9 février 2011

La qualité de l'air intérieur : un enjeu de santé publique méconnu des Français

Article
Auteur(s)
Sophie Sabin
Institut national de prévention et d'éducation pour la santé
Delphine Girard
Agence Régionale de Santé - Île de France

Contexte

Si la qualité de l’air extérieur est en France relativement médiatisée, celle de l’air intérieur reste un problème de santé publique encore peu connu du grand public mais dont les médias se sont récemment saisis. Pourtant, on estime que la population passe 70 % à 90 % de son temps dans des environnements clos (transports, logements, lieux de travail…). Le temps passé en intérieur peut être plus élevé à certains âges de la vie (nourrissons, enfants, personnes âgées) ou dans certaines situations (maladie notamment). L’enjeu de santé publique n’est donc pas anodin, d’autant que de récentes études menées par l’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur (OQAI) montrent qu’environ 10 % des logements présentent une concentration très importante de polluants. En outre, selon les polluants, 5 % à 30 % des logements présentent des valeurs nettement plus élevées que les concentrations moyennes observées dans le parc des logements.

Les pouvoirs publics ont investi le sujet depuis plusieurs années (la pollution de l’air intérieur est largement traitée dans le Plan National Santé Environnement 2 et dans le Grenelle de l’Environnement) mais les premières données issues des enquêtes d’opinion montrent que la population se sent peu informée sur la problématique. En effet, 41 % se disent plutôt mal informés et 10 % n’en ont jamais entendu parler. On constate par ailleurs que seule la moitié des Français perçoit un risque lié à la pollution de l’air intérieur (50 % des personnes interrogées) et peu de personnes déclarent en avoir ressenti les effets sur sa propre santé (18 %) ou celle de son entourage (32 %). Les sources de pollution sont inégalement identifiées : si la fumée de tabac, les produits d’entretien et de bricolage, ou encore les moisissures sont globalement connus comme contribuant à polluer l’air intérieur, le mobilier, par exemple, l’est moins. Des idées reçues persistent par ailleurs : 15 % estiment que si le logement est bien fermé, il n’y a pas de pollution à l’intérieur du logement.

Dans ce contexte, informer le grand public sur cet enjeu de santé publique et lui donner les moyens d’améliorer la qualité de l’air intérieur dans les logements semblaient nécessaire. Des données scientifiques étaient disponibles et elles pouvaient aboutir à des recommandations pour la population. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) a donc été chargé de mettre en œuvre une campagne d’information sur le sujet auprès du grand public afin de permettre à chacun d’agir sur ce risque sanitaire.

Les défis du transfert des connaissances en santé environnement

Il est intéressant de s’interroger sur les particularités de la santé environnementale et sur ce qu’elles supposent en termes de transfert des connaissances vers le grand public.

Constats

En France, la population manque d’information sur les sujets relevant de ce champ, ne hiérarchise pas toujours bien les différents risques en fonction de leur impact sur la santé, et les médias français, sur certains sujets environnementaux, jouent un rôle non négligeable dans la perception des risques, créant parfois de la confusion et de l’anxiété inutiles. Par ailleurs, la prévention des risques en matière de santé environnementale est complexe car les conseils que l’on peut délivrer à la population sont nombreux, parfois difficiles à mettre en œuvre. Cela suppose donc de la part du grand public un réel effort pour s’approprier les informations, et encore davantage pour les convertir en comportements « sains ». Enfin, le fait qu’il existe des incertitudes, voire des controverses scientifiques dans ce domaine contribue encore à complexifier la démarche de transfert de connaissances auprès de la population générale, qui n’accorde par ailleurs pas toujours sa confiance à la communauté scientifique.

Enjeux

Une fois ces constats posés, on peut dès lors identifier des enjeux en matière de transfert des connaissances :

Comment rendre les connaissances scientifiques appropriables par la population et les « traduire » en comportements favorables à la santé?

Dans quelle mesure la perception du risque, parfois faible ou mal « mesurée » influence-t-elle le comportement des Français, aussi bien dans la recherche d’information que dans l’adoption des gestes préventifs?

La mobilisation de « relayeurs » de l’information scientifique est-elle indispensable pour améliorer la perception des risques et l’adoption de comportements sains?

Comment faire émerger des sujets complexes et faire adopter des comportements préventifs qui ne paraissent pas toujours nécessaires et supposent un effort important?

