs coordonnées personnelles). C’est donc 507 personnes qui ont reçu, du 30 octobre au 3 novembre 2014, une invitation pour répondre au sondage de type SurveyMonkey© de façon anonyme. Un des responsables a également accepté d’envoyer par la poste le questionnaire accompagné d’une enveloppe pré affranchie aux 22 membres de son jardin qui n’avaient pas d’adresses courriel.

Le sondage, qui pouvait être rempli en 10 à 15 minutes, comptait 30 questions visant à documenter le type de produits cultivés par les utilisateurs (légumes ou fruits, définis selon leur utilisation culinaire) de même que la capacité de leurs parcelles à pourvoir à l’ensemble de leurs besoins pour ces produits. La saison des récoltes a servi de période repère, que ce soit dans son entièreté ou encore aux moments extrêmes que représentent, d’un côté, la meilleure semaine de la saison des récoltes et, de l’autre, la fin de l’hiver, soit la troisième semaine de mars. L’achat de légumes et de fruits biologiques, de même que la proportion de ces produits sur l’ensemble des légumes ou fruits achetés pour compléter l’approvisionnement, étaient également documentés pendant la saison des récoltes et après celle-ci. Enfin, les répondants étaient invités à identifier leur sexe et groupe d’âge, motivation et expérience en jardin communautaire, de même que leur appréciation de leur dernière récolte comparativement aux années antérieures. Le délai pour y répondre était de deux semaines, ce qui peut sembler relativement court, mais avait l’avantage de diminuer les biais de rappel.

Résultats et discussion

Au total, 100 personnes ont répondu au sondage, pour un taux de réponse de 19,7 %. Soixante-quinze pour cent (75 %) des répondants étaient des femmes et 35 % faisaient partie de la tranche d’âge des 50 à 64 ans. La principale raison la plus souvent évoquée pour l’utilisation d’un jardin communautaire était le plaisir (pour 53 % d’entre eux), suivie par « la consommation de produits sans pesticides » (24 %).

Au cours de la saison estivale qui venait de se terminer, tous les répondants avaient cultivé des légumes sur leur parcelle et 48 % avaient également cultivé des fruits. Durant l’ensemble de la saison des récoltes, seulement 12 % des répondants se sont dit autonomes pour leur approvisionnement en légumes et 1 % pour ce qui est des fruits. Il n’empêche que pendant au moins une semaine, au meilleur de la saison, 61 % des répondants ont affirmé que l’ensemble des légumes consommés provenait entièrement de leur production. Pour ceux qui cultivent des fruits, cette proportion passait à 8,3 %, soit 4 % de tous les répondants. Vers la fin de l’hiver, 7 % des répondants ont affirmé que, pendant au moins une semaine, l’ensemble des légumes consommés (incluant conserves et marinades) provenait entièrement de leur production au jardin communautaire. Pour les fruits, cette proportion était de 1 %.

En somme, pour la plupart des répondants, les produits récoltés ne pouvaient pas leur assurer une autonomie soutenue en légumes et en fruits. Une fois atteinte, celle-ci était limitée à une courte période pour la très grande majorité des répondants et concernait essentiellement les légumes, la production de fruits étant considérablement limitée en raison de la taille des parcelles qui ne permet pas la culture d’arbres ou même d’arbustes fruitiers. Bien que ces données ne se rapportent qu’à une seule saison de récolte, la majorité des répondants (68 %) l’ont qualifiée comme ayant été supérieure ou semblable aux années précédentes. De plus, les résultats ne semblent pas avoir été influencés par l’inexpérience des jardiniers, car seulement 18 % des répondants en étaient à leur première année dans un jardin communautaire.

Par contre, pour environ 12 % des répondants, les produits cultivés au jardin communautaire ont permis de satisfaire de 50 à 99 % de leurs besoins hebdomadaires en légumes au meilleur de la saison. Si on ajoute à ce nombre les utilisateurs qui se disaient autonomes en légumes pendant au moins une semaine durant la saison des récoltes (61 %), c’est donc près des trois quarts des répondants (73 %) qui pouvaient compter sur leur parcelle au jardin communautaire pour combler la majorité de leurs besoins en légumes pour une courte période au cours de l’été. Par le même calcul, c’est environ 22,9 % de ceux qui cultivaient des fruits qui pouvaient compter sur leur lot au jardin communautaire pour combler la majorité de leurs besoins au meilleur de la saison durant au moins une semaine, soit 11 % de tous les répondants. La figure 1 présente ces dernières données de façon plus détaillée.

