25 février 2019

Les insecticides néonicotinoïdes présentent-ils un risque de contamination de l’eau et des aliments?

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Ce document ne peut donc pas être considéré comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Onil Samuel
B. Sc., expert et conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Louis St-Laurent
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Craddock HA et al. Trends in neonicotinoid pesticides residues in food and water in the United States, 1999-2015. Environ Health. 2019 Jan 11;18(1):7.

Introduction

L’utilisation intensive et croissante des insecticides néonicotinoïdes a fait la manchette plus d’une fois au cours des dernières années. Que ce soit en raison de leurs effets toxiques pour l’environnement en général, pour les abeilles ou encore pour la santé humaine, les inquiétudes soulevées par ces insecticides ont amené le législateur québécois à mieux encadrer l’utilisation de ces produits par une modification au Code de gestion des pesticides (1). Au printemps 2018, la majorité des États membres de l’Union européenne ont aussi voté pour un bannissement presque complet de ces produits. Une bonne connaissance de la présence de résidus de néonicotinoïdes dans les aliments et l’eau de consommation est certainement nécessaire pour apprécier les risques de l’exposition populationnelle à ces produits. Si de telles données sont peu accessibles au Québec, des données ont récemment été compilées aux États-Unis par Craddock et al. (2019) afin de combler les lacunes en matière de caractérisation de la contamination des aliments et de l’eau. Même si ces données ne sont pas directement applicables à la situation du Québec, elles permettent certainement de juger de l’impact potentiel de l’utilisation agricole intensive de cette catégorie de pesticides.

Méthodologie

Les données de résidus des pesticides utilisées par les auteurs ont été recueillies entre 1999 et 2015 dans le cadre du Programme de résidus de pesticides (Pesticide Data Program; PDP) du Département de l’Agriculture des États-Unis (2), et ce, pour 7 insecticides néonicotinoïdes (imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, dinotéfurane, thiaclopride, acétamipride et flonicamide). Ces données ont été jugées suffisamment représentatives pour décrire les tendances observées en matière de contamination et de concentration de résidus dans les centres de distribution alimentaire aux États-Unis.

Les produits échantillonnés dans le cadre du PDP ont été sélectionnés au hasard dans les marchés et les grands centres de distribution qui alimentent les supermarchés et les épiceries dans 11 États américains, représentant environ 50 % de la population américaine. Les données ont été compilées annuellement pour plusieurs produits de consommation comme les fruits, les légumes, les jus, la viande, les produits laitiers, les grains, le miel et la nourriture pour bébé, le tout, lorsque possible, sous une forme telle que consommée. Des données sur l’eau embouteillée et sur l’eau souterraine des systèmes municipaux d’eau potable, de résidences privées, d’écoles et de garderies ont aussi été évaluées.

Les échantillons d’aliments ont été divisés en deux catégories distinctes pour l’analyse statistique, à savoir les produits alimentaires hybrides et les produits majeurs. Les produits alimentaires hybrides combinent plusieurs produits individuels de même nature (ex. : pommes, jus de pommes, sauce aux pommes) alors que les produits majeurs sont des catégories plus générales (ex. : fruits, légumes, viande, produits laitiers, etc.). Les aliments domestiques ont aussi été différenciés des aliments importés lors de l’analyse. De plus, la fréquence de détection des pesticides et la moyenne des concentrations retrouvées ont été calculées.

Résultats

Pour la période ciblée, plus de 645 980 échantillons, représentant 103 produits alimentaires, ont été analysés. Les pesticides à l’étude ont principalement été détectés dans les fruits et légumes. La fréquence de détection (FD) annuelle pour des néonicotinoïdes dans chacun de tous ces produits alimentaires était habituellement inférieure à 20 %. La FD moyenne pour toute la période de l’étude a été de 4,5 %, tant pour les produits domestiques que pour les produits importés. Pour toutes les catégories d’échantillons (domestiques et importés), l’imidaclopride était l‘insecticide le plus souvent détecté, avec une FD de 12,0 %. 

Cependant, plusieurs combinaisons aliments-pesticides ont montré des FD beaucoup plus élevées :

  • cerise (45,9 %), pomme (32,5 %), poire (24,3 %) et fraise (21,3 %); pour l’acétamipride;
  • chou-fleur (57,5 %), laitue (45,6 %), épinard (38,7 %), chou kale (31,4 %), pomme de terre (31,2 %), coriandre (30,6 %), raisin (28,9 %), chou vert (24,9 %), cerise (26,3 %), et céleri (20,9 %); pour l’imidaclopride. 

Pour certains aliments individuels, une contamination d’au moins 5 % des échantillons à 2 néonicotinoïdes ou plus a été observée (ex. : pomme, céleri et cerise). Plusieurs néonicotinoïdes pouvaient également être mesurés pour une même catégorie de produits. Par exemple, les 7 matières actives étudiées ont toutes été détectées dans des échantillons de poivrons, et 6 de ces matières actives ont été mesurées dans le chou-fleur, le céleri, le chou kale, les framboises et le melon d’eau.

