15 octobre 2018

La gestion de la qualité de l’eau des plages : importance de l’approche intégrée pour mieux prévenir les risques à la santé

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Vicky Huppé
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Kelly EA, Feng Z, Gidley ML, Sinigalliano CD, Kumar N, Donahue AG, Reniers AJHM, Solo-Gabriele HM. Effect of beach management policies on recreational water quality. J Environ Manage. 2018, 212 : 266-277.

Mise en contexte

L’été 2018 a été l’une des saisons estivales les plus chaudes jamais connues au Québec (1). Lors de telles chaleurs, la population peut profiter des divers lieux de baignade à leur disposition pour se rafraichir, comme les plages. C’est d’ailleurs l’une des mesures d’adaptation suggérées afin de prévenir les effets sur la santé associés à la chaleur (2). Or, divers effets sur la santé ont été associés à la baignade en milieu naturel, notamment un risque accru de souffrir de symptômes gastro-intestinaux (3, 4). Au Québec, afin de s’assurer de la qualité microbiologique de leur eau, certains exploitants procèdent sur une base volontaire à l’analyse de la qualité de l’eau, notamment par le programme Environnement-Plage, géré par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) (5). Le non-respect des critères microbiologiques établis conduit à la fermeture de la plage, afin de protéger la santé de la population.

De ce fait, le souci d’offrir aux usagers une qualité de l’eau adéquate vient parfois compromettre la disponibilité des lieux de baignade comme mesure d’adaptation à la chaleur pour la population, illustrant l’importance de mettre en place des pratiques de gestion visant à minimiser les risques pour la santé.

Présentation de l’étude

Objectif de l’étude

L’objectif de l’étude de Kelly et al. (2018) était d’évaluer l’association entre les pratiques de gestion des plages et les concentrations d’indicateurs microbiologiques de contamination fécale (IMCF).

Aperçu de la méthode

L’étude a été réalisée dans l’État de la Floride aux États-Unis. Les auteurs ont utilisé une base de données de résultats d’analyse d’IMFC obtenus sur une période de 15 ans, soit de 2000 à 2015. Au final, 185 225 résultats d’entérocoques et 151 000 résultats de coliformes fécaux ont été utilisés pour les analyses.

Un pourcentage de dépassement des IMFC a été calculé, correspondant au rapport entre le nombre d’unités formatrices de colonies (UFC) obtenues lors des échantillonnages et le seuil utilisé pour émettre un avis de fermeture des plages. Pour les coliformes fécaux, plusieurs changements sont survenus au cours de la période d’étude quant aux seuils utilisés pour émettre des avis de fermeture, soit 800 UFC/100 ml pour la période d’août 2000 à juin 2002; 400 UFC/100 ml pour la période de juillet 2002 à juin 2011; abandon des coliformes fécaux après juin 2011. Pour les besoins de l’étude, un seuil de 104 UFC/100 ml a été utilisé pour les entérocoques, alors que celui utilisé pour les coliformes fécaux était de 400 UFC/100 ml. 

Une enquête sur les pratiques de gestion a été réalisée auprès des 316 exploitants de plages répondant aux critères d’inclusion des auteurs. En particulier, chaque site de baignade devait avoir au moins 120 échantillons documentés sur la période de 2000 à 2015. Ces sites de baignade présentaient différentes géomorphologies qui ont été prises en compte dans les analyses. La majorité des plages étaient ouvertes sur la côte (N = 211), suivies de celles situées dans une baie (N = 72), entourées d’un marais (N = 17) et des autres types (N = 16). Les questions adressées dans l’enquête portaient sur différents thèmes, dont l’utilisation humaine, la densité d’animaux (domestiques et sauvages) et leur contrôle, la gestion des déchets, le ramassage des algues, le renouvellement du sable, l’accès à la plage, ainsi que les infrastructures sanitaires et la gestion des eaux pluviales. Au total, 301 exploitants de plage ont transmis leurs réponses à l’équipe de recherche. Pour quatre autres plages, l’équipe de recherche s’est déplacée et a enregistré ses observations. L’enquête a ainsi été complétée pour 305 plages, correspondant à un taux de réponse de 97 %. 

