4 mai 2015

Qui sont les plus à risque dans les quartiers à risque élevé de chaleur dans les grands centres urbains du Québec?

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Diane Bélanger
Ph. D., Institut national de la recherche scientifique et Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec
Pierre Gosselin
M.D., MPH, Institut national de santé publique du Québec, Institut national de la recherche scientifique
Pierre Valois
Ph. D., Université Laval
Belkacem Abdous
Ph. D., Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec et Université Laval

Contexte

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le nombre de journées et de nuits chaudes s’accroîtra presque certainement à l’échelle de la planète d’ici la fin du XXIe siècle1. La durée, la fréquence ou l’intensité des périodes chaudes ou de vagues de chaleur augmenteront aussi très probablement. Or, ces événements affectent déjà la santé des populations les plus défavorisées et des populations des centres urbains, peu importe le niveau de développement des pays2.

Cet article présente les principaux indicateurs de la prévalence d’impacts sanitaires néfastes autorapportés lorsqu’il fait très chaud et humide en été dans les aires de diffusion très défavorisées (AD-TD) des neuf villes du Québec comptant au moins 100 000 habitants, en 2011.

Présentation de l’étude

Cette étude est une enquête transversale par échantillon stratifié avec une procédure de sélection en deux étapes3 soit :

  1. la détermination des nombres d’AD-TD et de ménages à sonder;
  2. l’identification aléatoire des ménages, puis des répondants.

Au total, 3 485 personnes résidant dans les AD-TD des villes québécoises les plus populeuses ont été interviewées à leur domicile, en 2011, à l’aide d’un questionnaire développé (essentiellement sur la base de questionnaires déjà validés) et préalablement testé4. La mesure des impacts sanitaires néfastes autorapportés lorsqu’il fait très chaud et humide en été (ci-après désignés « impacts ») est similaire à celle de l’état de santé perçu des enquêtes populationnelles canadiennes.

Variables

Dans cette publication, les deux variables à expliquer (variables dépendantes) étaient la prévalence globale d’impacts et la prévalence d’impacts ayant conduit des répondants à consulter un professionnel de la santé en raison de la chaleur. Dans le premier cas, le groupe à risque est constitué de répondants disant ressentir moyennement ou beaucoup d’effets néfastes sur leur santé physique ou mentale lorsqu’il fait très chaud et humide en été (versus peu ou pas). Dans le deuxième cas, il est constitué de répondants à risque (moyennement ou beaucoup) d’impacts qui ont dû consulter pour cette raison (versus non). Deux groupes d’indicateurs de risque ont été mis en relation avec les impacts. Le premier groupe comprend des indicateurs individuels, soit des caractéristiques sociodémographiques, socioculturelles, socioéconomiques, des habitudes de vie, des caractéristiques et des perceptions liées aux contacts et au soutien social, à l’état de santé, aux soins et services de la santé. Le deuxième groupe contient des indicateurs contextuels, c’est-à-dire des caractéristiques et des perceptions liées au logement, à l’immeuble habité et au quartier de résidence (en dedans de 15 à 20 minutes de marche de chez le répondant).

Analyses statistiques

Le plan d’échantillonnage utilisé dans cette étude a permis la pondération des données en fonction du poids des AD et des ménages pour l’analyse. Dans cet article, toutes les estimations sont jugées suffisamment précises (coefficients de variation < 15 %). En analyse multivariée, les méthodes d’équations d’estimation généralisées (GEE) ont permis de considérer la possibilité d’autocorrélation spatiale entre les participants au sein des AD/communautés spécifiques. La corrélation entre les indicateurs de risque a aussi été évaluée et prise en compte, le cas échéant. Trois modèles de régression logistique identifient des indicateurs de risque associés simultanément à la prévalence d’impacts. Dans le premier modèle, seuls les indicateurs individuels ont été associés à la prévalence globale d’impacts; ce modèle a été ajusté pour la climatisation à domicile. Dans le deuxième modèle, la prévalence globale a été mise en relation d’abord avec les indicateurs contextuels, ensuite avec les indicateurs individuels retenus dans le premier modèle. Quant au troisième modèle, il est l’application du deuxième modèle à la prévalence d’impacts ayant conduit à consulter un professionnel de la santé pour cause de chaleur. Enfin, l’indice C donne une idée de la capacité discriminante d’un modèle (soit sa capacité à départager les répondants selon qu’ils ont des impacts ou pas, et qu’ils consultent ou non pour ces impacts); la valeur attendue est comprise entre 0,5 (le modèle n’est pas discriminant) et 1,0 (il discrimine parfaitement). Ici, seuls les principaux résultats des analyses multivariées sont présentés, mais plus de détails sont disponibles dans les rapports5,6 ou les articles scientifiques publiés7,8.

