9 février 2011

Le rendez-vous des professionnels de santé environnementale au Québec : les Ateliers de santé environnementale

Article
Auteur(s)
Claire Laliberté
M. A., M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Céline Farley
Institut national de santé publique du Québec

 Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), pesticides, plomb dans l’eau potable, risques industriels, pollution atmosphérique, communication du risque, décontamination du mercure, voici quelques-uns des thèmes qui ont été traités depuis près de 20 ans lors de rencontres périodiques d’acteurs du domaine de la santé environnementale, mieux connues sous le nom des « Ateliers de santé environnementale » (ASE).

Ce court texte dresse dans un premier temps le portrait de l’activité autant du point de vue des contenus que de son organisation. Par la suite, une réflexion est amorcée sur cet événement qui utilise le transfert de connaissances dans un but de développement des compétences. Ceci dans un contexte où les problématiques de santé environnementale se multiplient et se complexifient 

faisant appel à de multiples compétences pour y faire face. Parallèlement, on observe des développements théoriques et technologiques majeurs du côté de la pédagogie qui nous interpellent. Comment ces nouveaux outils peuvent-ils nous aider à améliorer la performance des professionnels et celle de leur organisation?

Historique

Au Québec, la santé environnementale repose en bonne partie sur l’expertise de professionnels de disciplines diverses (géographe, toxicologue, aménagiste, biologiste, géomaticien, médecin, anthropologue, etc.) organisées au plan régional au sein des directions de santé publique (DSP) des agences de la santé et des services sociaux, à l’Institut national de santé publique (INSPQ) et au ministère de la Santé et des Services sociaux à l’échelle provinciale. Ces trois entités travaillent de concert à l’harmonisation des pratiques et à la circulation des connaissances depuis que ce champ de la santé publique est né. Le dialogue entre ces trois groupes est établi depuis la création du Comité de santé environnementale (CSE) remplacé ultérieurement par la Table nationale de concertation en santé environnementale. Environ 150 personnes font partie de ce réseau, si l’on exclut de ce nombre le personnel impliqué uniquement dans la garde sur les urgences environnementales. On observe toutefois une répartition inégale des ressources professionnelles entre les différentes régions, ces dernières étant particulièrement concentrées dans les centres urbains densément peuplés et dotés d’établissements universitaires.

Les Ateliers de santé environnementale (ASE) ont été mis sur pied afin de donner à ces professionnels dispersés sur un vaste territoire l’occasion de se rencontrer afin de partager leurs connaissances issues de l’intervention ou de la recherche et ainsi développer leurs compétences. La rencontre dure en moyenne deux jours au cours desquels se tiennent des sessions uniques ou en simultanée selon la diversité et la quantité des sujets. Entre 50 et 160 personnes participent en tout ou en partie à cette assemblée scientifique.

Les ASE ne sont pas la seule activité du genre au Québec. Plusieurs rencontres scientifiques et formations sont offertes régulièrement (ACFAS, Journées annuelles de santé publique, colloques de diverses associations, etc.). Des activités de formation innovatrices, par exemple les webinaires organisés par le Réseau d’échanges sur les enjeux en santé environnementale, ont fait leur apparition récemment et bien sûr, les programmes d’apprentissage en ligne tels que ceux, plus généraux, offerts par l’Agence canadienne de santé publique.

Une des particularités de l’ASE est qu’elle se déroule rarement dans la même région, le lieu étant déterminé selon l’offre d’accueil. La région hôte est ainsi mise à contribution pour certains aspects logistiques, mais son principal rôle touche la définition des contenus scientifiques qui y seront présentés. L’Institut demeure toutefois le maître d’œuvre de l’événement et en assume la gestion globale (inscriptions, budget, diffusion du programme). Il demeure responsable de l’application du programme d’assurances qualité élaboré dans le cadre de la fonction formation à l’Institut et à ce titre, doit veiller à ce que les contenus et les modalités pédagogiques et éthiques répondent aux conditions d’accréditation d’organismes reconnus. L’accréditation procure aux participants une reconnaissance formelle d’une formation conçue dans un objectif d’amélioration de la performation individuelle.

On y parle de quoi?