L’information du grand public entreprise par l’Inpes sur la qualité de l’air intérieur, et notamment la mise en œuvre d’un site Internet dédié à ce sujet, est un bon exemple de tous ces défis à relever. Cet article s’attache à décrire le projet dans ces différentes phases : conception, évaluation et axes d’amélioration.

Le dispositif

La problématique sur ce sujet était pour l’Inpes de communiquer simplement sur un sujet complexe (diversité des sources de pollution, des effets et des gestes de prévention, absence de connaissances scientifiques sur certains polluants). Un travail de réflexion avec les experts du domaine, les représentants des services de santé régionaux et les associations oeuvrant dans ce champ a permis de déterminer les objectifs que l’on pouvait se fixer pour une future communication :

  • Alerter le grand public sur la problématique de la pollution de l’air intérieur en portant à la connaissance du grand public un sujet peu connu pour faire émerger la notion en tant que telle et en proposant une approche globale qui recouvre les différentes sources de polluants et risques pour la santé;
  • Accompagner l’alerte d’un message simple de prévention autour de l’aération.

Pour répondre à ces objectifs, plusieurs actions ont été menées :

  • La diffusion d’un guidesur la pollution de l’air intérieur permettant de présenter de manière exhaustive les sources de polluants au sein du logement et d’inciter à adopter des gestes de prévention simples pour réduire la pollution dans l’habitat;
  • Une campagne radio sensibilisant la population à cette pollution, présentant un moyen de prévention global, l’aération, et promouvant le guide;
  • Le développement d’un site Internet www.prevention-maison.fr qui présente les sources de pollution dans les différentes pièces d’un appartement. Ce site a été promu par une campagne des publicités sur Internet.

Le développement d’un site Internet permet de délivrer une information exhaustive et de « mettre en scène » de l’information plus propice à l’appropriation, à long terme, de comportements favorables. Les conseils délivrés peuvent être développés et argumentés, ce qui contribue probablement à en renforcer l’impact, contrairement à la communication médiatique par exemple, qui sert surtout de véhicule pour transmettre des idées fortes à un large public. De plus, un site Internet présente l’avantage de pouvoir être actualisé régulièrement, ce qui permet de diffuser au grand public une information la plus à jour possible, élément déterminant dans un contexte d’incertitude scientifique.

En l’occurrence, la navigation du site a été conçue de manière à inciter au « diagnostic » de la qualité de l’air intérieur chez soi et de permettre d’agir sur les sources de pollution. L’internaute découvre ainsi dans les pièces d’une maison type (salle de bain, cuisine, salon, chambre…) les sources de pollution qui peuvent être présentes chez lui. Pour chaque polluant (qui peut être présent dans différentes pièces), un texte informatif rappelle le risque et les gestes qui permettent de réduire ou d’éliminer l’exposition au polluant. Il est également possible de consulter plus rapidement ces informations en accédant à une liste de polluants présents dans les logements.

Le niveau de langage était volontairement simple, équivalent au niveau de langage d’un élève de 3e de manière à être compréhensible du plus grand nombre. Ainsi, l’accent était davantage mis sur les conseils que sur la description des polluants ou les pathologies liées. Par exemple, il a été choisi de ne pas nommer les substances chimiques, comme le formaldéhyde ou le bisphénol A, d’une part car cela complexifie inutilement le discours préventif, et d’autre part car cela peut contribuer à rendre les messages anxiogènes.

Le travail de « vulgarisation » s’est effectué conjointement avec le groupe d’experts. Un consensus s’est rapidement établi sur le niveau de langage à employer et les conseils à mettre en avant. La composition du groupe, mêlant professionnels de terrain, experts scientifiques et représentants des ministères concernés a permis de garantir à la fois la fiabilité et l’accessibilité de l’information délivrée.

Son évaluation…

Le site prevention-maison.fr a été évalué quelques mois après sa mise en ligne afin d’envisager le lancement d’une version plus complète, incluant l’ensemble des risques environnementaux et accidentels présents dans les logements (accidents domestiques des enfants, accidents de bricolage, etc.). L’évaluation devait permettre d’optimiser la première version du site, en recueillant le point de vue des cibles visées par la campagne, et ainsi aboutir à un site Internet complet, répondant mieux aux besoins.

