9 février 2011

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et l'ouverture de l'expertise aux parties prenantes

Article
Auteur(s)
Benoit Vergriette
Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail est un établissement public qui a été créé le 1er juillet 2010 par la fusion de deux agences sanitaires françaises : l’Afssa – Agence française de sécurité sanitaire des aliments – et l’Afsset – Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail. En reprenant leurs missions respectives, l’Anses offre une lecture transversale des questions sanitaires et appréhende ainsi, de manière globale, les expositions auxquelles l’Homme peut être soumis, à travers ses modes de vie et de consommation ou les caractéristiques de son environnement, y compris professionnel. En santé humaine, l’Anses intervient dans trois champs : l’alimentation, l’environnement et le travail. Elle a également pour objectif d’évaluer les risques pesant sur la santé animale et végétale. Elle formule, sur la base de ses rapports scientifiques, des avis et recommandations aux pouvoirs publics.

Les domaines d’investigation de l’Agence présentent le plus souvent une double particularité :

  • une forte complexité scientifique résultant du caractère multifactoriel de nombreux risques sanitaires et des conditions de leur émergence;
  • une forte demande sociale de maîtrise et d’anticipation des risques, appuyée sur une exigence croissante de transparence et de participation à l’élaboration des processus de décision (y compris dans l’étape d’expertise scientifique qui y contribue).

Si ces deux particularités, parfois sources de retentissantes polémiques et controverses, sont finalement assez emblématiques des risques sanitaires environnementaux, la manière dont l’Anses tente de les (ré)concilier présente en revanche plus d’originalité. Trois points méritent d’être soulignés à cet égard.

Tout d'abord, les textes fondateurs de l’Agence offrent des possibilités concrètes d’ouverture à ce qu’il est convenu d’appeler les parties prenantes. Le conseil d’administration de l’Anses est composé, outre du président et des représentants du personnel, de cinq collèges associant des représentants de l’État, des acteurs du monde associatif, professionnel et syndical, et des élus. Les droits de vote sont répartis pour moitié entre les membres du collège des représentants de l’État et pour moitié entre les autres membres. Par ailleurs, si la majorité des travaux sont conduits en réponse aux saisines des ministères de tutelles, l’Anses peut également s’autosaisir mais aussi être saisie par les représentants de parties prenantes. Enfin, outre ses activités d’expertise et de recherche, l’Agence a aussi pour vocation de « contribuer à l'information, à la formation et à la diffusion d'une documentation scientifique et technique et au débat public, qu'elle suscite et nourrit ».

Une seconde originalité, issue du processus d’échanges et de réflexion ayant précédé la fusion des deux établissements a été instaurée, bien que ne figurant pas formellement dans les textes. Des comités d’orientation thématiques associant la direction de l’Agence, des membres du conseil d’administration particulièrement compétents sur le domaine traité et des personnalités extérieures très impliquées et/ou emblématiques de tendances de la société civile. Ces comités assistent le conseil d’administration et contribuent à :

  • l’expression des besoins en termes d’évaluation des risques et de référence/recherche;
  • la définition des orientations stratégiques de l’Agence en lui faisant remonter les préoccupations dominantes de la société civile dans son domaine de compétence;
  • la valorisation des travaux de l’Agence auprès des citoyens, et au choix des sujets sur lesquels organiser le débat public.

Quatre comités ont ainsi été mis en place en octobre 2010 : santé environnement, santé-travail, alimentation, santé et bien-être animal. Ils contribuent à la définition des orientations de l’Anses pour ces grandes thématiques et veillent à l’emploi des ressources affectées à chacune.