L’élaboration du programme d’un atelier obéit à une démarche relativement souple. Une consultation générale est menée par sondage quelques mois avant la date prévue afin de recueillir des suggestions de sujets, de besoins particuliers ou de conférenciers potentiels. À ce relevé de besoins ressentis s’ajoutent des propositions de collègues du réseau qui désirent profiter de la rencontre pour dispenser une formation spécifique correspondant à leur propre agenda de travail. Il peut s’agir de besoins normatifs ou encore d’avancées technologiques ou outils développés dans le secteur de la santé environnementale. On pense par exemple à une nouvelle réglementation touchant les critères de qualité de l’eau potable ou encore au développement d’une application géographique en lien avec la surveillance d’événements météorologiques extrêmes.

C’est alors le rôle du comité scientifique de sélectionner parmi les propositions soumises celles qui lui permettront de concocter un programme structuré et équilibré répondant le plus possible aux besoins tout en reflétant une participation représentative du réseau. Le comité scientifique se doit d’être particulièrement attentif aux modes d’apprentissage offerts aux participants afin de favoriser l’interaction entre eux.

La variété des sujets (voir tableau) traités depuis 1990 témoigne de la complexité du travail des professionnels de santé environnementale et des multiples aspects en matière de thématiques environnementales - souvent très médiatisées - de milieux investigués et de partenaires visés. Ils sont aussi le reflet de l’engagement des professionnels vis-à-vis leurs pairs. Notons qu’en fonction de l’offre reçue, une seule thématique peut parfois être traitée lors d’une session (pollution de l’air et santé, urgences environnementales, p. ex.) alors que des sujets très différents peuvent faire l’objet d’une autre.

Au cours des huit Ateliers, la plupart des conférenciers faisaient partie du réseau de la santé environnementale soit des directions de santé publique ou de l’INSPQ même si des partenaires gouvernementaux ou autres y ont pris la parole (encadré). Ainsi, on constate que l’expertise dans notre domaine est partagée par plusieurs organismes, ce qui la rend assurément plus riche et ancrée dans les pratiques.

THÈMES TRAITÉS LORS DES ATELIERS DE SANTÉ ENVIRONNEMENTALE DE 1997-2010
SELON LE TYPE DE CONNAISSANCES

Interventions, études de cas ou retour d’expériences

  • Santé et odeurs de styrène (DSP)
  • Changement source eau brute associé aux THM bromés (DSP)
  • Préparation Sommet des Amériques (DSP)
  • Concentration de fluor dans l’eau potable de petits réseaux (DSP)
  • HAP à Baie-Comeau (DSP)
  • Diminution des plombémies au Nunavik (DSP)
  • Participer aux audiences publiques (DSP)
  • Études impacts et terminal méthanier (DSP)
  • Ammoniac dans un aréna (DSP)
  • Herbe à poux à Montréal (DSP)
  • Enquête sur les symptômes irritatifs en lien avec usine de compostage (DSP)
  • Stratégie pour débarrasser deux sites orphelins de leurs matières dangereuses (DSP)
  • Exposition au mercure dans une école (DSP)
  • Exposition au mercure dans une résidence (DSP)
  • Atelier établissement de santé et mercure (DSP
  • Atelier mercure et résidence privée (DSP)
  • Rôles et mandats des organisations en lien avec la question des moisissures (DSP)
  • Intervention en milieu autochtone dans une situation de moisissures (DSP)
  • Intervention en lien avec les dégâts d’eau lors de la crise du verglas (DSP/LSPQ)
  • Intoxication par des hydrocarbures en lien avec un fluorescent (DSP)
  • Intervention portant sur le radon domestique à Oka (DSP)
  • Intervention dans un complexe de logement montréalais aux prises avec des problèmes d’insalubrité (DSP)
  • Intervention liée à la présence de TCE dans un puits privé (DSP)
  • Réflexion sur les outils d’évaluation du risque à la santé liés à la qualité de l’air ambiant (DSP)
  • Interventions de santé publique en lien avec l’exposition aux polluants de l’air extérieur (Agence fédérale)
  • Travaux aux explosifs comme source de C) (INSPQ)
  • Décontamination d’un local contaminé par le mercure (CTQ)

