23 février 2018

Pierre Ayotte, toxicologue

Portrait
Auteur(s)
Nathalie Labonté
B. Sc., conseillère en communication, Vice-présidence à la valorisation scientifique et aux communications

Dans le cadre de la refonte du BISE, le Comité de rédaction vous propose le portrait d’un acteur du Québec œuvrant dans le domaine de la santé environnementale. L’objectif de ce portrait est de mettre en lumière le travail, mais aussi le parcours, la vision et les réalisations de professionnels du réseau de la santé environnementale qui rayonnent à l’échelle régionale, provinciale, nationale et internationale.

Pour casser la glace, gros plan sur un chercheur en toxicologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval, et chercheur associé à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), M. Pierre Ayotte.

Détenteur d’un doctorat en pharmacologie de l’Université de Montréal, Pierre Ayotte occupe le premier emploi de toxicologue au ministère de l’Environnement du Québec en 1986. Son travail consiste alors à évaluer le risque associé à la présence des polluants-trace (micropolluants) dans l’eau potable et à  dresser un portrait de la situation à partir d’échantillons d’une vingtaine de municipalités. Il contribue également à la rédaction de lignes directrices portant sur la gestion du risque toxicologique. En 1991, le Dr Éric Dewailly l’invite à joindre son équipe de recherche en santé publique au Centre hospitalier de l’Université Laval. Cette rencontre sera déterminante pour la suite de sa carrière, qui le mènera notamment au Nunavik, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie pour étudier l’exposition des populations autochtones aux contaminants environnementaux.

À titre de toxicologue en santé environnementale, sur quoi ont porté vos travaux et recherches?

Je me suis intéressé en premier lieu à divers contaminants (BPC, DDT et autres polluants organiques persistants, mercure, etc.) et à leurs effets sur la santé. J’ai œuvré principalement auprès de populations autochtones, issues de petites communautés côtières isolées, qui dépendent de la ressource marine pour leur subsistance.

En santé publique, j’ai collaboré avec les docteurs Éric Dewailly et Patrick Levallois, à interpréter différentes analyses de laboratoire pour des projets de recherche. Les analyses des échantillons sanguins et d’urine étaient effectuées au laboratoire du Centre de toxicologie du Québec (CTQ). J’intervenais principalement au niveau de l’interprétation à l’aide de données de biosurveillance. J’ai alors développé une expertise dans la mesure des biomarqueurs. Ces mesures sont fort utiles pour déterminer le niveau d’imprégnation d’une population aux différents contaminants. Les biomarqueurs nous livrent aussi des informations sur des changements physiologiques ou biochimiques en lien avec l’exposition.

Qu’est-ce qui est plus excitant dans votre travail?

Comme chercheur, c’est quand je tombe par hasard sur quelque chose d’inusité, sur des observations fortuites qui remettent en question les hypothèses émises au départ.

Qu’elle a été votre plus grande surprise?

Récemment, nous avons réalisé que les Inuits avaient beaucoup de sélénium dans leur sang, mais sous une forme unique, appelée sélénonéine. Or, ni les humains ni les animaux ne synthétisent cette molécule. Nous avons observé que la sélénonéine s’accumule dans les globules rouges des Inuits et qu’elle provient de la consommation de mattaaq (peau du béluga avec le gras sous-cutané). La consommation de mattaaq et d’autres aliments de la chaîne alimentaire marine offre aux Inuits un apport en nutriments très différent de celui des populations plus au Sud. Cette forme unique de sélénium leur procurerait une protection contre l’exposition au méthylmercure, un composé neurotoxique que l’on retrouve dans la chair des mammifères marins.

Après avoir mis en évidence la présence de cette forme particulière de sélénium chez les Inuits, nous avons revu les données d’une recherche menée par ma collègue Gina Muckle (École de psychologie, Université Laval), sur l’exposition in utero au méthylmercure et son impact sur le développement du système nerveux de l’enfant inuit. On a séparé les enfants de la cohorte en trois groupes : ceux qui avaient beaucoup de sélénium dans leur cordon ombilical, ceux qui en avaient moyennement et ceux qui en avaient peu. Nous avons constaté que les effets néfastes du méthylmercure étaient plus importants chez les enfants qui avaient les concentrations les plus faibles de sélénium à la naissance.

Tous ces nouveaux constats nous indiquent qu’il y a lieu de réévaluer la question de la toxicité du méthylmercure au sein des populations inuites et d’autres populations dont l’alimentation dépend des produits de la mer.

Quelles sont les répercussions de vos travaux au sein des communautés avec lesquelles vous êtes en contact?

