23 avril 2013

Limite d’exposition aux radiofréquences - Bons baisers de Russie?

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Mathieu Gauthier
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Institut national de santé publique du Québec
Denis Gauvin
M. Sc, conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Les différences entre les limites d’exposition aux agents physiques de certains pays peuvent parfois alimenter les controverses sanitaires. Par exemple, les limites d’exposition aux champs électromagnétiques dans le domaine des radiofréquences (champs RF) de la Russie et de certaines républiques de l’ex-Union Soviétique sont significativement plus basses (de l’ordre de 100 fois inférieures) que celles recommandées par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) et l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE). Elles sont souvent citées en exemple par des groupes d’intérêts qui souhaiteraient une modification des limites d’exposition canadiennes, qui s’apparentent aux recommandations de l’IEEE.

En décembre 2012, afin de faire la lumière sur cette question, Repacholi, Grigoriev et leurs collaborateurs ont présenté une revue d’une partie de la littérature soviétique et russe sous le titre de Scientific Basis for the Soviet and Russian Radiofrequency Standards for the General Public (Bioelectromagnetics, 33(8): 623–633, 2012)1. Dans cet article, ils retracent l’historique du développement des limites d’exposition russes, résument les publications scientifiques qui les appuient et décrivent l’approche de protection de la santé utilisée pour les établir.

Les auteurs précisent que les limites d’exposition russes s’appuient principalement sur leurs études animales portant sur le système immunitaire. Sans faire l’objet d’une analyse critique détaillée, les résultats de ces études sont présentés et mis en contexte :

  • les études ont été réalisées au cours des années 1970 et 1980, alors que plusieurs détails sur le fonctionnement du système immunitaire étaient encore inconnus ;
  • les études précèdent le développement de plusieurs techniques de laboratoires modernes et l’établissement des normes de qualité en matière de recherche expérimentale.

Plusieurs inquiétudes à propos de la validité des protocoles de recherche utilisés dans les études soviétiques sont soulevées et les auteurs concluent que, de nos jours, des études de cette qualité ne seraient pas utiles dans le développement des normes d’exposition. D’autre part, les auteurs rapportent les conclusions, publiées en 2011, d’un comité international de suivi nommé par l’Organisation mondiale de la santé qui supervisait une série d’expériences de réplication des résultats les plus importants des études soviétiques. Ainsi, ce comité soulignait les résultats équivoques de ces études sur les effets immunitaires et de ce fait, que ces derniers n’avaient pas pu être confirmés.

L’approche de santé publique de la Russie en matière de champs RF est basée sur le principe que l’organisme ne devrait pas avoir à compenser un effet biologique (voir encadré) qui résulterait d’une exposition aux champs RF, même si cet effet n’est pas considéré néfaste pour la santé. Cette approche, unique à ce pays, contraste avec celle adoptée par l’ICNIRP et l’IEEE, qui consiste à identifier l’exposition la plus faible qui mène à un effet néfaste sur la santé et à appliquer un facteur de sécurité (d’au moins 50) afin de déterminer la limite d’exposition pour le grand public.

Conclusion

Les auteurs précisent que l’objectif de cette analyse n’est pas de critiquer les valeurs retenues par la communauté russe, mais vise plutôt à mieux comprendre les bases scientifiques appuyant ces recommandations. Le débat reste ouvert et le développement des connaissances scientifiques sur les champs RF et sur l’établissement des recommandations d’exposition doit être poursuivi.

Effets biologiques vs. effets néfastes sur la santé

L’expression « effets biologiques » est utilisée pour décrire toute réponse physiologique résultant d’une exposition aux champs RF. Ce terme peut donc décrire des effets mineurs qui demeurent dans la plage de réponse physiologique normale, des effets qui mènent à des conditions pathologiques ou des effets qui peuvent être bénéfiques pour la santé.

L’expression « effets néfastes pour la santé » est réservée pour décrire des effets biologiques qui se situent en dehors des mécanismes de compensation normaux du corps humain et qui sont néfastes pour la santé ou pour le bien-être.

Référence : World Health Organization, Framework for Developing Health-Based EMF Standards, Genève, Suisse, 20062

  1. Michael Repacholi, Yuri Grigoriev, Jochen Buschmann et Claudio Pioli, Scientific Basis for the Soviet and Russian Radiofrequency Standards for the General Public, Bioelectromagnetics, Volume 33, Numéro 8, pages 623–633, Décembre 2012 (nécessite un abonnement)
  2. World Health Organization, Framework for Developing Health-Based EMF Standards, Genève, Suisse, 2006

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