4 octobre 2016

Quartier, logement, comportements et caractéristiques individuelles : contributions respectives aux impacts sanitaires et à l’adaptation à la chaleur urbaine

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Diane Bélanger
Ph. D., Institut national de la recherche scientifique et Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec
Belkacem Abdous
Ph. D., Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec et Université Laval
Pierre Valois
Ph. D., Université Laval
Pierre Gosselin
M.D., MPH, Institut national de santé publique du Québec, Institut national de la recherche scientifique

Contexte

Les impacts sanitaires attribués aux périodes de fortes chaleurs estivales sont indéniables sous toutes les latitudes1. À ce jour, plusieurs publications scientifiques les ont documentés à l’aide de visites à l’urgence et d’hospitalisations. Les indicateurs de risque qui leur sont associés réfèrent généralement à des caractéristiques individuelles (âge, genre, etc.), possiblement en raison du type de données disponibles dans les fichiers administratifs des systèmes de santé. Les caractéristiques du quartier2-3, de l’immeuble ou du logement habité4-6 et les comportements d’adaptation à la chaleur7-8 sont donc peu souvent considérés, malgré leur lien étroit avec la vulnérabilité à la chaleur9. Qui plus est, les indicateurs de l’adaptation à la chaleur sont encore plus rarement étudiés.

Le présent article vise à combler ces lacunes. Il identifie les caractéristiques et perceptions qui expliquent : 1) la prévalence d’impacts sanitaires néfastes autorapportés, et 2) un indice d’adaptation autrement qu’avec la climatisation à domicile lorsqu’il fait très chaud et humide en été (aussi appelé ici « fortes chaleurs estivales ») dans les aires de diffusion très défavorisées (AD-TD) des 9 villes les plus populeuses du Québec, en 2011. Une approche multiniveau est utilisée à cette fin. Cette approche a été employée avec succès dans le domaine de la santé10-11 mais, à notre connaissance, elle n’a jamais été appliquée aux problèmes de santé liés à la chaleur ni à l’adaptation dans ce contexte. Dans cette étude12-13, 3 niveaux nichés l’un dans l’autre sont considérés, soit :

  1. l’aire de diffusion de résidence − à titre indicatif − du quartier habité (niveau-AD);
  2. l’immeuble occupé (niveau-immeubles);
  3. les individus (niveau-individus).

Méthodologie de l’étude

Cette étude est une enquête transversale par échantillon stratifié. Au total, 3 485 personnes ont été interviewées à leur domicile, à l’aide d’un questionnaire développé essentiellement sur la base de questionnaires déjà validés et préalablement testés. La prévalence d’impacts sanitaires néfastes autorapportés lors de fortes chaleurs estivales a été mesurée de façon similaire à l’état de santé perçu dans les enquêtes populationnelles canadiennes. Le groupe à risque a été défini comme les personnes disant subir moyennement ou fortement des effets néfastes sur leur santé physique ou mentale.

L’indice d’adaptation a été construit à l’aide d’une analyse de correspondances multiples, dans le cadre de l’étude14. Il regroupe 14 solutions écoénergétiques (autres que la climatisation à domicile) et faciles à utiliser pour se rafraîchir ou se protéger du soleil. Ses valeurs se distribuent quasi normalement.

Le choix des variables indépendantes est basé sur la littérature scientifique en santé humaine et chaleur accablante : certaines variables caractérisent les individus, comme l’exposition perçue à la chaleur dans le logement et les conditions augmentant la sensibilité à la chaleur;  d’autres définissent les immeubles occupés. Pour ce faire, en l'absence de données nationales à ce sujet, la moyenne par immeuble de certaines variables de niveau-individus a été calculée. De telles moyennes (mais calculées par AD) ont aussi été utilisées pour définir les quartiers habités, de même que certaines données disponibles par AD à l’Institut national de santé publique du Québec, dont un indicateur d’îlots thermiques intra-urbains et un indice de potentiel piétonnier.

