13 octobre 2006

Nanotechnologies et santé : que sait-on des risques?

Article
Auteur(s)
Pierre Auger
M.D. FRCPC, Direction de santé publique de la Capitale-Nationale

En 1966, le roman fantastique d’Isaac Asimov relatait l’épopée d’une équipe médicale miniaturisée voyageant à travers le corps d’un scientifique malade afin d’y déloger un caillot de sang au cerveau. Plus près de nous, Michael Crichton, dans son récent roman à succès intitulé « Proie », décrit un monde ténébreux envahi par des robots meurtriers auto-reproducteurs constitués de nanostructures. Aujourd’hui, la réalité a sans aucun doute rattrapé et peut-être même dépassé ces fictions.

Plusieurs gouvernements s’apprêtent d’ailleurs à investir dans ce champ d’activité en pleine expansion : plus d’un milliard de dollars aux États-Unis1, 600 millions pour l’Union européenne, 800 millions au Japon et 800 millions pour les autres pays industrialisés. Il s’agit d’un accroissement de 700 % depuis 19992. Les Français prévoient un marché international des nanotechnologies d’environ 1 000 milliards d’euros autour de 2010-20153. Au Québec, plus de 140 millions de dollars ont été investis dans le domaine entre 2000 et 2005(a) Selon la même source, d’ici 2015, les produits « nano » occuperont une part du marché de 100 milliards de dollars américains.

Si le sujet suscite beaucoup d’enthousiasme, particulièrement en science biomédicale, il soulève aussi des inquiétudes, principalement en ce qui a trait à la toxicité des nanomatériaux, à leurs effets à long terme sur la santé et à leurs impacts sur l’environnement4,5. Les organismes internationaux sont nombreux à avoir produit des rapports à ce sujet au cours des dernières années. Le plus remarqué est probablement celui commandé par le gouvernement britannique à la Royal Society et à la Royal Academy of Engineering intitulé « Nanosciences and nanotechnologies-Opportunities and uncertainties6 ». Le National Institute for Occupational Health (NIOSH) et l’Environment Protection Agency (EPA) américain de même que le Health and Safety Executive (HSE) britannique et l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset)7 ont aussi produit des documents dressant l’état des connaissances sur le sujet. Notons que l’information sur les nanotechnologies ne semble pas avoir encore rejoint le grand public. Les données d’un récent sondage américain font d’ailleurs ressortir que le public en connaît peu sur le sujet, mais qu’il entrevoit avec un certain optimisme les améliorations technologiques, tout en accordant peu de confiance aux dirigeants d’entreprises industrielles dans leur volonté de minimiser les dangers8.

Le présent article se veut un exposé succinct des connaissances actuelles concernant les risques environnementaux et sanitaires associés à l’utilisation des nanotechnologies. La gestion du risque et les nouveaux enjeux éthiques posés par ce domaine d’activité sont brièvement abordés dans une perspective de santé publique.

Que sont les nanotechnologies ?

Le terme nanotechnologie a été mentionné pour la première fois en 1974 par le physicien Norio Taiguchi à propos du développement prometteur de la miniaturisation dans le domaine manufacturier. Le champ de la nanotechnologie se définit comme le domaine multidisciplinaire qui concerne la conception et la fabrication, à l’échelle des atomes et des molécules, de structures moléculaires qui comportent au moins une dimension mesurant entre 1 et 100 nanomètres (nm)(b), qui possèdent des propriétés physicochimiques particulières exploitables, et qui peuvent faire l’objet de manipulations et d’opérations de contrôle. La nanotechnologie vise à exploiter avantageusement les propriétés particulières que peuvent comporter les objets à l’échelle du nanomètre et qui sont la plupart du temps différentes de celles qu’ils présentent à l’échelle macroscopique(c).

À titre comparatif, notons que sur une échelle nanométrique, un cheveu mesure 80 000 nm, un globule rouge 7 000 nm, un virus 150 nm, une plaque nanisée de dioxyde de titanium 3 nm, une chaîne d’ADN 2 nm de largeur, un nanotube de carbone à simple membrane 1,4 nm et un atome de 0,1 à 0,4 nm.

