19 août 2005

Trafic routier et risque d’hospitalisation pour problèmes respiratoires chez les personnes âgées de Montréal

Article
Auteur(s)
Audrey Smargiassi
Institut national de santé publique du Québec, Direction de santé publique de Montréal et Centre de recherche Léa-Roback
Khalid Berrada
Direction de santé publique de Montréal
Isabel Fortier
Génome Québec
Norman King
M. Sc., Direction de santé publique de Montréal
Tom Kosatsky
Direction de santé publique de Montréal et Université McGill

Mise en contexte

Les données actuellement disponibles sur l’impact sanitaire des particules fines (particules dont le diamètre est égal ou inférieur à 2,5 µm, ou PM2.5) démontrent que les taux de mortalité et d’hospitalisation pour problèmes respiratoires sont plus élevés lors de pics de pollution de courtes durées (d'un ou de plusieurs jours). D’autres études montrent aussi que sur une longue période, les populations qui vivent dans des villes ou des secteurs où la concentration de PM2.5 est élevée, présentent des taux de mortalité et d’hospitalisation pour problèmes respiratoires plus élevés comparativement à des populations vivant dans des villes moins polluées. Les enfants et les personnes âgées, notamment celles souffrant de maladies respiratoires et cardiovasculaires, seraient plus susceptibles à certains effets associés aux particules fines.

Les PM2.5 peuvent être directement émises dans l’atmosphère ou être formées à partir de gaz, eux-mêmes directement émis dans l’air ambiant. La masse des PM2.5 est dominée par les particules formées à partir de gaz émis dans l’atmosphère (particules secondaires). Les PM2.5 peuvent être transportées sur de longues distances et possèdent une durée de vie de plusieurs jours. Ainsi, les données environnementales révèlent que bien qu’il existe des différences à grande échelle, la distribution des PM2.5 dans l’air est relativement stable à l’échelle régionale. Toutefois, les concentrations de PM2.5 dans l’air varient dans le temps en fonction, entre autres, de leur vitesse de formation et des conditions climatiques. En effet, la provenance des vents, leur vélocité, les inversions thermiques, etc. vont influencer les concentrations de particules à un endroit donné. Il est aussi connu que plus il fait chaud, plus les niveaux de particules sont élevésa.

Contrairement aux particules secondaires, la quantité de particules directement émise dans l’atmosphère varie sur de petites distances, au sein même d’une ville. Ces particules ont un diamètre généralement inférieur à 1 µm et proviennent surtout de la combustion. Ainsi, le nombre de particules ultrafines (<0,1mm) et les concentrations de certains polluants gazeux (ex. les oxydes d’azote) varient de façon importante avec la distance à une route et l’intensité de la circulation2,3,4. Il est donc concevable que des groupes vulnérables comme les personnes âgées,qui habitent à proximité d’une voie de circulation importante, soient plus à risque de présenter des problèmes de santé respiratoire.

Au cours des dernières années, certaines études ont donc été effectuées afin de déterminer le risque que les personnes vivant le long d’artères à forte densité de circulation courent de développer certains problèmes de santé. Par exemple, les auteurs d’une étude de cohorte, effectuée aux Pays-Bas, ont observé des taux de mortalité plus élevés lorsque l’intensité de la circulation et les estimations des concentrations de carbone élémentaire (composant majeur des particules provenant de la combustion) dans l’air ambiant sont plus élevées5. À Toronto, Buckeridge et al.6 ont observé une augmentation des taux d’hospitalisation chez les gens vivant le long des rues où l’intensité de la circulation et les estimations de particules émises par les véhicules routiers étaient plus élevées. Finalement, des prévalences de symptômes respiratoires plus élevées ont aussi été notées à plusieurs reprises chez des enfants habitant à proximité d’artères importantes7,8,9.

Par ailleurs, étant donné que la pauvreté est un déterminant important de la santé, certains auteurs ont suggéré que les associations décrites ci-dessus puissent s’expliquer par le statut socio-économique plus faible des gens habitant le long d’artères routières à haut débit de circulation10.

Objectif

Le présent article décrit de façon succincte les résultats obtenus d’une étude initiée à Montréal en 2003 dont l'objectif était de vérifier si les Montréalais âgés de 60 ans et plus habitant le long d’artères à forte densité de circulation courent un risque plus élevé d’être hospitalisés pour des problèmes respiratoires, après avoir tenu compte de leur statut socio-économique.