État des connaissances

  • Gestion des risques industriels et transport de matières dangereuses (DSP)
  • Revue de littérature sur les impacts liés aux déchets (DSP)
  • Mercure comme contaminant majeur (DSP)
  • Causes des problèmes d’humidité (SCHL)
  • Risques à la santé liés aux produits pétroliers (DSP)
  • Évaluation du risque adulticides (DSP)
  • Nanotechnologie (DSP)
  • Bilan qualité de l’air dans les arénas de Montréal (DSP)
  • État de situation sur démarche de prévention en lien avec les flocages d’amiante dans les écoles (DSP)
  • Punaises de lit, état de situation, méthodes de protection, de prévention et de contrôle (DSP)
  • Mado chimiques d’origine environnementale, données récentes (MSSS)
  • Pesticides en milieu résidentiel (INSPQ)
  • Enjeux liés à l’exploitation de l’uranium (INSPQ)
  • Mercure et risque pour la santé (CTQ)
  • Effets sur la santé et moisissures (LSPQ)
  • Exposition à la pollution de l’air (DSP)
  • Principaux contaminants de l’air ambiant (Gouv fédéral)
  • Infiltration des polluants de l’air et efficacité des purificateurs d’air (Agence fédérale)
  • Effets sur la santé des contaminants de l’air ambiant (Université)
  • Exposition et effets sur la santé liés aux émissions de poêles à bois (Université)
  • Exposition et effets sur la santé liés aux émissions de transport routier (Université)

Outils, méthodes

  • Infocentre et plan commun de surveillance (INSPQ)
  • Outil d’analyse et de diffusion (INSPQ)
  • Inspection, prélèvements et protection personnelle en lien avec les cas de moisissures (LSPQ)
  • Indicateurs et outils de diffusion de la surveillance en santé environnementale (INSPQ)
  • Portail et application cartographique en surveillance et événements climatiques extrêmes (INSPQ)
  • Utilité du programme de surveillance de la qualité de l’air ambiant (INSPQ)
  • Démarche estimation du risque industriel (DSP/municipalité
  • Aménagement du territoire et risque industriel (DSP)
  • 2 Ateliers d’une journée sur les mesures d’urgence (INSPQ)
  • Méthodes d’estimation de l’exposition des populations (Gouv fédéral)

Recherche, évaluation

  • Hypothyroïdie et (DSP/INSPQ)
  • Trafic et problèmes respiratoires (DSP/INSPQ)
  • Surveillance HAP à Baie-Comeau (DSP)
  • Exposition aux dioxines et furannes (DSP)
  • Dépassement normes plomb eau potable (DSP)
  • Biosurveillance aux abords d’une fonderie (DSP)
  • Évaluation du risque exposition aux organophosphorés dans vergers (DSP)
  • Perception du risque et utilisation de pesticides (DSP)
  • Qualité de l’eau de puits privés offerts à des nourrissons (DSP)
  • Analyse descriptive des cancers (DSP)
  • Exposition au bruit par les MP3 (Institut/école secondaire)
  • Évaluation du risque exposition aux organophosphorés dans vergers (DSP)
  • Perception du risque et utilisation de pesticides (DSP)
  • Qualité de l’eau de puits privés offerts à des nourrissons (DSP)
  • Analyse descriptive des cancers (DSP)
  • Analyse risque toxicologique associé aux contaminants atmosphériques Bécancour (DSP)
  • Effets respiratoires des nageurs exposés (INSPQ)
  • Évaluation outil de communication (INSPQ)
  • Modèle de prédiction des concentrations au méthylmercure (DSP)
  • Appareils de combustion de bois et qualité de l’air intérieur (DSP)
  • Relation entre dose interne et externe d’arsenic en lien à l’exposition à l’eau d’un puits domestique (DSP/INSPQ, Université)
  • Comparaison France-Québec des controverses environnementale (INSPQ/Université)
  • Évaluation du risque sanitaire associé à l’exposition de l’air extérieur (INSPQ/DSP/Université)
  • Étude sur l’observance des avis d’ébullition (INSPQ)
  • Données centre antipoison et mercure (CAPQ)

Normatif, règlement, mandats spéciaux

  • Application du règlement sur l’eau potable (DSP)
  • Études d’impacts (MSSS/INSPQ)
  • Développement durable (MSSS)
  • Écosommet (Autre)
  • Politique de santé et développement durable (DSP)

Appréciation de l’activité

Chacune des sessions fait l’objet d’une évaluation axée sur l’atteinte des objectifs, sur l’appréciation des contenus et de la performance du présentateur, et sur les aspects logistiques. Le questionnaire représente aussi l’occasion de recueillir des commentaires et des suggestions pour d’éventuelles activités de formation.