Principaux résultats

Parmi les 3 485 répondants vivant dans les AD-TD des principales villes en 2011, la prévalence globale d’impacts sanitaires néfastes autorapportés lorsqu’il fait très chaud et humide en été était de 46.0 % (intervalle de confiance, IC : 44,2-47,8), soit de 41,0 % (IC : 36,9-45,0) chez les 18-44 ans, 52,9 % (IC : 49,2-56,6) chez les 45-64 ans et 42,1 % (IC : 37,8-46,5) chez les 65 ans ou plus. La prévalence d’impacts ayant conduit des répondants moyennement ou beaucoup affectés par la chaleur à consulter un professionnel de la santé (le médecin traitant 3 fois sur 4) dans le même contexte était de 11,9 % (IC : 10,7-13,0).

Comme illustrés au tableau 1, les résultats montrent qu’un état de santé précaire, tant subjectif (stress perçu et état de santé perçu) que clinique (congé de longue durée et diagnostics de maladies chroniques), prédispose aux impacts sanitaires néfastes lorsqu’il fait très chaud et humide en été (modèles 1 et 2), voire à la consultation médicale dans de telles conditions (modèle 3). L’apport d’un état de santé précaire persiste même lorsque l’effet d’un indicateur de l’exposition à la chaleur dans le logement (satisfaction de la température en été) et celui d’un indicateur de la pollution atmosphérique liée au transport routier dans le quartier de résidence sont déjà mesurés (modèles 2 et 3). En outre, l’ensemble de ces indicateurs discrimine bien la prévalence d’impacts, le modèle 3 étant le plus performant avec un indice C à 0,80. Quant aux autres indicateurs (âge, genre, revenu, climatisation à domicile, qualité de l’air intérieur du logement perçue comme étant une cause des problèmes de santé), ils ne sont associés qu’à la prévalence globale d’impacts (modèles 1 et 2).

Tableau 1 - Indicateurs de risque simultanément associés à la prévalence d’impacts sanitaires néfastes autorapportés lorsqu’il fait très chaud et très humide en été


Indicateurs de risque
(groupes de comparaison)

Prévalence globale d’impacts (modèles 1 et 2) et prévalence d’impacts avec consultation (modèle 3)

RC (IC)A

Modèle 1B
< 65 ans

Modèle 1B
≥ 65 ans

Modèle 2B
Tous

Modèle 3B
Tous

Le quartier

 

 

 

 

Pollution de l’air, due à la densité du trafic urbain, perçue assez/très problématique (vs non)

NA

NA

1,4 (1,2-1,7)*

1,9 (1,5-2,5)*

Le logement

 

 

 

 

Satisfaction de la température intérieure du logement en été (vs satisfait) :

 

 

 

 

     Pas du tout satisfait

NA

NA

3,5 (2,8-4,3)*

2,2 (1,7-3,1)*

     Plutôt insatisfait

NA

NA

1,6 (1,3-2,0)*

1,9 (1,3-2,8)†

Qualité de l’air intérieur du logement perçue comme étant une cause des problèmes de santé (vs non)

NA

NA

2,1 (1,5-2,9)*

Climatisation à domicile (tous types confondus)

1,6 (1,3-1,9)*

1,4 (1,0-1,9)ƪ

1,4 (1,2-1,7)*

Le sociodémographique

 

 

 

 

≥ 65 ans (< 65 ans)

NA

NA

1,5 (1,2-1,8)†

Femmes (hommes)

1,7 (1,4-2,1)*

1,4 (1,0-1,9)

1,5 (1,3-1,8)*

Le socioéconomique

 

 

 

 

Revenu < 15 000 $ (≥ 15 000 $)

1,3 (1,1-1,6)ƪ

1,5 (1,1-2,1)‡

L’état de santé

 

 

 

 

Congé de longue durée pour raisons médicales (non)

2,0 (1,5-2,7)*

NAC

2,0 (1,6-2,6)*

2,3 (1,6-3,4)*

Journées assez ou extrêmement stressantes la plupart du temps (vs non)

1,5 (1,3-1,9)*

1,9 (1,2-2,9)‡

1,5 (1,2-1,8)†

1,6 (1,2-2,1)†

Multimorbidité chronique [condition 1] et état de santé perçu passable/mauvais [condition 2] (vs < 2 diagnostics chroniques et meilleur état de santé) :

 

 

 

 

     Condition 1

1,9 (1,4-2,6)*

1,9 (1,3-2,8)†

1,7 (1,3-2,2)*

3,1 (2,1-4,5)*

     Condition 2

2,2 (1,5-3,1)*

1,6 (1,0-2,7)

1,8 (1,4-2,4)*

2,1 (1,3-3,4)‡

     Conditions 1 et 2

5,6 (3,9; 8,0)*

4,2 (2,9; 6,2)*

4,1 (3,2-5,3)*

5,9 (4,3-8,1)*

A   RC (IC) : rapport de cotes (intervalle de confiance). Valeur p associée au Khi-2 de Wald : * ou p < . 0001; † ou p < . 001; ‡ ou p < . 01; ƪ ou p < . 05; —  ou p >. 05. NA : non applicable
B  Indice C : modèle 1 =. 70; modèle 2 =. 75; modèle 3=. 80
C  Le congé de longue durée touche la classe active de la population, généralement âgée de 15 à 64 ans

Intérêt pour la santé publique

Divers constats d’intérêt pour la santé publique ressortent des résultats présentés, notamment que :

