21 mai 2019

Enjeux de variabilité et de classification dans les études épidémiologiques utilisant la biosurveillance pour mesurer l’exposition aux contaminants non persistants

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Ce document ne peut donc pas être considéré comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Michelle Gagné
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec

LaKind JS, Idri F, Naiman DQ, Verner MA. Biomonitoring and nonpersistent chemicals-understanding and addressing variability and exposure misclassification. Curr Environ Health Rep. 2019;6(1):16-21.

Mise en contexte

Il est fréquent que les études épidémiologiques portant sur les effets des contaminants environnementaux utilisent la biosurveillance, soit la mesure de ces substances ou de leurs métabolites dans les matrices biologiques, afin de caractériser l’exposition passée ou présente des participants. Pour des raisons de coûts et de logistique, la biosurveillance repose souvent sur la collecte d’un nombre limité d’échantillons biologiques par participant, voire sur un échantillon unique. Dans le cas des dioxines, des furannes ou des pesticides organochlorés qui ont été l’objet des premières études épidémiologiques ayant eu recours à cette approche, le nombre limité d’échantillons n’était pas considéré comme une limite méthodologique importante. En effet, la longue persistance de ces substances dans l’organisme humain, de l’ordre de plusieurs mois ou années, permettait de considérer que l’évaluation de l’exposition à l’aide de cette approche demeurait robuste.

LaKind et al. soulignent toutefois que, dans les dernières années, de plus en plus de contaminants non persistants (c’est-à-dire qui sont éliminés de l’organisme en quelques heures ou jours) sont l’objet d’études effectuant la collecte d’un seul échantillon biologique par participant pour évaluer l’exposition. Les cas des phtalates et du bisphénol A (BPA), pour lesquels 90 % des études recensées reposent sur la collecte d’un échantillon unique issu d’un seul participant, sont donnés en exemple. Malheureusement, ces études présentent des limites importantes dans l’évaluation de l’exposition, en raison notamment de la variabilité intra-individuelle d’origine temporelle, qui s'avère particulièrement importante pour les contaminants non persistants. Par conséquent, leur potentiel à mettre en évidence un lien entre l’exposition et un effet à la santé se voit limité. Par la revue de 37 études épidémiologiques faisant appel à la mesure des métabolites urinaires des contaminants non persistants, LaKind et al. ont entrepris de décrire quelques enjeux clés concernant l’impact de cette variabilité sur l’évaluation de l’exposition. Ils proposent également quelques mesures pour répondre à ces enjeux.

Méthodologie

L’approche de LaKind et al. repose sur l’examen du coefficient de corrélation intra-classe (CCI), lequel est mesurable lorsque des mesures de contaminants dans des échantillons biologiques sont effectuées de manière répétée chez plusieurs individus au sein d’une même étude. Il correspond au rapport (quotient) entre la variance inter-individuelle des concentrations mesurées, divisée par la variance totale de celles-ci (donc qui inclut également la variance intra-individuelle). Le CCI permet d’évaluer la représentativité d’une mesure unique par rapport à l’exposition « réelle » de l’individu chez qui cette mesure est effectuée. Selon les études retenues par les auteurs, une valeur inférieure à 0,4 suggère une faible représentativité d’un échantillon unique. Lorsque le CCI se situe entre 0,4 et 0,75, la représentativité est jugée acceptable, alors qu’elle est jugée excellente lorsque le CCI est supérieur à 0,75. À titre d’exemple, lorsqu’une étude révèle un CCI de 0,5, il a été démontré que la collecte de 2 échantillons par sujet devrait permettre, dans 65 % des cas, de classer adéquatement ce sujet quant à son tertile réel d’exposition. En corollaire, le sujet sera classé de manière erronée, soit dans l’un ou l’autre des 2 autres tertiles d’exposition, 35 % du temps.