Pour évaluer le site, un institut d’études (Ipsos) a été mandaté par l’Inpes afin de réaliser une étude qualitative. L’échantillon était divisé en deux groupes :

  • Une partie de l’échantillon a découvert le site en salle lors de réunions de groupes ou d’entretiens individuels (2 groupes et 10 entretiens) : les réactions étaient recueillies à la suite d’une navigation libre puis une visite guidée d’environ 1 heure;
  • L’autre partie a découvert le site avant l’entretien, et devait remplir au préalable un « carnet de découverte » (c'est-à-dire un carnet détaillant les pages à consulter dans un ordre pré-établi et avec des questions pour chaque étape de navigation) guidant la navigation de manière approfondie (10 entretiens).

Il était intéressant d’observer les réactions de personnes découvrant le site, puisque la première visite est souvent déterminante (opinion sur l’utilité future du site, la qualité de l’information, etc.), mais il nous a paru également important de bénéficier du retour de personnes qui auraient eu davantage de temps pour naviguer sur le site internet et s’approprier l’outil.

Les critères de recrutement des participants pour assurer une diversité de l’échantillon étaient les suivants : sexe, catégorie socioprofessionnelle, habitude d’usage d’Internet et présence d’enfants dans le foyer.

Enseignements découlant de l’évaluation

En premier lieu, les internautes interrogés ont considéré que le site constituait une bonne sensibilisation aux polluants de l'air intérieur et à leurs risques associés, et ont apprécié le langage simple et concis, ainsi que la « caution » d’organismes officiels. L’ergonomie a en outre été jugée ludique et intuitive (navigation pièce par pièce) permettant un accès rapide aux contenus (clics sur les pastilles dans les différentes pièces de la maison, liste des polluants) et ce, même par les internautes moins expérimentés.

Plusieurs insatisfactions ou manques ont en revanche été exprimés par les personnes interrogées qui témoignent d’attentes de développement à plusieurs niveaux.

Le développement de l’information : le contenu est parfois ressenti comme insuffisant, et plusieurs personnes ont exprimé un sentiment de redondance entre les pages (liés à la présence de certains polluants dans plusieurs pièces). Les internautes sont en attente d’une information développée sur plusieurs niveaux :

  • Une première information très générale sur les polluants;
  • Un second niveau d’information présentant les risques pour la santé et les conseils de prévention;
  • Un troisième niveau d’information avec des liens renvoyant vers des sites Internet spécialisés (rubrique « Pour en savoir plus »).

La structuration de l’information : une hiérarchisation des risques est attendue. Une attente forte est exprimée en ce sens pour avoir accès à des données chiffrées (nombre d’intoxications au monoxyde de carbone chaque année en France, nombre de cancers du poumon liés au radon, etc.).

Le développement des conseils pratiques et personnalisés :

  • Le site manque d’éléments plus précis guidant les choix de consommation (détecteurs de CO, produits chimiques moins « polluants », etc.) ou leur comportement (à quelle fréquence nettoyer les draps et couettes par exemple) ;
  • Les internautes souhaitent également être orientés vers des professionnels, par exemple pour l'entretien des équipements pouvant émettre du CO;
  • La personnalisation des conseils, par des quizz ou questionnaires d’auto-diagnostic ressort enfin des demandes d’optimisation.

En conclusion, le site se positionne comme un outil de sensibilisation du public. Il est d’ailleurs efficace pour sensibiliser à la notion de pollution de l’air intérieur. Les messages sont bien compris : les personnes interrogées retiennent que la pollution de l'air intérieur de la maison ne concerne pas que les accidents exceptionnels comme la pollution au gaz mais qu’il existe des polluants dans la maison, que certains qualifient de « continus » (légionelles, radon, acariens, meubles neufs, etc.). En outre, ils retiennent que la pollution de l’air intérieur concerne l'ensemble des pièces de la maison et que l’aération régulière est importante, et affirment avoir pris conscience de risques insoupçonnés comme les légionelles, meubles neufs, produits chimiques et radon.

S’ils valorisent l’intérêt d’une sensibilisation générale, ils sont en attente d’une information plus complète et plus concrète. Le site est perçu comme un outil de sensibilisation, mais les internautes ne déclarent pas être incités pour autant à passer à l’action. L’appropriation des conseils préventifs reste donc à développer et doit passer par une information plus pratique, pédagogique et exhaustive, à l’image de sites non institutionnels. Le discours préventif n’apparaît donc pas suffisant pour inciter à l’adoption des comportements préventifs en matière de qualité de l’air intérieur.