Puisque les différentes pratiques de gestion des plages étaient corrélées, une analyse factorielle a été conduite et a permis de dégager les pratiques de gestion en deux grands facteurs, qui comptaient pour la majorité de la variance. Des analyses de régression linéaire ont ensuite été réalisées sur ces facteurs afin de déterminer lesquels apparaissaient les plus déterminants au regard des dépassements d’IMFC pour les deux indicateurs.

Principaux résultats

Quelques-unes des caractéristiques des plages qui augmentent significativement le pourcentage de dépassement d’entérocoques et de coliformes fécaux sont présentées ci-dessous (sans égard à la géomorphologie de la plage) :

  • L’acceptation des chiens*;
  • La visite d’oiseaux* (les plages non visitées par des oiseaux étant toutefois plutôt rares (N = 3) par rapport à celles visitées [N = 285]);
  • L’absence de politique de gestion des oiseaux, tant au regard de la nuisance que de la conservation;
  • La présence de sans-abri**;
  • La présence de poubelles (bien que celles qui n’en ont pas sont peu nombreuses (N = 5) par rapport à celles qui en ont [N=290]);
  • Le non-renouvellement du sable de la plage*;
  • Le ramassage des algues** (suggérant, selon les auteurs, que le « brassage » des algues augmente les concentrations d’IMFC);
  • L’absence de véhicules d’entretien à la plage*;
  • L’absence de frais d’entrée;
  • L’absence de sauveteurs;
  • La présence d’une marina à proximité;
  • L’absence de gestion des eaux pluviales*;
  • L’absence de toilettes publiques ouvertes toute la nuit (l’absence de toilettes publiques seulement n’était pas significative);
  • L’absence de douches publiques ou d’installations pour se rincer.

*    non significatif pour les coliformes fécaux.
**  significatif pour les coliformes fécaux seulement.

À l’égard de la densité d’animaux particulièrement, les résultats indiquent que le pourcentage de dépassement des entérocoques tend à être plus grand pour les plages où le nombre de chiens ainsi que le nombre d’oiseaux sont plus élevés.

Contrairement à ce qui était attendu, les plages pour lesquelles la densité de visiteurs était élevée avaient un pourcentage de dépassement d’IMFC inférieur par rapport aux plages où les visiteurs sont plus rares. Afin d’éliminer l’influence de la géomorphologie de la plage sur les résultats, les analyses ont également été réalisées pour les plages ouvertes sur la côte seulement, où la densité de visiteurs est rapportée plus élevée en moyenne et les concentrations d’IMFC tendent à être plus faibles. La tendance inverse s’observe, ce qui indique que la géomorphologie de la plage influence l’association entre la densité de visiteurs et le pourcentage de dépassements d’IMFC.

L’analyse factorielle a permis de déterminer les deux facteurs suivants comme étant les plus influents sur la qualité de l’eau des plages : 1) la gestion des eaux pluviales et la densité humaine; 2) la géomorphologie de la plage (ouverte sur la côte, dans une baie, entourée d’un marais), le ramassage des algues et les frais d’accès à la plage. Les deux facteurs expliquaient ensemble environ 30 % des dépassements d’entérocoques. Pour les coliformes fécaux, les deux facteurs expliquaient 15 % de la variation, mais seul le second facteur était significatif.

Discussion et conclusion

Les résultats ont permis de faire ressortir les diverses pratiques de gestion potentiellement liées aux dépassements d’IMFC. Ils viennent ainsi soutenir le concept de gestion durable et intégrée des plages, qui combine les activités de divers secteurs impliqués notamment dans la gestion de la faune, de la qualité de l’eau, des déchets et de l’entretien. Les auteurs notent également que les indicateurs ne sont pas liés aux mêmes sources de contamination, les dépassements de coliformes fécaux étant davantage associés à des sources d’origine humaine, et ceux d’entérocoques liés à des sources animales et environnementales.