Les tests standards d’hypothèses avec les analyses bivariées classiques ont permis d’explorer et d’évaluer les associations entre les variables. Pour l’analyse multivariée à 3 niveaux, le logiciel MLwiNa été utilisé. L’indice d’adaptation (variable continue) a été expliqué à l’aide d’un modèle de régression linéaire; la prévalence d’impacts (variable binaire), avec un modèle de régression logistique. Afin d’obtenir des estimations plus interprétables, certaines variables de niveau-individus ont été centrées lorsque le modèle incluait à la fois la variable de niveau-individus et la moyenne de cette variable au niveau-immeubles ou au niveau-AD.

Principaux résultats

Explication des impacts sanitaires néfastes lors de fortes chaleurs estivales

Parmi les 3 485 répondants, 46 % ont rapporté ressentir des impacts sanitaires néfastes.

Selon l’analyse effectuée, les 3 niveaux contribuent à expliquer la prévalence d’impacts, et ce modèle est ajusté par 13 variables de niveau-individus et une variable de niveau-immeubles (figure 1). De ces 14 variables d’ajustement, 11 sont des facteurs de risque associés positivement à la prévalence d’impacts. Les 3 autres variables sont des indicateurs de prévention; elles incluent 2 variables de niveau-individus et 1 variable de niveau-immeubles. Aucune variable d’ajustement de niveau-AD n’était statistiquement significative pour les impacts.

Figure 1 - Indicateurs associés aux impacts sanitaires néfastes autorapportés et à l’indice d’adaptation sans climatisation lors de fortes chaleurs estivales

IMPACTS SANITAIRES : Niveau-immeubles. A Satisfaction de la température intérieure du logement en été, c.-à-d. les immeubles avec des ménages en moyenne plus satisfaits étaient moins à risque d’impacts. Niveau-individus. B Soutien par ≥ 2 personnes vivant à < 80 km du lieu de résidence du répondant, mais pas du même quartier (12 mois). C Satisfaction de la température dans le logement en été (r = -.04 avec la climatisation).D Quartier perçu assez ou très pollué dû à la densité du trafic urbain. E Diagnostics (Dx) de maladies chroniques (≥ 6 mois) autorapportés, surtout si ≥ 2 Dx. Congé de longue durée (maladies/handicaps). Problèmes de santé perçus dus à la qualité de l’air intérieur du logement. Stress perçu assez ou extrêmement élevé la plupart du temps. F Non-pratique d’activités physiques (3 mois). G Accès à la climatisation à domicile. Plus forte adoption des comportements mesurés par l’indice d’adaptation et perception qu’il faut ajouter des infrastructures d’aménagement urbain dans le quartier de résidence pour mieux s’y adapter lorsqu’il fait très chaud et humide en été. H Sexe féminin; être âgé de ≥ 45 ans, surtout les 45-64 ans.

INDICE D’ADAPTATION : Niveau-AD. 1 Indice de potentiel piétonnier et durée moyenne de résidence dans le même logement, c.-à-d. plus le taux de mobilité résidentielle dans le quartier habité est faible et plus le potentiel piétonnier y est bon, plus ses habitants adoptent les comportements mesurés par l’indice. Niveau-immeubles. 2 Satisfaction de la qualité de l’isolation thermique du logement en été, c.-à-d. les immeubles avec des ménages en moyenne plus satisfaits étaient moins adaptatifs selon l’indice. Niveau-individus. 3 Ressentir des impacts néfastes sur sa santé lorsqu’il fait très chaud et humide en été. Avoir rencontré des amis quelques fois par mois ou plus (12 mois). Avoir été soutenu par ≥ 2 personnes résidant (a) dans le même quartier, mais pas le même logement, et (b) à < 80 km du domicile, mais pas le même quartier (12 mois). 5 Utiliser principalement une automobile pour voyager localement (12 mois). 6 Percevoir le besoin de plus d’infrastructures ou de services pour mieux s’adapter dans son quartier lorsqu’il fait très chaud et humide en été, surtout dans le secteur de l’aménagement urbain. 7 Être âgé de < 65 ans, en particulier les 18-44 ans. 8 Satisfaction de la qualité de l’isolation thermique du logement en été (corrélation avec la climatisation, r = -.04). 9 Être atteint souvent ou parfois ≥ 1 incapacité fonctionnelle (comme la difficulté à marcher). 10 Non-pratique d’activités physiques (3 mois).