Récemment, avec ma collègue Mélanie Lemire, j’ai eu l’occasion de participer à une assemblée de l’Association des chasseurs et trappeurs du Nunavik à Salluit, un village du détroit d’Hudson, où l’on consomme davantage de produits de la mer et de la chasse traditionnelle qu’ailleurs au Nunavik. L’accueil a été extraordinaire et les participants ont manifesté un réel intérêt pour nos résultats de recherche. Généralement, nous avons de mauvaises nouvelles pour les participants à nos enquêtes. En toxicologie, c’est la nature même de notre travail. Cette fois notre message était positif : on a trouvé une molécule potentiellement bénéfique pour votre santé dans le mattaaq! Le message a été très bien reçu.

En tant que codirecteur scientifique de la dernière Enquête sur la santé des Inuits (2017), j’ai été appelé à me rendre à plusieurs reprises au Nunavik pour rencontrer les représentants des différentes organisations inuites. Grâce aux travaux sur le mercure et le sélénium, j’ai profité de canaux de communication déjà établis, afin de traduire les résultats de la recherche en messages de santé publique. Notre point d’ancrage est le Comité de nutrition et de santé du Nunavik. Nous avons développé une réelle interaction avec la population et les intervenants de santé publique au Nord, afin de bien faire atterrir nos messages. La concertation et l’approche participative font partie de nos bonnes pratiques en recherche.

[caption caption="Photo : Mélanie Lemire"][/caption]

Quels sont vos projets futurs? Qu’est-ce qui vous tient à cœur?

Je vais contribuer à l’analyse des données de l’enquête longitudinale de santé au Nunavik, regarder ce qui a changé depuis l’enquête de 2004. Pourquoi les gens demeurent-ils en santé? Pourquoi certaines personnes ont-elles développé des maladies? Est-ce que la sélénonéine a vraiment un effet protecteur sur la santé des Nunavimmiuts? Quel est l’état de la situation par rapport au risque que représente l’exposition au méthylmercure, si on considère que les populations ont dans leur alimentation un possible antidote au méthylmercure. L’origine de cette molécule dans la chaîne alimentaire marine nous intéresse. Elle provient probablement de bactéries, mais ce n’est pas encore clair. On étudie cette question avec des chercheurs du département de biologie de l’Université Laval; on scrute la chaine alimentaire pour trouver l’origine de cette molécule. Certains micro-organismes qui se développent sur la peau des bélugas pourraient en être la source, ce qui confère un intérêt certain pour l’étude du microbiote de la peau du béluga.

Quels sont à votre avis les défis que doit relever le réseau québécois de la santé environnementale?

Le portrait change pour les substances chimiques d’intérêt. Les concentrations sanguines des polluants classiques comme les BPC, DDT, pesticides, plombs et mercures diminuent au Québec comme à plusieurs endroits dans le monde. En ce qui concerne les concentrations de polluants chez les femmes enceintes du Nunavik, nous constatons que les diminutions observées reflètent le changement d’alimentation : moins d’aliments de la mer sont consommés, au profit d’aliments importés dont plusieurs sont de piètre qualité nutritive. Cela explique en partie pourquoi les femmes ont moins de mercure et de BPC dans le sang. Nous avons des données qui indiquent que les concentrations de BPC ont diminué de manière importante dans la chaîne alimentaire marine de l’Arctique. Pour le mercure, c’est moins évident. Les Nations unies ont adopté la Convention de Minamata sur le mercure récemment pour limiter les émissions de mercure dans l’environnement. Toutefois, de nouveaux contaminants font leur apparition pour remplacer les substances bannies. L’industrie chimique propose constamment de nouvelles molécules pour remplacer celles dont la présence chez les populations humaines est révélée par les études de biosurveillance - retardateurs de flamme, plastifiants, pesticides, etc. Les nanoparticules représentent aussi un défi pour nous. Il faut constamment être à l’affut de ces nouveaux produits et de leurs effets sur la santé humaine.

Comment faites-vous pour demeurer à l’affut de nouvelles menaces?

En collaboration avec mes collègues chimistes du CTQ, nous développons des méthodes analytiques novatrices afin de dépister de nouvelles molécules d’intérêt dans les échantillons biologiques. J’ai la chance inouïe d’avoir accès, en tant que chercheur associé, à ce laboratoire de pointe en toxicologie humaine dont l’expertise est reconnue mondialement. Grâce à des instruments à la fine pointe de la technologie et à la collaboration étroite de mon collègue Pierre Dumas, chimiste expert en innovation technologique, nous découvrons la présence de nouvelles molécules et d’autres, déjà connues, dont la présence chez l’humain était jusqu’à présent insoupçonnée. Ainsi, nous contribuons à une veille toxicologique pour mettre en évidence de nouvelles menaces à la santé publique. La recherche que nous menons au CTQ permet de développer de nouveaux créneaux et d’innover.

Photo de Pierre Ayotte : Nathalie Ouellet