14 mars 2017

Expositions et mortalité reliées à l’aménagement et au transport urbain : une évaluation des impacts à la santé pour les villes

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Marie-Christine Gervais
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Contexte

Selon les estimations des Nations unies, 70 % de la population mondiale habitera en ville en 2050. Malgré certains bénéfices propres aux villes, dont un accès favorisé aux biens et services ainsi que des interactions sociales facilitées, l’environnement urbain peut engendrer plusieurs effets néfastes sur la santé de la population, que ce soit par l’adoption possible d’un mode de vie sédentaire, une exposition accrue à la pollution atmosphérique, au bruit et à la chaleur, ou un accès limité à un espace vert.

L’étude de Mueller et al. (2017) a pour but d’estimer le nombre de décès qui pourraient être évités si les recommandations internationales associées à certains facteurs de risque étaient respectées. Pour ce faire, le modèle UTOPHIA (Urban and TranspOrt Planning Health Impact Assessment), une évaluation des impacts à la santé développée par les auteurs, a été appliqué à la ville de Barcelone, en Espagne. 

Le cas de Barcelone

La ville de Barcelone compte 1 620 943 habitants répartis sur 101 km2. Le centre le plus densément peuplé de Barcelone peut présenter des températures jusqu’à 8 °C plus élevés que les zones environnantes, représentant un îlot de chaleur important. La pollution atmosphérique et les niveaux de bruit sont aussi parmi les plus hauts en Europe. De plus, les espaces verts sont surtout concentrés du côté ouest de Barcelone, donc seulement 6,8 m2 sont accessibles à chacun des résidents d’après une moyenne calculée à l’échelle de la ville.

Méthodologie

Pour estimer le nombre de décès évitables (mortalité toutes causes) advenant un respect des recommandations internationales, les auteurs de l’évaluation des impacts à la santé ont eu recours à des données recueillies à l’échelle des divisions de recensement en 2012 (n = 1 061 zones à l’étude), de même qu’à des données issues de la littérature scientifique. 

Plus précisément, les données nécessaires au calcul du nombre de décès évitables[1] étaient :

  • les recommandations internationales pour la pratique d’activité physique, l’exposition à la pollution atmosphérique, au bruit et à la chaleur, et l’accessibilité aux espaces verts (voir encadré);
  • les niveaux d’exposition à ces facteurs en 2012 (les données d’exposition ont été obtenues pour les résidents de 20 ans et plus [n = 1 357 361]);
  • les données issues de la littérature scientifique portant sur l’association entre l’exposition à chacun de ces facteurs et la mortalité (sous forme de risques relatifs).

Recommandations internationales pour chacun des facteurs étudiés

Activité physique : les adultes de 18 ans et plus devraient pratiquer chaque semaine 150 minutes d’activité physique d’intensité moyenne ou 75 minutes d’intensité élevée.

Pollution atmosphérique : la moyenne annuelle des concentrations de PM2.5 ne devrait pas dépasser 10 µg/m3.

Bruit : les niveaux de bruit extérieur ne devraient pas excéder 55 dBA de 7 h à 23 h.

Chaleur : malgré l’absence de lignes directrices, l’augmentation de la végétation et de l’albédo urbain de même que la réduction de la circulation motorisée et des surfaces imperméables devraient rafraîchir les villes de 4 °C ou moins en été.

Espaces verts : tous devraient avoir accès à un espace vert (privé ou public) d’au moins 0,5 hectare à moins de 300 mètres linéaires de leur habitation.

Des évaluations supplémentaires ont été réalisées pour évaluer l’impact du suivi des recommandations internationales sur l’espérance de vie et sur les dépenses en santé.

Résultats

Annuellement, 2 904 décès (IC 95 % : 1568; 4098) pourraient être évités si la ville de Barcelone respectait les recommandations internationales. Le tableau 1 montre, selon un ordre décroissant, le nombre de décès potentiellement évitables pour chaque facteur si les niveaux d’exposition de la population à ces derniers atteignaient ceux recommandés.

Tableau 1 Nombre de décès évités dans la population barcelonaise advenant le respect des recommandations internationales pour chacun des facteurs à l’étude

Facteurs à l'étude Nombre de décès évités dans la population
Augmentation de la pratique d'activité physique 1154 décès, IC 95% : 858; 1577
Réduction de la pollution atmosphérique 659 décès, IC 95% : 386; 834
Réduction du bruit lié au transport 599 décès, IC 95% : 0; 1009
Réduction de la chaleur 376 décès, IC 95% : 324; 442
Sommes de tous les facteurs 2904 décès, IC 95% : 1568; 4098

Le respect des recommandations internationales augmenterait aussi l’espérance de vie de près d’une année (360 jours) (IC 95 % : 219; 493) et permettrait des économies de 9,3 milliards d’euros par année (13,02 milliards de dollars canadiens, au 30 janvier 2017) (IC 95 % : 4,9; 13,2).


1 Réduction proportionnelle dans la population de la mortalité qui arriverait si l’exposition à un facteur de risque était réduite pour correspondre à un scénario alternatif idéal (définition adaptée de http://www.who.int/healthinfo/global_burden_disease/metrics_paf/en/).

Discussion

Selon le modèle utilisé, 20 % de tous les décès de causes naturelles qui surviennent chaque année pourraient être évités si les recommandations étaient suivies. Ce résultat est comparable à d’autres évaluations des impacts à la santé ciblant les mêmes facteurs de risque.

La méthodologie adoptée comporte toutefois plusieurs limites décrites par les auteurs, dont certaines sont évoquées ici :

  • Les évidences scientifiques portant sur la mortalité associée à l’activité physique et à la pollution atmosphérique sont considérées plus fortes que pour les autres facteurs de risque parce que davantage d’études ont été menées sur ces problématiques;
  • Les estimations sur les bénéfices des recommandations internationales dépendent du contexte et des caractéristiques des populations ciblées : généraliser ou inférer un lien causal est donc hasardeux;
  • Étant donné que la pollution atmosphérique, le bruit et la chaleur peuvent provenir de la même source (circulation motorisée) et que l’exposition à ces facteurs peut être réduite par l’implantation de mesures visant la végétalisation, certains décès ont pu être comptabilisés plusieurs fois.

La plus grande force de l’étude est son caractère novateur du fait de la considération de plusieurs facteurs ayant des effets sur la santé sur une même échelle spatiale. Des solutions spécifiques visant à diminuer l’exposition à chacun des facteurs étudiés sont aussi décrites dans l’article.

Conclusion

Les auteurs recommandent fortement de considérer les impacts à la santé dans le développement urbain et insistent sur 1) la réduction de la circulation motorisée par la promotion du transport actif et du transport en commun et 2) par la végétalisation. Ces deux facteurs créent des opportunités pour la pratique de l’activité physique et réduisent du même coup la pollution atmosphérique, le bruit et la chaleur.

Référence

  1. Mueller, N., Rojas-Rueda, D., Basagaña, X., Cirach, M., Cole-Hunter, T., Dadvand, P., … Nieuwenhuijsen, M. (2017). Urban and transport planning related exposures and mortality: A health impact assessment for cities. Environmental Health Perspectives, 125(1), 89-96. doi: 10.1289/EHP220
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