Perspectives

Cette étude a été réalisée à partir d’une importante banque de données sur la qualité microbiologique de l’eau pour un nombre considérable de plages. Les auteurs ont tenu compte de nombreuses variables pouvant avoir une influence sur la qualité de l’eau. L’approche novatrice indique l’effet potentiel de plusieurs pratiques de gestion des plages sur la qualité de l’eau, bien que d’autres facteurs susceptibles d’être importants n’aient pas été considérés (p. ex. quantité de précipitations).

La démarche utilisée dans cette étude demeure somme toute intéressante et illustre qu’une multitude de facteurs ont une influence sur la qualité de l’eau des plages, venant ainsi appuyer le concept d’approche à barrières multiples pour la gestion des risques, mise de l’avant par Santé Canada (6) ainsi que d’autres organisations de santé d’importance (7, 8, 9). Dans un contexte où la durée et l’intensité des vagues de chaleur sont susceptibles d’augmenter et où les changements climatiques affecteront la qualité microbiologique de l’eau des plages de diverses façons (p. ex. augmentation du nombre de jours de pluies abondantes, hausse de la température de l’eau, etc. [10]), la mise en place d’une telle gestion intégrée apparaît de plus en plus indispensable afin d’assurer une eau de qualité à la population désirant faire usage de ces lieux de baignade pour se rafraîchir ou pour ses loisirs.

Références

  1. MDDELCC. 2018. Faits saillants. Août 2018 : une chaleur sans précédent en 146 ans dans le sud du Québec. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Repéré à http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/climat/Faits-saillants/2018/aout.htm. Consulté le 26 septembre 2018.

  2. Gouvernement du Québec. 2018. Prévenir les effets de la chaleur. Repéré à https://www.quebec.ca/sante/conseils-et-prevention/sante-et-environnement/prevenir-les-effets-de-la-chaleur-accablante-et-extreme/. Consulté le 11 septembre 2018.

  3. Leonard AFC, Singer A, Ukoumunne OC, Gaze WH, Garside R. 2018. Is it safe to go back in the water? A systematic review and meta-analysis of the risk of acquiring infections from recreational exposure to seawater. Int J Epidemiol. 47:572-586.

  4. Wiedenmann A, Krüger P, Dietz K, López-Pila JM, Szewzyk R, Botzenhart K. 2006. A randomized controlled trial assessing infectious disease risks from bathing in fresh recreational waters in relation to the concentration of Escherichia coli, intestinal enterococci, Clostridium perfringens, and somatic coliphages. Environ Health Perspect. 114:228-236.

  5. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC). Programme Environnement-Plage. Repéré à http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/programmes/env-plage/. Consulté le 7 septembre 2018.

  6. Santé Canada. 2012. Recommandations au sujet de la qualité des eaux utilisées à des fins récréatives au Canada - 3e édition. Ottawa (Ontario), Gouvernement du Canada. 177 p.

  7. Organisation mondiale de la Santé (OMS). 1999. Health-based monitoring of recreational waters: the feasibility of a new approach (the « Annapolis Protocol ») : outcome of an expert consultation, Annapolis, USA. /cosponsored by USEPA. Genève. Organisation mondiale de la Santé. 50 p.

  8. Organisation mondiale de la Santé (OMS). 2003. Guidelines for safe recreational water environments - Volume 1 - Coastal and fresh waters. Genève, Suisse, Organisation mondiale de la Santé. 253 p.

  9. National Health and Medical Research Council (NHMRC). 2008. Guidelines for Managing Risks in Recreational Water. Australian Government. 216 p.

  10. Ouranos. 2015. Vers l’adaptation. Synthèse des connaissances sur les changements climatiques au Québec, Édition 2015. Repéré à https://www.ouranos.ca/publication-scientifique/SyntheseRapportfinal.pdf. Consulté le 13 septembre 2018.