En pénétrant dans ce nouveau domaine, nous quittons le monde mécaniciste et terre-à-terre newtonien pour traverser le miroir et nous retrouver dans un univers déroutant et complexe, régi par les lois de la physique quantique. En conséquence, lorsque l’étude de la matière est abordée dans ces dimensions, les propriétés des matériaux se transforment radicalement. Les noyaux des atomes étant plus près de la surface de ces corpuscules, leur conductivité électrique s’accélère, leur réactivité chimique s’active, leur sensibilité optique s’améliore et fait apparaître des changements et des variations de couleurs. Il s’opère donc des transformations inattendues des capacités mécaniques et magnétiques de chaque matériau.

Il est utile de rappeler que certaines de ces particules existent depuis déjà longtemps à l’état naturel, telles que les particules fines provenant de la combustion lors d’un feu de forêt ou résultant de l’activité humaine. Cependant, les progrès actuels en nanotechnologie présupposent de nouvelles stratégies développées en ingénierie pour permettre la fabrication de nanomatériaux, dont les deux principales sont :

  • Le procédé par approche ascendante (« bottom up ») : les particules sont assemblées atome par atome, molécule par molécule, en utilisant diverses techniques soit par synthèse chimique, auto- assemblage ou encore par montage par positionnement individuel.
  • Le procédé par approche descendante (« top down ») : ce procédé vise à créer des nanoparticules par attrition des structures plus grandes, afin de les ramener à des dimensions nanoparticulaires.

Aperçu des applications actuelles et futures

Même si nous commençons à peine à comprendre les propriétés des particules et leur fonctionnement, il est intéressant de constater que certaines de leurs caractéristiques sont mises à profit depuis un certain temps déjà. Au Xe siècle par exemple, les artisans du verre et de la céramique utilisaient les propriétés de l’or et de l’argent pour créer différents tons et couleurs. Certaines applications des nanotechnologies font aujourd’hui partie de nos vies : nanolasers dans les lecteurs DVD, nanopuces pour le diagnostic médical, crèmes solaires à base d’oxyde de titanium, rouge à lèvres à base d’oxyde de fer. Par ailleurs, les applications à venir sont multiples et parfois surprenantes (voir l’encadré).

Applications possibles ou prévues des nanotechnologies11

  • Industrie automobile et aéronautique : matériaux renforcés plus légers, résistants et durables (pneus, peinture autonettoyante).
  • Industrie de l’électronique et des communications : révolution de l’ordinateur quantique, vitesse accrue du traitement des données et du transport de l’information.
  • Industrie chimique : catalyseurs plus performants, fluide magnétique pour lubrifiant.
  • Santé : nouveaux systèmes de diffusion des médicaments, matériaux de remplacement biocompatibles, nanochirurgie, nanovésicules capables de détruire les cellules cancéreuses, kits de diagnostic en temps réel (« microarrays »).
  • Secteur manufacturier : production de nouveaux microscopes et instruments de mesure plus précis, incorporation de nanopoudre dans des matériaux en vrac leur conférant des aptitudes de senseurs visant à détecter les bris imminents.
  • Secteur de l’énergie : batterie de longue durée, photosynthèse artificielle permettant d’améliorer les cellules voltaïques qui transforment l’énergie solaire en énergie électrique, entreposage sécuritaire de l’hydrogène, futur agent propulseur des véhicules.
  • Secteur de l’astronautique : engins spatiaux plus légers, système robotique miniaturisé.
  • Environnement : membranes siliciques pouvant mieux filtrer les contaminants ou le sel de mer, utilisation de nanoparticules de fer pour réduire certains polluants, nanosenseurs permettant de détecter en temps réel des produits toxiques dans différents milieux, nanoréacteurs à effet bactéricide pour le traitement de l’eau.
  • Secteur militaire : détecteurs d’agents chimiques et biologiques, textiles légers, barrières thermiques améliorées, tissus avec régulation de l’humidité, tissus auto-réparateurs.

Les procédés de transformation, tout comme les nanoparticules en elles-mêmes, ne sont pas sans risque. Toutefois, l’analyse des risques potentiels est en émergence, à l’image de ce secteur de recherche et de développement. À ce jour, l'examen des risques concerne deux aspects principaux : les risques à l’environnement et ceux reliés à la santé humaine.