D’après ces évaluations et les commentaires recueillis, la satisfaction élevée des participants tient à plusieurs facteurs dont :

  • Les conférenciers : leur crédibilité et leurs compétences sont reconnues dans leur milieu. Plusieurs sont expérimentés alors que d’autres parmi les plus jeunes apportent des expertises nouvelles. L’ASE est un lieu d’échange d’expertise entre les générations.
  • La pertinence des sujets : l’offre de sujets est très diversifiée et répond souvent à des demandes exprimées. Les exposés apportent des connaissances nouvelles dans de multiples disciplines ou permettent une mise à jour utile, que ce soit au plan scientifique ou par l’apport de nouveaux outils de travail.
  • La formule utilisée facilite les interactions formelles et informelles, les participants appréciant le fait d’échanger avec les collègues de toutes les régions, en dehors de leur milieu habituel. La convivialité fait intrinsèquement partie de l’activité.
  • L’occasion de se manifester : on assiste au cours des dernières années à un renouvellement des forces vives en santé environnementale : l’atelier de santé environnementale représente une occasion d’entrer en contact avec ses nouveaux collègues ce qui facilite par la suite les relations entre professionnels des diverses régions ou organisations et contribue fort probablement au maintien d’une communauté de pratiques. Pour tous, c’est l’occasion de mieux connaître « qui fait quoi ». L’ASE est à la fois une tribune et un tremplin pour la relève.
  • Le faible coût d’inscription à l’activité.
  • Le fait que les présentations soient accessibles par la suite sur le site web de l’INSPQ.

Perspectives

Depuis près de 20 ans, la tenue de huit ateliers et de multiples activités de formation et de transfert de connaissances ont été réalisées par et pour les acteurs du réseau de la santé environnementale.

Axés en général sur la mise à jour, la diffusion de nouvelles connaissances disciplinaires (savoirs) et le partage d’expériences d’interventions terrains, il est légitime de se demander si ces activités sont satisfaisantes. Comment pouvons-nous répondre davantage aux besoins actuels si l’on considère que les professionnels font face à des situations professionnelles exigeant d’autres types de compétences? Quelle place revient aux Ateliers de santé environnementale dans l’évolution des pratiques actuelles considérant les ressources disponibles et la pénurie appréhendée de relève en santé publique et plus particulièrement en protection de la santé? Comment se doter d’un plan d’ensemble de la formation pour les professionnels œuvrant en santé environnementale?

En réponse à ces questionnements, un comité de réflexion formé de partenaires œuvrant en santé environnementale vient d’être créé. Son mandat consistera principalement à mettre sur pied une offre de formation et de perfectionnement afin de répondre aux besoins et de soutenir de manière intégrée les acteurs de santé environnementale.

Quoi qu’il en soit, même si les Ateliers de santé environnementale comme plateforme d’échanges et de stratégie de transfert de connaissances intergénérationnel et multidisciplinaire entre pairs pouvaient connaître des changements au cours des prochaines années, nul doute que l’esprit particulier qui les anime devra être préservé.

Quelques programmes

  • 4e « La santé environnementale au Québec : des interventions de l'Estrie jusqu'au Nunavik! »
  • 6e La communication et la surveillance au cœur de l'action
  • 7e L’expertise sanitaire face aux risques environnementaux multiples
  • 8e Atelier de santé environnementale : enjeux, rôles et intervention

À partir des leçons tirées de cette expérience de transfert de connaissances, quels seraient les 3 conseils que vous donneriez à quelqu'un qui voudrait reproduire (ou poursuivre) votre démarche?

  • Viser un meilleur équilibre entre les sessions d’acquisition de connaissances et celles visant leur appropriation par des activités d’apprentissage interactives.
  • Accentuer la valorisation scientifique des contenus élaborés dans le cadre des Ateliers de santé environnementale étant donné leur richesse.
    • À titre d’exemple, il serait envisageable de verser les diaporamas ou le matériel présentés aux Ateliers sous différentes rubriques à l'intérieur d'un wiki. Ce type de communauté virtuelle d’apprentissage permettrait de conserver, de regrouper et d’enrichir la documentation pertinente de notre domaine.
    • Utiliser et transformer les contenus en matériel d’apprentissage disponible en ligne.
  • Veiller à préserver l’esprit de partage et de coopération propres à cette activité en associant de près toutes les parties prenantes à la définition des besoins et des orientations : coordonnateurs d’équipes professionnelles, acteurs de la santé environnementale, chercheurs et experts.