Par ailleurs, les insecticides de cette famille chimique ont été détectés dans moins de 6 % des produits biologiques évalués. Certaines normes pouvaient très occasionnellement être dépassées pour certaines combinaisons pesticides-aliments pour les produits biologiques. Les concentrations maximales de résidus retrouvés dans le riz, les épinards et le brocoli biologiques dépassaient celles des mêmes produits en culture non biologique.

Parmi les produits avec de plus faibles FD, certains légumes, tels que des légumes verts à feuilles, présentaient les concentrations maximales de résidus les plus élevées pour certains insecticides. Quoique souvent détectés dans les fruits et légumes, les résidus étaient généralement inférieurs aux limites maximales de résidus (LMR) fixées par l’Agence américaine de protection de l’environnement  (United States Environmental Protection Agency; U.S. EPA). Certains aliments avaient cependant des concentrations qui dépassaient ces limites, tels que les tomates, les raisins, les haricots verts et les fraises.

Dans la catégorie des groupes majeurs de produits alimentaires, les concentrations dans les échantillons des produits de bœuf, de volaille, de porc, de poisson et du miel étaient toutes sous les limites de détection. En ce qui concerne les produits pour bébé, des résidus d’acétamipride, d’imidaclopride et de thiaclopride ont été détectés dans des produits transformés de la pêche, de la poire et de la pomme. De plus, certains de ces produits contenaient plusieurs de ces insecticides. Les auteurs notent par ailleurs que les aliments contaminés mis en évidence dans l’étude sont aussi les fruits et légumes régulièrement consommés par les enfants de moins de 5 ans.

Les résultats ont aussi démontré une tendance à la hausse des résultats positifs dans l’eau de consommation traitée ou non pour l’imidaclopride de 2004 à 2011. Les FD les plus élevées ont été observées en 2011 avec respectivement 36,7 et 29,7 % des échantillons positifs pour l’eau non traitée et traitée.

Pour ce qui est des tendances temporelles, la proportion des échantillons au-dessus des limites de détection a suivi une évolution à la baisse approximativement à partir du début des années 2000, pour par la suite remonter en 2015, et ce, pour les catégories des échantillons domestiques, importés, des catégories majeures de fruits et de légumes et des produits biologiques. De nombreuses variations annuelles ont été observées dans ces catégories pour les différents néonicotinoïdes.

Plusieurs facteurs, dont l’utilisation de méthodes analytiques avec des limites de détections variées, pourraient expliquer ces variations annuelles dans la détection des résidus. Il a aussi été démontré que les producteurs font une rotation de leur utilisation des néonicotinoïdes pour prévenir la résistance. Par ailleurs, la présence de ces insecticides dans les aliments biologiques pourrait être en partie expliquée par une erreur d’identification des produits ou des échantillons analysés, par une contamination après la récolte ou par la dérive d’insecticides provenant de terres adjacentes.

Il est difficile de comparer les résultats de cette étude avec les données d’autres études universitaires, notamment en raison des différences importantes concernant la taille des échantillons et des limites de détection. Afin d’illustrer cette situation, les auteurs notent que les données du PDP ont toujours rapporté des résultats négatifs concernant la présence de néonicotinoïdes dans le miel alors que certaines études ont rapporté avoir détecté ces insecticides dans 90 % des échantillons testés. De plus, il est important de rappeler qu’il existe de grandes variations dans les combinaisons néonicotinoïdes-aliments échantillonnées année après année, et que peu d’aliments ont été échantillonnés pendant 3 années consécutives. Cette situation a pour conséquence de limiter l’analyse statistique des tendances temporelles des résidus de néonicotinoïdes dans les produits alimentaires.

Conclusion

Cette première étude sur les tendances temporelles de la présence de 7 néonicotinoïdes dans les aliments aux États-Unis indique que, généralement, la FD annuelle pour tous les produits alimentaires est inférieure à 20 %. Ces insecticides sont principalement détectés dans les fruits et légumes et parce qu’ils se distribuent dans tout l’aliment, et qu’il est presque impossible de les éliminer par le lavage ou le pelage. Ainsi, les auteurs notent que, même si les résidus de ces insecticides respectent habituellement les LMR, il est difficile d’estimer les risques sanitaires de l’exposition alimentaire à ces pesticides, notamment en raison d’un manque de connaissances sur les effets neurologiques et endocriniens ainsi que sur les effets liés au développement. Ces incertitudes viennent mettre en évidence le besoin de poursuivre des études pour mieux documenter les risques sanitaires liés à l’exposition cumulée à ces produits phytosanitaires, et ce, principalement pour des groupes à risque comme les jeunes enfants et les femmes enceintes.

Selon les auteurs, ces risques pourraient être mieux compris si une campagne nationale de biosurveillance pouvait être mise en place, mais l’absence de biomarqueurs urinaires ou sanguins validés rend actuellement l’atteinte de cet objectif impossible. Les auteurs considèrent que le développement de tels outils devrait être priorisés afin de mieux caractériser la relation entre l’exposition alimentaire à ces insecticides et leurs effets sanitaires potentiels.