Méthodologie

La population de cette étude inclut les résidants de l’île de Montréal de 60 ans et plus admis à un hôpital montréalais entre avril 2001 et mars 2002, pour tout diagnostic autre que les lésions traumatiques, les maladies de l’appareil circulatoire, les tumeurs et la tuberculoseb. L’information sur les patients hospitalisés, incluant l’âge, le sexe, le code du diagnostic et le code postal de la résidence, provient de la base de données MED-ECHO du ministère de la Santé et des Services sociaux. La codification des diagnostics est effectuée selon la 9e Classification internationale des maladies (CIM-9).

L’étude est de type cas-témoins. Les hospitalisations pour diagnostics de problèmes respiratoires (codes 460 à 519) ont été considérées comme les cas tandis que le groupe témoin était constitué des hospitalisations pour tous les autres diagnostics retenus. La population sous étude totalise 45 065 hospitalisations, dont 5 805 se rapportant à des problèmes respiratoires.

Pour la mesure de l’exposition, nous avons utilisé les estimations d’intensité de circulation des segments de rues de Montréal provenant du modèle MOTREM98c du ministère des Transports du Québec. Les estimations de circulation de ce modèle sont basées sur les données de l’enquête téléphonique Origine-Destination réalisée à l’automne 1998 auprès de la population montréalaise. Cette enquête sert à tracer le portrait de l’ensemble des déplacements faits par les résidants de la région, un matin de semaine à l’heure de pointe (soit entre 6h00 et 9h00), peu importe le moyen de transport utilisé (www.amt.qc.ca). Le modèle MOTREM98 ne concerne que les artères collectrices, les rues résidentielles à faible densité de circulation n’étant donc pas incluses. Nous avons fait la somme des estimations du nombre de passages de camions et d’automobiles pour les rues retenues dans le modèle MOTREM98. À partir de ces données, nous avons fait une compilation selon l' intensité de trafic pour chaque code postal de Montréal. Nous avons attribué à chaque personne hospitalisée la valeur d’intensité de trafic correspondant au code postal de sa résidence.

Les personnes hospitalisées ont été regroupées en trois catégories à partir des estimations du trafic routier en période de pointe matinale, soit les personnes habitant des segments de rue à trafic :

  • faible : moins de 3 160 véhicules;
  • moyen : 3 160 à 7 700 véhicules;
  • élevé : plus de 7 700 véhicules.

La valeur foncière moyenne des logements pour chaque code postal, relevée à partir des fichiers d’évaluation foncière de la ville, a été utilisée comme indicateur du statut socio-économique. Cette valeur moyenne des logements a été calculée pour chaque code postal en divisant la somme des valeurs des bâtiments résidentiels d’un code postal par le nombre de logements correspondant à ce dernier. Par la suite, la valeur moyenne des logements du code postal de la résidence a été attribuée à chacune des personnes hospitalisées. La valeur foncière des logements a été utilisée comme indicateur du statut socio-économique puisque les données socio-économiques ne sont pas disponibles pour des tranches restreintes de population (ex. pour les gens vivant sur la même rue) à partir du recensement canadien.

Les analyses statistiques ont été réalisées au moyen de régressions logistique afin de calculer les rapports de cote (intervalle de confiance à 95 %) et de modèles multivariés afin d'ajuster pour l’âge, le sexe et la valeur moyenne des logements du code postal.

Résultats

Sur l’ensemble de la population étudiée (cas et témoins), 6,7 % habitent des segments de rues présentant un estimé d’intensité de circulation supérieure à 3 160 véhicules lors de l’heure de pointe matinale (trafic moyen et élevé). Ce pourcentage s’établit à 8,3 % pour les cas et à 6,4 % pour les témoins.

Le tableau ci-dessous présente les rapports de cotes (RC). Ceux-ci montrent que le risque d’être hospitalisé pour problèmes respiratoires augmente avec l’intensité du trafic routier par rapport aux autres problèmes de santé considérés; ce risque est environ 24 % plus élevé chez les personnes âgées habitant le long d’artères routières dont l’intensité de circulation se situe entre 3 160 et 7 700 véhicules lors de l’heure de pointe matinale, comparativement aux résidants des rues moins passantes, et d’environ 55 % plus élevé lorsque la densité en période de pointe matinale dépasse 7 700 véhicules.

Tableau 1. Rapports de cotes des hospitalisations pour problèmes respiratoires chez les personnes de plus de 60 ans selon le niveau d’exposition au trafic routier en période de pointe matinale

En ajustant pour la valeur des logements (de même que pour l’âge et le sexe des individus), les RC diminuent et les risques sont de 7 % à 30 % plus élevés pour les hospitalisations pour problèmes respiratoires chez les personnes qui vivent le long des artères, selon la densité de trafic. Cette relation n'est statistiquement significative que pour les personnes habitant le long d’artères à trafic élevé.