  • L’étude constitue une évidence unique de la relation entre la santé et les caractéristiques des individus, des logements et des quartiers habités, par son plan d’échantillonnage des ménages dans les aires de diffusion les plus défavorisées.
  • L’insatisfaction de la température intérieure du logement en été donne une idée de la mesure globale de l’exposition à la chaleur ambiante à domicile, alors que la perception de vivre dans un quartier pollué dû à la densité du trafic routier (généralement plus asphalté et aux pourtours peu végétalisés) serait un bon indicateur d’une plus forte exposition à la chaleur autour du domicile, en l’absence d’adaptations appropriées. Faciles à mesurer, tous deux seraient donc utiles à la surveillance de santé publique des populations très vulnérables lors de fortes chaleurs estivales.
  • Comme rapportés dans la littérature, les indicateurs sanitaires, particulièrement la multimorbidité croisée avec l’état de santé perçu passable ou mauvais, illustrent clairement que l’état de santé préalable détermine la susceptibilité physiologique ou biologique à la chaleur, indépendamment de l’âge. Ils sont également des facteurs suffisamment puissants pour expliquer les raisons de consultation dans un contexte de chaleur. La multimorbidité pourrait aussi servir de critère de définition des priorités pour les programmes de rénovation urbaine, qui restent des outils d’adaptation intéressants pour le climat plus chaud à venir.
  • Quant aux autres indicateurs (climatisation à domicile, âge, genre, revenu, qualité de l’air intérieur du logement perçue comme étant une cause des problèmes de santé et), ils semblent avant tout caractériser des groupes d’individus plus susceptibles d’impacts dans la population étudiée.
  • Enfin, selon les auteurs, il apparaît que l’utilisation de ces indicateurs simples peut identifier, à l’aide des enquêtes populationnelles en cours ou futures, les sous-groupes à risque de subir les conséquences néfastes de la chaleur accablante, y compris ceux à haut risque. Les autorités publiques seraient ainsi plus en mesure de cibler les groupes les plus susceptibles de bénéficier de services de soutien au cours des épisodes de chaleur importante, ainsi que les mesures de prévention qui contribueront à rendre leurs logements et quartiers mieux adaptés aux conditions estivales accablantes.

Références

  1. Intergovernmental panel on climate change (2013). Summary for policymakers, in : Stocker, T.F., Qin, D., Plattner, G.-K., Tignor, M., Allen, S.K., Boschung, J., Nauels, A., Xia, Y., Bex, V., Midgley, P.M. (Eds.), Climate Change 2013 : The Physical Science Basis. Contribution of Working Group 1 to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, New York, USA.
  2. Intergovernmental panel on climate change (2014). Summary for policymakers, in : Stocker, T.F., Qin, D., Plattner, G-K., Tignor, M, Allen, S.K., Boschung, J., Nauels, A., Xia, Y., Bex, V., PM, M. (Eds.), Climate Change 2014 : Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group I to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, New York, USA.
  3. Vallée, J., Souris, M., Fournet, F., Bochaton, A., Mobillion, V., Peyronnie, K., Salem, G. (2007) Sampling in health geography : Reconciling geographical objectives and probabilistic methods. An example of a health survey in Vientiane (Lao PDR). Emerg. Themes Epidemiol, 4, 6, doi :10.1186/1742-7622-4-6.
  4. Bélanger, D., Abdous, B., Hamel, D., Valois, P., Gosselin, P., Toutant, S., Morin, P. (2013). Étude des vulnérabilités à la chaleur accablante : Problèmes méthodologiques et pratiques rencontrés. Rapport de recherche (R1452). INRS-Eau, Terre et Environnement, Québec, 115 pages. espace.inrs.ca/id/eprint/1658
  5. Bélanger, D., Gosselin, P., Valois, P., Abdous, B. (2015). Impacts sanitaires néfastes perçus à la chaleur et leurs déterminants : enquête transversale dans les quartiers défavorisés de neuf villes du Québec. Rapport de recherche (R1567). INRS-ETE, Québec, 31 pages. espace.inrs.ca/2536/
  6. Bélanger, D., Gosselin, P., Valois, P., Abdous, B. (2015). Caractéristiques et perceptions du quartier et du logement associées aux impacts sanitaires néfastes autorapportés lorsqu’il fait très chaud et humide en été dans les secteurs urbains les plus défavorisés : étude transversale dans 9 villes du Québec. Rapport de recherche (R1568). INRS-ETE, Québec, 32 pages. espace.inrs.ca/2537/
  7. Bélanger, D., Gosselin, P., Valois, P., Abdous, B. (2014). Perceived Adverse Health Effects of Heat and Their Determinants in Deprived Neighbourhoods : A Cross-Sectional Survey of Nine Cities in Canada, Int. J. Environ. Res. Public Health, 11 : 11028-11053. doi :10.3390/ijerph111111028
  8. Bélanger, D., Gosselin, P., Valois, P., Abdous, B. (2015). Neighbourhood and dwelling characteristics associated with the self-reported adverse health effects of heat in most deprived urban areas : a cross-sectional study in 9 cities, Health and Place, 32 : 8-18.