Les suites…

Une version optimisée est en cours de développement afin de mieux répondre aux attentes exprimées.

Travailler sur une meilleure appropriation des conseils est apparu comme essentiel, et c’est donc cet axe qui a guidé la réflexion. Au final, si la navigation n’est pas remise en question, le contenu a évolué, de manière à mettre davantage en avant les conseils préventifs, et à proposer différents niveaux d’information :

  • Un premier niveau, le conseil préventif, complété par
  • Un deuxième niveau, avec une information plus complète sur le polluant visé (risques, conseils)
  • Puis un troisième niveau consistant en des liens vers des sites institutionnels délivrant une information scientifique développée (chiffres, résultats de recherche, etc.).

La nouvelle version du site sera soutenue pour son lancement par une campagne de publicité sur Internet et une campagne radio.

Un suivi des statistiques de consultation devra permettre de juger si cette refonte suscite l’intérêt des internautes. Ainsi, il conviendra particulièrement de surveiller le temps passé sur le site, le nombre de pages visitées et le nombre de visiteurs uniques comparé aux visiteurs réguliers.

Si Internet joue un rôle de plus en plus important dans l’information des citoyens sur les problématiques de santé, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut se suffire à lui-même. Ainsi, les populations n’ayant pas accès à Internet doivent être touchées par d’autres actions ou médias, qui privilégient davantage le dialogue et le diagnostic. À cet égard, le développement en France du métier de conseillers médicaux en environnement intérieur constitue un axe prometteur.

Sur le plan plus général, on peut tirer plusieurs enseignements de ce projet pour la suite.

En premier lieu, il apparaît que le logement n’est pas toujours identifié comme un risque pour la santé. Il est en effet sans doute perçu comme protecteur et familier, si bien que la notion de risque pour la santé est peut-être moins acceptable ici. Aussi convient-il de revoir notre positionnement institutionnel et d’adapter le discours préventif pour répondre davantage à la perception qu’ont les Français de l’air intérieur.

Par ailleurs, il est apparu clairement que la « vulgarisation » des données scientifiques était nécessaire, mais pas suffisante puisque les internautes se sont exprimés en faveur de plus d’informations. La « maturité » des internautes dans la recherche d’information sur la santé suppose peut-être de mettre à disposition des contenus plus ou moins complexes afin qu’ils les traduisent eux-mêmes, et en fonction de leur expérience, en comportements préventifs.

Enfin, parmi les étapes-clés de ce projet, l’évaluation des besoins, même a posteriori comme ici, reste indispensable et très précieuse pour les porteurs de projets.

LES MISSIONS DE L'INPES

Placé sous la tutelle du ministère de la Santé, l’Inpes a pour mission :

  • de mettre en oeuvre, pour le compte de l’État et de ses établissements publics, les programmes de santé publique prévus par l’article L1411-6;
  • d’exercer une fonction d’expertise et de conseil en matière de prévention et de promotion de la santé;
  • d’assurer le développement de l’éducation pour la santé sur l’ensemble du territoire;
  • de participer, à la demande du ministre chargé de la santé, à la gestion des situations urgentes ou exceptionnelles ayant des conséquences sanitaires collectives, notamment en participant à la diffusion de messages sanitaires en situation d’urgence;
  • d’établir les programmes de formation à l’éducation à la santé, selon des modalités définies par décret.

La prévention des risques liés à l’environnement constitue un champ nouveau pour l’Inpes, qui a créé ce programme de travail en 2007.


À partir des leçons tirées de cette expérience de transfert de connaissances, quels seraient les 3 conseils que vous donneriez à quelqu'un qui voudrait reproduire votre démarche?

  1. Mener une analyse des besoins en amont pour construire le projet en cohérence avec l'objectif fixé dès son démarrage.
  2. Accorder plus de place à la promotion des actions menées vers les relayeurs d'information pour qu'ils soutiennent le projet et mènent des initiatives vers leurs publics cibles.
  3. Prévoir dès le début du projet son évaluation afin de s'assurer que les objectifs sont atteints. Une actualisation régulière de ce type d'outil est nécessaire pour faire en sorte qu'il réponde toujours au mieux aux attentes des publics cibles et pour mettre en ligne les données le plus à jour possible.