Enfin, et il s’agit là d’une initiative partagée avec deux autres établissements publics chargés d’évaluation, de recherche et d’expertise (en l’occurrence l’Ineris et l’IRSN), une charte visant à renforcer le dialogue avec les citoyens (dite « charte de l’ouverture de l’expertise ») a été adoptée et mise en œuvre depuis octobre 2008. L’objectif poursuivi par cette charte est d’appliquer les principes de transparence et de participation en prenant en compte les connaissances concrètes et les interrogations des acteurs concernés. Une telle approche est de nature à conduire à une évaluation plus robuste, car plus large. In fine la qualité des décisions susceptibles de découler du processus et leur compréhension par tous les acteurs peuvent s’en trouver améliorées. Cette charte décrit deux catégories d’engagements, lesquelles ont à la fois inspiré les travaux entrepris par l’Agence depuis lors et la mise en place des nouvelles instances de consultation évoquées au point précédent :

  • Ceux à vocation « externe » : « 3 engagements pour améliorer l’évaluation des risques à travers un dialogue renforcé avec la société :
    • Accroître la transparence de nos travaux en rendant publics dès que possible, leur résultat final et les méthodes mises en œuvre pour y parvenir;
    • Mettre en partage les connaissances scientifiques disponibles, mais aussi les incertitudes, les ignorances, les questionnements et les controverses;
    • Accompagner les acteurs de la société dans l’acquisition de compétences nécessaires à leur implication et prendre en compte leur contribution dans le processus d’évaluation. »
  • Ceux à vocation « interne » : « 3 engagements pour mettre en œuvre au sein des organismes l’ouverture à la société :
    • Renforcer la capacité des personnels de nos organismes à dialoguer avec la société, à prendre part à des démarches participatives d’évaluation et à en animer;
    • Identifier les ressources nécessaires à l’implication de la société et les mobiliser en concertation avec les commanditaires de l’expertise;
    • Développer les outils de pilotage internes à la stratégie d’ouverture et rendre compte publiquement des progrès réalisés comme des difficultés rencontrées. »

La dynamique de travail engagée vise donc à satisfaire un juste équilibre entre l’exigence de rigueur scientifique et la réponse à des attentes légitimes des citoyens et des parties prenantes pour une meilleure compréhension et participation au processus de décision. Le bilan de la mise en œuvre de la charte qui doit être conduit en 2011 permettra de mesurer les progrès accomplis et les efforts qui restent à réaliser.

L’exemple de l’expertise radiofréquences en 2009

Compte tenu de la complexité du sujet, des controverses et des polémiques qui se sont déployées sur l’existence d’effets des radiofréquences sur la santé, la conduite du processus d’expertise a attaché une importance particulière aux engagements énoncés dans la charte. Outre l’exhaustivité des publications analysées, plus d’une vingtaine d’auditions ont été réalisées (représentants associatifs, opérateurs de téléphonie, scientifiques de différentes disciplines et écoles de pensée, etc.) dans le but d’éclairer les incertitudes et les différentes dimensions de la controverse. Par souci d’une transparence totale sur la méthode de travail et en réponse au manque de confiance exprimé par certaines associations, un observateur issu du mouvement associatif a suivi l’intégralité des travaux. Une restitution publique de cette expertise a été organisée en présence de l’ensemble des parties prenantes.

Liens illustrant l’utilisation de la Charte de l’ouverture de l’expertise

À partir des leçons tirées de cette expérience de transfert de connaissances, quels seraient les 3 conseils que vous donneriez à quelqu'un qui voudrait reproduire votre démarche?

L’ouverture de l’expertise est une démarche qui s’inscrit dans la durée. Elle doit se fonder sur la confiance et sur une compréhension réciproque du rôle, des missions et des responsabilités de chacun des différents acteurs. Si cette ouverture peut, le cas échéant, contribuer à améliorer ou à préparer l’acceptabilité sociale de certaines décisions publiques, ce n’est pas son objectif. Il ne s’agit pas de gérer au préalable un éventuel risque d’opinion, ce qui serait probablement illusoire et de toute façon hors de portée d’une agence chargée d’expertise scientifique, mais bien d’apporter les éclairages nécessaires à une meilleure instruction des processus d’évaluation.