Les néonicotinoïdes au Canada

Pour la campagne d’échantillonnage 2013-2014 de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) (3), l'imidaclopride arrive au second rang des résidus les plus fréquemment détectés dans les fruits et légumes frais importés (30,64 % de positifs sur 3287 échantillons analysés; taux de conformité de 99,97 %). Il a été le plus souvent détecté dans les échantillons d'oranges et de raisins. L'imidaclopride a été détecté dans un plus faible pourcentage d'échantillons canadiens (14,72 %; taux de conformité de 100 %), et a été plus souvent détecté dans les échantillons de pommes de terre et de pommes. De 2010 à 2012 (4), l’imidaclopride était le résidu de pesticide le plus fréquemment détecté dans les produits frais importés (19,87 %; taux de conformité de 99,81 %). Il a été détecté dans des échantillons de têtes de laitue (60,78 %), de raisins (54,92 %) et de poivrons (50 %), à des concentrations inférieures aux LMR. De l’imidaclopride a été détecté dans 10,65 % des échantillons de produits frais provenant du Canada (taux de conformité de 99,74 %). Il était détecté le plus souvent à des concentrations conformes dans les pommes de terre (24 %) et les bleuets (60 %). D’autres néonicotinoïdes ont été détectés à des niveaux moins importants. L’ACIA a aussi réalisé un Projet sur les aliments destinés aux enfants (PAE) en 2013-2014 (5). Au total, 204 échantillons de jus de fruits et d’aliments pour bébés en purée, dont la moitié était étiquetée comme produits biologiques, ont été analysés dans le cadre du PAE. L’imidaclopride a été détecté dans un peu plus de 3 % des échantillons.

Dans une étude québécoise (6), des concentrations de différents néonicotinoïdes ont été mesurées respectivement dans l’eau du robinet et dans l’eau d’une rivière :

  • thiaméthoxame : < 0,5 – 10 et 3 – 61 ng/L*;
  • clothianidine : < 0,5 – 6 et 2 – 88 ng/L*;
  • imidaclopride : < 0,1 – 1 et 0,8 – 38 ng/L*).

À la connaissance des auteurs, aucune donnée gouvernementale concernant la présence des néonicotinoïdes dans l’eau de consommation n’a été publiée. Cependant, un rapport de Giroux (7) met aussi en évidence la présence généralisée d’insecticides de la famille des néonicotinoïdes, notamment le thiaméthoxame et la clothianidine, dans des rivières en zones agricoles québécoises, principalement dans de grandes cultures. Dans les rivières échantillonnées annuellement de façon continue, communément appelé « réseau de base » par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), ils sont détectés dans plus de 97 % des échantillons, mais ils ont aussi été détectés dans toutes les rivières échantillonnées pour le suivi des pesticides de 2011 à 2014 (nommé Réseau-rivières : 23 rivières). Globalement, la FD dans ces rivières varie selon l’importance des superficies en maïs et en soya dans le bassin versant.

*  ng/L : nanogramme par litre.

Références

  1. Règlement modifiant le Code de gestion des pesticides. Règlement modifiant le Règlement sur les permis et les certificats pour la vente et l’utilisation des pesticides [En ligne]. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques; 2019. Disponible : http://www.environnement.gouv.qc.ca/pesticides/permis/modif-reglements2017/index.htm
  2. United States Department of Agriculture. Pesticide Data Program. Agricultural Marketing Service; 2019. Disponible : https://www.ams.usda.gov/datasets/pdp
  3. Agence canadienne d'inspection des aliments. Rapport annuel du Programme national de surveillance des résidus chimiques 2013-2014 [En ligne]. Gouvernement du Canada. Disponible : http://www.inspection.gc.ca/aliments/residus-chimiques-microbiologie/bulletins-d-enquete-sur-la-salubrite-des-aliments/2016-09-08/programme-national-de-surveillance-des-residus-chi/fra/1472776535969/1472776559235
  4. Agence canadienne d'inspection des aliments. Rapport annuel du Programme national de surveillance des résidus chimiques 2010-2012 [En ligne]. Gouvernement du Canada. Disponible : http://www.inspection.gc.ca/aliments/residus-chimiques-microbiologie/residus-chimiques/rapport-annuel-du-pnsrc-2010-2012/fra/1406727810600/1406727811741 (sur demande)
  5. Agence canadienne d'inspection des aliments. Rapport du Projet sur les aliments destinés aux enfants 2013-2014 [En ligne]. Gouvernement du Canada. Disponible : http://www.inspection.gc.ca/aliments/residus-chimiques-microbiologie/residus-chimiques/projet-sur-les-aliments-destines-aux-enfants-2013-/fra/1431085552879/1431085553957
  6. Montiel Leon JM, Duy SV, Munoz G, Amyot M, Sauvé S. Evaluation of on-line concentration coupled to liquid chromatography tandem mass spectrometry for the quantification of neonicotinoids and fipronil in surface water and tap water. Anal Bioanal Chem. 2018 Apr;410(11):2765-2779.
  7. Giroux I. Présence de pesticides dans l’eau au Québec : Portrait et tendances dans les zones de maïs et de soya – 2011 à 2014. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques; 2015. Disponible : http://www.environnement.gouv.qc.ca/pesticides/mais_soya/portrait2011-2014/index.htm