Les nanotechnologies au Canada et au Québec

Au Canada, le gouvernement fédéral s’est doté d’un plan national de développement en nanotechnologie. Un centre de recherche consacré spécifiquement aux particules est actuellement en construction à Edmonton. Le Québec n’est pas en reste. À la suite de la publication du rapport Lebeau en 2001, le Conseil de la science et de la technologie soutient maintenant l’initiative « NanoQuébec » afin de favoriser le développement et la recherche dans ce domaine prometteur de l’industrie. Par ailleurs, un groupe de scientifiques de l’Institut de Recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST) a publié en février 2006 deux rapports qui évaluent les risques des nanotechnologies en milieu de travail9,10. Les documents sont disponibles sur le site Web de l’organisme (www.irsst.qc.ca).

Impacts potentiels sur l’environnement

Les connaissances sur les impacts des nanoparticules sur l’environnement sont encore à l’état embryonnaire. Cependant, depuis le 2 décembre 2005, le US Environmental Protection Agency (USEPA) a rendu disponible sur son site Web un document de travail pour consultation publique11. Celui-ci passe en revue les principes de base de cette nouvelle technologie. Il recense aussi les impacts positifs pouvant découler de ces nouvelles applications dans le champ de l’environnement, soit :

  • les possibilités de neutralisation de molécules nocives pour l’environnement (par ex. les gaz à effet de serre);
  • la création de microsenseurs et de capteurs environnementaux;
  • la possibilité de procédés industriels moins polluants;
  • des sources d’énergie moins dispendieuses, plus écologiques, des nouvelles générations de piles;
  • des procédés de stérilisation et de décontamination de l’eau plus performants12.

Par ailleurs, les auteurs attirent l’attention sur les nombreuses lacunes dans les connaissances en ce qui a trait au devenir des nanoparticules dans l’environnement lui-même, que ce soit au niveau de la mesure des quantités rejetées, de leur distribution, des lieux d’accumulation, des conditions de persistance ou de dégradabilité. De façon plus spécifique, le comportement environnemental de ces particules soulève des inquiétudes particulières dans les milieux suivants:

  • Dans l’air : le devenir des nanoparticules dans l’atmosphère varie en fonction de la nature physico-chimique et de sa réactivité chimique. Il semble exister des différences dans le temps de résidence en milieu atmosphérique selon qu’il s’agisse de nanoparticules d’origine naturelle ou de synthèse. Toutefois, les incertitudes dans ce domaine demeurent importantes13.
  • Dans les sols : les observations disponibles à l’heure actuelle laissent supposer que les particules auraient tendance à s’immobiliser rapidement. L’hypothèse selon laquelle elles auraient un potentiel d’infiltration dans les interstices des molécules humiques n'est cependant pas écartée. Il n’existe par ailleurs aucune étude sur la persistance des nanoparticules dans les sols7.
  • Dans l’eau : il est possible de retrouver des nanoparticules dans les eaux de surface soit par ruissellement et par lessivage de sols contaminés. La voie atmosphérique ou la survenue d’un déversement accidentel peuvent aussi contribuer à leur présence dans l’eau. D’après les connaissances actuelles, la persistance et la mobilité des nanoparticules dans l’eau pourraient être variables7.

Un des problèmes majeurs dans l’évaluation des risques associés à la présence de nanoparticules dans l’environnement est l’extrême difficulté associée à la mesure exacte (métrologie) des nanoparticules. Traditionnellement, on utilise la masse (ex. mg/m3) ou le nombre pour quantifier les particules. Il est très clair que dans le domaine des nanoparticules, ces seules dimensions ne suffisent plus. L’appréciation de la dimension et de l’étendue surfacique des nanoparticules est maintenant essentielle dans le processus d’évaluation de l’exposition aux nanoparticules et des risques à la santé qui en découlent. Cependant, les instruments pour y parvenir (« épiphaniomètre », analyseur BET ou SEM/TEM) s’avèrent dispendieux, utilisés uniquement en laboratoire, lourds et encombrants pour un usage sur le terrain. De plus, il peut être difficile de distinguer l’origine des nanoparticules (naturelle ou anthropogénique) ou encore d’effectuer la mesure en temps réel. Enfin, les contrôles de qualité inter-laboratoires sont inexistants. Ces aspects, auxquels s' ajoute l’absence de substances étalon fiables, rendent la comparaison entre les résultats de différents laboratoires laborieuse. Cette situation pourrait toutefois changer dans l’avenir, compte tenu de certaines avancées, telles que celle réalisée par une équipe de chercheurs américains, qui a réussi à mettre au point un appareil portable permettant de mesurer les particules ultra-fines (PUF) dans les milieux intérieurs.

