25 janvier 2010

Réduire le fossé entre les scientifiques et le public

Publication

Qui d’entre nous n’a pas exprimé l’inquiétude de retrouver ses propos déformés par les médias ou par la population à la suite d’une entrevue ou d’une publication? Cette préoccupation ne date pas d’hier et risque, au contraire, de s’accentuer avec la multiplication des plateformes d’accès à l’information de qualité scientifique variable. Dans le contexte actuel où des questions fondamentales touchant les changements climatiques, la santé, l’énergie et la technologie sont débattues dans l’arène publique, les experts en communication en appellent aux scientifiques afin qu’ils descendent de leur tour d’ivoire et qu’ils expriment leurs vues scientifiques dans un langage qui soit compréhensible et accessible pour les non-initiés. Comment favoriser la rencontre entre le milieu scientifique et le public?

C’est à cette question qu’est consacré le commentaire publié dans l’édition de décembre (vol.117, no 12) de la revue Environmental Health Perspectives par Charles W. Schmidt, un journaliste scientifique de renom. En voici le résumé.

Selon le modèle traditionnel en communication scientifique, les controverses scientifiques sont essentiellement dues à l’ignorance du public. Ainsi, il suffit de combler les lacunes dans les connaissances (« Deficit model ») pour que les divergences disparaissent. Mais selon l’auteur, la réalité n’est pas aussi simple. En effet, l’opinion du public serait davantage forgée par les tendances politiques véhiculées par les médias ainsi que par les opinions qui circulent au sein de son environnement social qui font d’ailleurs souvent écho à ses propres conceptions.

Afin d’améliorer la communication, il faut selon lui davantage cibler les valeurs des gens pour retenir leur attention. Des pistes à suivre sont proposées.

  • Les scientifiques doivent miser surtout sur des messages compréhensifs et non pas s’attarder sur des détails techniques.
  • Ils doivent acquérir une meilleure compréhension du public à rejoindre. Plusieurs outils existent et sont à leur portée, en particulier ceux développés par les sciences sociales (groupes de discussion, entrevues et enquêtes).
  • Un effort quant à la traduction des faits scientifiques en conseils pratiques doit être réalisé.
  • Ces conseils doivent être transmis en fonction de différents publics en utilisant des formats variés et pertinents.

Ces tâches, qui s’ajoutent à la production de connaissances, ne sont pas nécessairement acceptées par les scientifiques, et ce, pour toutes sortes de raisons : risque de perte de crédibilité, manque d’habileté dans le domaine, déresponsabilisation, etc.). À l’inverse, certains d’entre eux se sentent le devoir d’influencer la sphère publique afin de faire avancer des enjeux de société.

La dernière partie du commentaire se penche sur la clarté des messages que doivent transmettre les scientifiques à la population. Celle-ci aimerait obtenir des réponses tranchées qui lui permettrait de prendre une décision éclairée quant à sa santé ou à son style de vie. Malheureusement, les études scientifiques comportent des biais méthodologiques ou des limites quant à l’extrapolation des résultats aux individus qui incitent les chercheurs à nuancer leurs conclusions. Les scientifiques doivent toutefois apprendre à présenter les données statistiques de manière concrète pour en faciliter son application dans la vie réelle.

Par ailleurs, la notion de risque demeure probablement le concept le plus difficile à expliciter. Deux exemples permettent d’illustrer des possibilités pour en améliorer la compréhension. Pour une personne ayant un risque de maladie de 10 fois plus élevé que la population générale en raison de son histoire familiale pour cette maladie, qui touche habituellement 1 personne sur 100 000, le risque pourrait être exprimé par 1 pour 10 000. Cette manière de faire, tout en donnant l’heure juste à la personne, offre l’avantage de ne pas causer d’inquiétude excessive. L’autre conseil touche la manière dont le risque est exprimé soit en termes absolus ou relatifs. Par exemple, dans la population générale, 4 % des femmes enceinte sont atteintes de préclampsie. L’exposition dans un environnement spécifique peut entraîner un risque de préclampsie de 30 %. Exprimé en risque absolu, ce risque devient 34 % alors qu’en risque relatif il passe de 4 % à 5,2 %.

Comme l’auteur le rappelle en conclusion, les problématiques environnementales sont particulièrement difficiles à traiter en raison de leur complexité, mais également parce qu’elles touchent la fibre émotive des populations. [CL]