Explication de l’indice d’adaptation lors de fortes chaleurs estivales

Parmi les 3 485 répondants, 17 % étaient très adaptatifs selon l’indice d’adaptation (valeurs de l’indice ≤ –1) et 17 % l’étaient le moins (valeurs ≥ 1). Par ailleurs, 67 % des répondants se situaient entre ces deux pôles. Selon l’analyse multiniveau, les 3 niveaux permettent d’expliquer l’indice d’adaptation. Ce modèle est ajusté pour 10 variables de niveau-individus, 1 de niveau-immeubles et 2 de niveau-AD (figure 1). De ces 13 variables, 4 caractérisent une moins forte propension à l’adoption des comportements mesurés par l’indice. Elles incluent 3 variables de niveau-individus et une variable de niveau-immeubles. Les 9 autres variables incitent à être plus adaptatifs selon l’indice; 7 sont de niveau-individus, 2 de niveau-AD.

Intérêt pour la santé publique

  • Cette étude montre que l’utilisation d’une approche multiniveau permet de mieux cerner la contribution du milieu de vie (immeubles et aires de diffusion) sur les impacts sanitaires néfastes autorapportés et sur l’adaptation autre que la climatisation à domicile lors de fortes chaleurs estivales. Du coup apparaît la nécessité de développer des interventions de santé publique innovatrices visant à la fois les résidents des AD très défavorisées, les gestionnaires d’immeubles dans ces secteurs et les instances municipales des villes populeuses, déjà aux prises avec les îlots de chaleur urbains.
  • L’importance du rôle du bâti et de l’environnement comme facteur de risque (ou de prévention) des impacts sanitaires et de l’adaptation à la chaleur est renforcée par la contribution de 4 variables de niveau-immeubles et de niveau-AD. Ce nombre demeure toutefois en deçà du nombre de variables de niveau-individus, comme déjà rapporté dans la littérature15. Le développement de banques de données nationales sur le logement et le quartier permettrait de mieux les caractériser et soutiendrait grandement la surveillance en santé publique.
  • L’effet du bâti et du quartier proche sur les impacts sanitaires néfastes autorapportés et sur l’indice d’adaptation pourrait aussi être influencé par certaines variables intermédiaires. Il est impossible de conclure sur cet aspect en raison du devis transversal de l’étude. L’absence d’un cadre théorique éprouvé, qui irait de l’exposition aux impacts sanitaires en incluant l’adaptation, aiderait à estimer le poids de ces facteurs et de leurs interactions. Même si certaines avenues intéressantes ont été proposées au cours des dernières années16, aucune n’a encore été validée. Combler cette lacune permettrait de clarifier le type de liens (directs et indirects) existant entre les indicateurs associés aux problèmes de santé, de définir leur mesure, et d’améliorer la surveillance et l’intervention en santé publique. Selon les résultats, certains indicateurs sont plus spécifiques aux impacts (ex. état de santé existant), alors que d’autres caractérisent avant tout l’adaptation (ex. réseau social).
  • Au niveau de l’AD, la perception de vivre dans un quartier assez ou très pollué dû à une forte densité de trafic urbain laisse présumer que le quartier est vraisemblablement plus asphalté et donc plus chaud. De même, tant en ce qui concerne l’immeuble que le logement (ou les individus), la satisfaction de la température intérieure en été rend compte de l’exposition à la chaleur à la maison, alors que la satisfaction de la qualité de son isolation thermique (en été) est un bon indicateur de la capacité à y contrer l’exposition à la chaleur. L’utilisation de perceptions pour estimer l’exposition à la chaleur s’avère donc d’un grand intérêt pour la surveillance en santé publique.
  • Enfin, les résultats de la présente étude indiquent que les personnes subissant des impacts sanitaires néfastes par rapport à la chaleur font davantage appel à diverses stratégies d’adaptation que celles qui en ressentent peu ou pas. Ainsi, l’adaptation à la chaleur semble dans les faits être déployée en réaction aux impacts sanitaires plutôt que pour les prévenir.

Références

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