Risques potentiels pour la santé2, 3, 4, 7,10, 14, 15, 16, 17

Il n’existe à l’heure actuelle aucune étude épidémiologique portant sur l’exposition de la population générale aux nanoparticules, ce qui se traduit par l’absence de valeurs limites d’exposition établies pour cette même population. Certaines études disponibles permettent toutefois de mettre en évidence quelques facteurs pouvant influencer les effets toxicologiques potentiels associés particulièrement aux propriétés physico-chimiques des nanoparticules7. Il s’agit de la taille, de l’aire et de la réactivité de la surface, du nombre de particules, de la composition chimique, de la forme, de la solubilité et de la capacité à former des agrégats, du traitement de surface et de la structure7,8. Les études expérimentales réalisées in vitro et chez des rongeurs, de même que les travaux épidémiologiques entrepris sur les particules ultra-fines nous permettent d’entrevoir les éventuelles conséquences de l’exposition à ces matières sur la santé humaine. Ainsi, très peu de données quantitatives existent pour la population potentiellement exposée. Les risques en milieu de travail, résultant de la manipulation ou de l’usinage des nanomatériaux, semblent davantage documentés.

L'état des connaissances sur les risques potentiels est abordé à partir des différentes voies d’exposition habituelles, soit les voies pulmonaire, cutanée et gastro-intestinale.

Voie pulmonaire

Les études épidémiologiques réalisées dans le domaine de la recherche sur les effets des particules ultra-fines nous renseignent sur leurs propriétés et sur leurs impacts sur la santé. Selon les résultats de ces études, il est plausible de croire que les particules nanisées puissent exacerber les maladies cardiaques voire même provoquer des décès18,19 chez les personnes vulnérables, aggraver des symptômes d'asthme20 ou des maladies pulmonaires chroniques et évoluer éventuellement vers le cancer pulmonaire16.

Les études réalisées en laboratoire établissent de façon convaincante que plusieurs particules, pourtant considérées inertes par le passé, peuvent voir leur potentiel toxicologique se transformer radicalement lorsqu’elles entrent en contact avec des nanoparticules. Plusieurs études in vitro effectuées sur des macrophages ou sur des cellules pulmonaires ont démontré qu’une exposition à des nanoparticules de dioxyde de titane de 70 nm de diamètre et de zinc de 5 à 30 nm de diamètre (considérées habituellement peu toxiques), entraînait une réaction inflammatoire inattendue. Cette réaction était de plus caractérisée par la production de plusieurs molécules pro-inflammatoires21. Les études effectuées chez les rats de laboratoire ont clairement établi que la réactivité inflammatoire surfacique de l’oxyde de titanium (TiO2) au niveau des tissus pulmonaires conduisait au cancer du poumon22.

D’autres études menées en laboratoire auraient permis d’observer des thromboses artériolaires à la suite de l’inhalation de nanoparticules sphériques de polymère de styrène de 50 à 100 nm. Ces résultats expérimentaux pourraient expliquer la morbidité, tant pulmonaire que cardiaque, décelée dans les études épidémiologiques sur les particules ultra-fines décrites précédemment. Par ailleurs, en 1983, des lésions pulmonaires ont été décrites chez des travailleurs affectés à l’empaquetage de nourriture à la suite d’une exposition aux fumées de polytétrafluorure d’éthylène (PTFE). Ces travailleurs présentaient des symptômes semblables à ceux de la fièvre de la fumée de polymère fluoré (PTFE fever).

L’importance de la surface des particules

À la suite d’observations récentes chez le rat, des chercheurs concluent que les nanotubes de carbone sont plus cytotoxiques que la silice, substance généralement reconnue comme très néfaste pour les poumons23. La réactivité oxydative est en relation directe avec l’importance de la surface de la particule. En d’autres termes, plus la particule est petite, plus sa surface est grande par rapport à sa masse, et plus elle devient réactive en regard des tissus avec lesquels elle entre en contact (tableau 1).