Pour une série d’études épidémiologiques publiées dans les 15 dernières années sur divers contaminants non persistants, LaKind et al. ont calculé le CCI pour chaque substance mesurée dans l’urine, et l’ont comparé aux balises mentionnées ci-haut.

Résultats de l'étude

De manière générale, le CCI varie de manière importante selon les contaminants considérés, mais également pour un même contaminant traité dans diverses études. Soixante et un pour cent (61 %) des CCI calculés par LaKind et al. sont inférieurs à 0,4 et seulement 6 % dépassent 0,75. Typiquement, les études portant sur des produits cosmétiques présentaient les CCI les plus élevés, alors que celles concernant les contaminants alimentaires avaient les CCI les plus bas. En raison des importantes variations de CCI entre les études pour un même contaminant, LaKind et al. remettent en question la stratégie méthodologique consistant à se reporter au CCI calculé dans des études précédentes pour justifier la collecte d’un seul échantillon urinaire par sujet dans une étude à venir. Par ailleurs, même dans le cas de CCI se situant entre 0,5 et 0,6, les risques de mauvaise classification de l’exposition seraient importants si l’effet suspecté du contaminant étudié est associé à une fenêtre de susceptibilité (voir encadré) qui est distante, dans le temps, de la période de collecte des échantillons biologiques. LaKind et al. discutent également des opinions scientifiques exprimées par d’autres auteurs concernant le nombre « suffisant » de mesures individuelles et le type d’échantillons collectés, qu’il est nécessaire d’effectuer pour obtenir un portrait adéquat de l’exposition aux contaminants non persistants. Ainsi, même une collecte urinaire de 24 heures ne serait pas suffisante. Dans certains cas, et pour des contaminants présentant un CCI élevé de 0,6, un minimum de 6 échantillons ponctuels serait quand même requis.

Une fenêtre de susceptibilité renvoie au concept de périodes de la vie durant lesquelles les systèmes physiologiques sont encore au stade de développement (p. ex. : stade fœtal, petite enfance), ce qui leur confère une immaturité résultant en une vulnérabilité accrue aux effets délétères possibles de contaminants chimiques, ou encore physiques (p. ex. : radiation ionisante).

Conclusion

LaKind et al. concluent à la nécessité de colliger des échantillons biologiques multiples chez des individus pour être en mesure d’estimer adéquatement l’exposition aux contaminants non persistants. Des recherches devraient toutefois être menées afin de raffiner les méthodes d’estimation du nombre d’échantillons requis pour un contaminant donné. Dans le cas des contaminants présentant un CCI faible, ce nombre pourrait être difficilement atteignable. Il est alors fortement suggéré de faire appel à des méthodes complémentaires d’évaluation de l’exposition, en plus de la biosurveillance. Les auteurs terminent en appelant les organismes subventionnaires à augmenter les ressources disponibles afin d’obtenir des évaluations adéquates de l’exposition aux contaminants non persistants, à défaut de quoi la quantité de preuves contradictoires et ininterprétables portant sur les effets à la santé de tels contaminants est appelée à augmenter sans que des données probantes ne puissent en résulter.

Commentaires sur l'article

Cet article est particulièrement bien écrit, concis et facile à suivre. Il soulève une question très importante et pertinente dans le contexte où les autorités de santé publique sont de plus en plus appelées à émettre des avis et des recommandations sur la base d’études épidémiologiques portant sur les risques à la santé des contaminants non persistants. Le principal bémol pouvant être attribué à cet article est que la méthode de recherche documentaire des études épidémiologiques que les auteurs ont analysée n’est pas bien décrite. Par ailleurs, il est bon de rappeler que la présente étude porte sur le cas précis de l’évaluation de l’exposition individuelle de participants dans des études épidémiologiques. Le contexte est donc différent de celui des grandes enquêtes de biosurveillance (p. ex. l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé [ECMS]), au sein desquelles des mesures ponctuelles sont effectuées chez des milliers de participants dans la perspective d’établir le portrait de l’exposition de grandes populations.