Figure 1 - Proportion des besoins hebdomadaires en légumes et en fruits satisfaits par les cultures provenant de la parcelle au jardin communautaire, au meilleur de la saison des récoltes

Ainsi, l’utilisation d’une parcelle de jardin communautaire assurerait pour une période d’au moins une semaine une consommation à prépondérance biologique chez les trois quarts des jardiniers pour les légumes, mais pour moins du quart d’entre eux pour les fruits. Leur alimentation se rapprocherait toutefois d’un profil biologique dans la mesure où ce qu’ils achètent pour combler leurs besoins est biologique. En effet, 53 % des répondants ont répondu acheter des légumes biologiques durant la saison des récoltes. De ce nombre, 39 % estimaient que les légumes biologiques représentaient la majorité des légumes achetés. En ce qui concerne les fruits, environ 57 % des répondants ont acheté des fruits biologiques pendant la saison des récoltes, qui représentaient la majorité des fruits achetés par 22 % de ces répondants. Après la saison des récoltes, 63 % des répondants ont dit acheter des légumes biologiques et 54 % des fruits biologiques, mais cela ne représentait la majorité des légumes et fruits achetés que pour respectivement 18 % et 9 % des répondants.

De manière générale, les achats de produits biologiques ne semblaient pas plus élevés chez les utilisateurs de jardins communautaires que dans la population générale. En effet, selon les données provenant des sondages de la Filière biologique du Québec, environ 56 % des Québécois auraient consommé des produits biologiques au cours de la dernière année et, parmi ces derniers, 18 % en consommeraient dans une proportion de plus de 30 % de leur alimentation globale9.

À première vue, il n’est pas possible de conclure que les utilisateurs de jardins communautaires achètent davantage de produits biologiques que la population générale durant une année complète. Une fois additionnés à leur production en jardin communautaire, ces achats contribuent néanmoins à donner accès à une consommation de légumes et de fruits majoritairement biologiques à une partie de ces utilisateurs dans une proportion variable en fonction de la saison, de la durée et du type de produit.

Conclusion

Il est permis de supposer qu’il existe une réduction de l’exposition aux pesticides pour la période de consommation des légumes et des fruits produits au jardin communautaire, mais cette réduction, dont l’ampleur reste à objectiver, ne saurait être soutenue en raison des limites de cette production. Un projet pilote de biosurveillance, réalisé pendant une période clé de l'année et pour certains pesticides « sentinelles », pourrait permettre de mieux caractériser l'effet des jardins communautaires sur l'exposition des usagers aux pesticides.

Remerciements

Cette étude a été réalisée grâce au soutien financier du centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

Pour toute correspondance

Fabien Gagnon
Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Institut national de santé publique du Québec
190, boulevard Crémazie Est
Montréal (Québec)  H2P 1E2
Courriel : [email protected]

Références

  1. Agriculture urbaine Montréal (2017). Historique récent de l’agriculture urbaine à Montréal. Disponible : agriculturemontreal.com/historique-recent-agriculture-urbaine-montreal
  2. Ville de Gatineau (2017). Jardins communautaires et collectifs. Disponible : www.gatineau.ca/portail/default.aspx?p=quoi_faire/jardins_communautaires_collectifs
  3. McCormack, L.A., Laska, M.N., Larson, N.I., Story, M. (2010). Review of the Nutritional Implications of Farmers’ Markets and Community Gardens: A Call for Evaluation and Research Efforts. J Am Diet Assoc., 110(3) : 399-408.
  4. Wakefield, S., Yeudall, F., Taron, C., Reynolds, J., Skinner, A. (2007). Growing urban health: community gardening in South-East Toronto. Health Promot Int., 22(2):92-101.
  5. Beaudoin, M., Levasseur, M.-E. (2017). Verdir les villes pour la santé de la population. Institut national de santé publique du Québec. Disponible : www.inspq.qc.ca/publications/2265
  6. Curl, C.L., Fenske, R.A., Elgethun, K. (2003). Organophosphorus Pesticide Exposure of Urban and Suburban Preschool Children with Organic and Conventional Diets. Environ Health Perspect., 111(3) : 377-382.
  7. Lu, C., Toepel, K., Irish, R., Fenske, R.A., Barr, D.B., Bravo, R. (2006). Organic Diets Significantly Lower Children’s Dietary Exposure to Organophosphorus Pesticides. Environ Health Perspect., 114(2) : 260-263.
  8. Oates, L., Cohen, M., Braun, L., Schembri, A., Taskova, R. (2014). Reduction in urinary organophosphate pesticide metabolites in adults after a week-long organic diet. Environ Research, 132: 105-111.
  9. FBQ (2013). Faits saillants du sondage auprès de la population québécoise sur la consommation de produits biologiques. Filière biologique du Québec. Disponible : www.agrireseau.net/agriculturebiologique/documents/Faits%20saillants%20sondage%202013%20-%20Consommation%20produits%20bio%20au%20Qu%C3%A9bec.pdf