Tableau 1. Relation entre la masse volumique, le diamètre, la concentration et l’aire surfacique des nanoparticules

Traduit et adapté de Donaldson K. et al.24

Il semble par ailleurs possible d’établir une analogie entre ces dernières recherches et celles effectuées sur des substances jugées dangereuses pour la santé, telles que l’amiante et le quartz. Il est maintenant bien connu que l’inhalation de fibres d’amiante et de cristaux de quartz est à l’origine de plusieurs maladies pulmonaires comme les pneumoconioses et le cancer. En ce qui concerne l’amiante, son caractère toxico-pathologique tient plus particulièrement à la conformation allongée de la fibre et à sa réactivité chimique. Ainsi, plus le rapport longueur-diamètre est élevé, plus la particule produit des dommages à l’architecture pulmonaire. Or, plusieurs nanoparticules carbonées possèdent cette même forme allongée.

Mécanismes de déposition et de protection pulmonaire

Les mécanismes habituellement invoqués pour expliquer les phénomènes de déposition pulmonaire, à savoir l’impaction au niveau des embranchements pulmonaires, l’inertie et la gravité au niveau des bronches, des bronchioles et des alvéoles sont inopérants dans le cas spécifique des nanoparticules, puisque celles-ci sont régies par le mouvement brownien. Par exemple, des particules de 5 nm se déposeront dans une proportion égale au niveau du rhinopharynx, des bronches, des bronchioles et des alvéoles pulmonaires, alors que celles de 20 nm se logeront préférablement sur les surfaces alvéolaires. Le mécanisme de protection traditionnel du système pulmonaire consiste à capter les particules à l’aide des macrophages pulmonaires qui, par un « effet escalier », remonteront ces dernières au niveau du pharynx, où elles seront éjectées lors de la toux ou encore ingérées. Ce mécanisme de protection est toutefois peu efficace contre les nanoparticules. Les expériences de laboratoire semblent plutôt montrer que ces dernières s’infiltrent entre les cellules ou encore pénètrent par les vacuoles endocytosiques dénommées cavéoles cellulaires, qui possèdent une propriété d’expansion lors des cycles respiratoires favorisant ainsi le déplacement des particules à travers les barrières cellulaires des poumons pour enfin atteindre le sang capillaire.

De plus, tout comme pour les virus, ces particules peuvent atteindre le cerveau et le système nerveux par les nerfs périphériques (nerfs olfactifs, nerf trijumeau, etc.) étant donné que leurs fibres innervent les récepteurs des muqueuses nasales et bronchiques. Une fois ces frontières franchies, les nanoparticules adhéreront aux plaquettes sanguines et aux protéines sériques, puis atteindront le foie, les reins, le cœur et même la moelle osseuse et les organes lym phoïdes. Les particules pourront même traverser la membrane placentaire, sans que l’on en connaisse les effets, à court comme à long terme, sur les différents organes et le fœtus.

Voie cutanée

Il existe des données probantes à l’effet qu’une fois déposées sur la peau, les nanoparticules peuvent emprunter la voie des terminaisons nerveuses ou encore celle des follicules pileux. L’absorption dermique constitue une notion importante à considérer puisque certains produits pour la peau (produits de beauté ou de soins) actuellement disponibles pour les consommateurs contiennent des nanoparticules. Notons, à titre d’exemple, certaines crèmes solaires, auxquelles sont incorporées des nanoparticules de dioxyde de titanium (TiO2). Même si les premières expériences ne semblaient pas démontrer que ces particules traversaient l’épiderme, il a été observé depuis que les puits quantiques injectés dans le derme pouvaient en fait être véhiculés jusqu’aux ganglions régionaux. Enfin, des études récentes ont montré que des nanotubes multicouches pouvaient se retrouver à l’intérieur de kératinocytes (cellules de la peau produisant la kératine) et causer une réaction inflammatoire secondaire25.