Discussion

Cette étude cas-témoins montre que le risque d’hospitalisation des personnes âgées pour problèmes respiratoires est plus grand lorsque l’intensité de la circulation routière à Montréal est élevée et ce, même en tenant compte du statut socio-économique. Ces données vont dans le même sens que d’autres études scientifiques réalisées sur le même sujet.

Quelques limites de notre étude sont à souligner, notamment l’utilisation d’estimations d’exposition et du statut socio-économique basés sur le code postal de la résidence. Il demeure en effet possible que l’utilisation d’estimations engendre une classification inexacte de l’exposition et du statut socio-économique des individus hospitalisés. À titre d’exemple, le code postal ne permet pas de discriminer l’étage du logement, facteur susceptible d’influencer l’exposition réelle. Précisons que dans le contexte de la présente étude, il s’avérait pratiquement impossible, compte tenu des efforts et des coûts élevés, de procéder à la mesure systématique de l’exposition aux émissions des véhicules routiers de l’ensemble des résidants de Montréal.

Par ailleurs, le tabagisme individuel n’a pu être considéré puisque le fichier Med-Echo ne contient pas ce type de données. Toutefois, étant donné que le tabagisme est associé au statut socio-économique, il demeure possible que le fait d’ajuster l’association entre l’intensité du trafic et l’hospitalisation pour problèmes respiratoires pour la valeur des logements des individus, entraîne un contrôle, du moins partiel, du tabagisme.

Malgré les limites de la présente étude, les résultats obtenus mettent en évidence l’impact potentiel de l’aménagement urbain sur la santé des populations qui y vivent. À cet effet, nous sommes d’avis que des politiques publiques saines devraient favoriser l’aménagement de quartiers urbains résidentiels exposant le moins possible la population résidante aux contaminants du trafic routier.

Références

  1. USEPA (United States Environmental Protection Agency), 2004. Air Quality Cri­teria for Particulate Matter, Research Triangle Park, NC, EPA/600/P-99/002aF.
  2. Smargiassi, A., Baldwin, M., Pilger, C. et al., 2005. Small-scale spatial varia­bility of particle concentrations and traffic levels in Montreal : a pilot study. Sci Total Environ, 338 (3) : 243-51.
  3. Gilbert, N.L., Woodhouse, S., Stieb, D.M., Brook, J.R., 2003. Ambient nitro­gen dioxide and distance from a major highway. Sci Total Environ, 312 (1-3) : 43-6.
  4. Zhu, Y., Hinds, W.C., Kim, S. et al., 2002. Concentration and size distribution of ultrafine particles near a major highway. J Air Waste Manag Assoc, 52 : 1032-42.
  5. Hoek, G., Brunekreef, B., Goldbohm, S. et al., 2002. Association between mortality and indicators of traffic-related air pollution in the Netherlands: a cohort study. Lancet, 360 (934) : 1203-9.
  6. Buckeridge, D.L., Glazier, R., Harvey, B.J. et al., 2002. Effect of motor vehicle emissions on respiratory health in an urban area. Environ Health Perspect,110 : 293-300.
  7. Brauer, M., Hoek, G., Van Vliet, P. et al., 2002. Air pollution from traffic and the development of respiratory infections and asthmatic and allergic symptoms in chil­dren. Am J Respir Crit Care Med, 166 (8) : 1092-8.
  8. Janssen, N.A., Brunekreef, B., van Vliet, P., Aarts, F. et al., 2003. The relationship between air pollution from heavy traffic and allergic sensitization, bronchial hyperresponsiveness, and respiratory symptoms in Dutch schoolchildren. Environ Health Perspect, 111 (12) : 1512-8.
  9. Oosterlee, A., Drijver, M., Lebret, E. et al., 1996. Chronic respiratory symptoms in children and adults living along streets with high traffic density. Occup Environ Med, 53 (4) : 241-7.
  10. Delfino RJ. Epidemiologic evidence for asthma and exposure to air toxics: linka­ges between occupational, indoor, and community air pollution research. Environ Health Perspect 2002;110 Suppl 4 : 573-89.

a Pour une revue sur les sources, l’exposition et les effets des particules fines sur la santé, voir USEPA(2004)1.

b Les admissions pour la tuberculose ont été exclues pour limiter les biais pouvant être associés au statut socio-économique, tandis que les trois autres groupes de diagnostics non pas été retenus étant donné leur lien possible avec l’exposition au trafic.

Remerciements

Les auteurs de cette étude tiennent à remercier le centre de recherche Léa-Roback pour son financement et le ministère des Transports du Québec pour les données du modèle MOTREM98.