Voie gastro-intestinale

À l’heure actuelle, le tractus gastro-intestinal a été documenté comme voie de pénétration des nanoparticules à partir d’études sur l’absorption des médicaments nanisés. Ces études ont montré l’importance de la taille et de la charge électrique pour la pénétration des nanoparticules16. Les particules chargées positivement se retrouvent piégées dans le mucus, ce dernier étant chargé négativement. Par exemple, les particules de 14 nm de diamètre traversent la couche de mucus en deux minutes, celles de 415 nm en trente minutes, tandis que celles de 1 000 nm de diamètre sont complètement bloquées. Les nanoparticules sont par la suite excrétées rapidement dans les urines et les fèces, ou se retrouvent dans le sang pour être ultérieurement dirigées vers le foie ou d'autres organes.

Éthique et gestion du risque

L’utilisation de nanotechnologies prête le flan à des débats sociaux et politiques. Certains se font les défenseurs inconditionnels de cette nouvelle industrie qui pourrait selon eux, faire disparaître la pauvreté à la surface de la terre. D’autres, à l’inverse, réclament des mesures draconiennes pour contrer les risques de cette innovation. L’imposition d’un moratoire a d’ailleurs été revendiquée par différents organismes de défense de l’environnement26.

Par ailleurs, à l’instar des craintes suscitées dans la population par l’arrivée des organismes génétiquement modifiés (OGM), plusieurs organismes internationaux se questionnent sur l’impact et sur l’éthique de l’instauration de la nanotechnologie. Le document produit par la Royal Society et la Royal Academy of Engineering6 porte sur ces innovations et se penche aussi sur les enjeux et les préoccupations éthiques et du public soulevés par une telle technologie. Le rapport entre les bénéfices et les conséquences potentiellement négatives tant du point de vue humain qu’environnemental est questionné. De plus, les auteurs émettent des craintes au sujet de possibles atteintes aux libertés civiles dans le cas d’une utilisation malveillante de cette nouvelle technologie. Ils citent entre autres le domaine de l’écoute électronique et le domaine militaire, notamment de nouvelles armes chimiques indétectables, pouvant être dirigées spécifiquement vers des organes sensibles du corps humain, comme le cerveau ou le cœur. Ce document suggère par conséquent l’application du principe de précaution.

Cette conclusion pourrait orienter la gestion des risques dans ce domaine. À ce chapitre, la Commission européenne de la protection de la santé communautaire et de la consommation (European Commission-Community Health and Consumer Protection) a convoqué à Bruxelles en mars 2004 un groupe d’experts. Ceux-ci ont établi cinq voies de gestion des risques au regard des nanotechnologies27.

L’évaluation des différentes options a conduit ces experts à adopter un processus itératif qui intègre une démarche d’atténuation du risque accompagnée de la mise en place d’une structure de consultation permanente entre les scientifiques, les industriels et les consommateurs.

Le Québec n’est pas en reste quant à ces préoccupations éthiques et la Commission de l’éthique, de la science et de la technologie diffusera en novembre prochain son avis intitulé Éthique et nanotechnologies : se donner les moyens d’agir préparé à l’intention du gouvernement québécois. Des préoccupations d’ordre éthique y seront identifiées en matière de santé humaine (population générale et travailleurs), en matière d’environnement, de sécurité (militaire et civile) ainsi que celles plus générales, concernant la question de la convergence des connaissances et des technologies. Finalement, des préoccupations éthiques non exclusives aux nanotechnologies (lien avec la gouvernance, l’activité économique générée, la citoyenneté et l’innovation) seront abordées.

En conclusion, l’utilisation des nanotechnologies est en plein essor dans le monde industrialisé, plusieurs pays investissant des sommes d’argent colossales dans ce champ d’activité. Les secteurs potentiels d’application des nanotechnologies sont énormes et d’une portée sans précédent. De nombreux organismes internationaux ont débuté leur réflexion sur le sujet et plusieurs rapports sur les impacts ont été produits à l'heure actuelle. Cependant, les connaissances sur les impacts des nanotechnologies sur l’environnement et la santé demeurent très parcellaires. Des efforts importants sur ces aspects devront être consentis afin de combler les lacunes.

Références

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(a)www.mdeie.gouv.qc.ca/page/web/portail/scienceTechnologie/service.prt?svcid=PAGE_GENERIQUE_CATEGORIES40&IDDOC= 42648
(b) Un nanomètre correspond à un milliardième de mètre (1 nm = 10-9 m)
(c)w3.granddictionnaire.com/btml/fra/r_motclef/index1024_1.asp

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