29 septembre 2014

La biosurveillance des contaminants environnementaux au Québec : portrait, constats et recommandations pour l’implantation d’actions concertées

Article
Auteur(s)
Michelle Gagné
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

À la mémoire d’Éric Dewailly.

Mise en contexte

Au cours des dernières décennies, de nombreuses études ayant recours à la biosurveillance ont été réalisées au Québec, principalement à petite échelle. Toutefois, les données extraites de ces études sont difficiles à comparer, notamment à cause du manque d’uniformité entre les méthodologies analytiques employées. Or, le Programme national de santé publique (PNSP) du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) souligne l’importance de la surveillance de l’état de santé de la population et désigne la santé environnementale comme étant un domaine d’intervention prioritaire. En particulier, le PNSP déplore le manque de connaissances sur l’exposition des Québécois aux contaminants environnementaux et sur le lien entre cette exposition et certains problèmes de santé (MSSS, 2003, mise à jour 2008). La biosurveillance peut contribuer significativement à caractériser cette exposition.

La biosurveillance humaine, ainsi que son synonyme surveillance biologique ou son équivalent anglais biomonitoring, désigne la mesure de contaminants (ou de leurs métabolites) dans des échantillons de matrices biologiques humaines, comme le sang ou l’urine (Fréry et al., 2010; Sepai, 2008; Smith et Do, 2008). Dans le présent article, le terme biosurveillance désigne toute activité en ce sens, peu importe le devis, la portée et les objectifs poursuivis par de telles mesures. Ainsi, bien que le mot surveillance soit compris dans le terme, spécifions que la biosurveillance au sens entendu ici n’implique pas nécessairement la notion de suivi dans le temps, contrairement à la surveillance en santé publique en général.

Dans ce contexte, il est apparu pertinent pour l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) de réfléchir à la mise en place d’une stratégie qui permettrait une approche québécoise plus cohérente et plus concertée en biosurveillance. À cette fin, un portrait de la situation au Québec a été réalisé, suivi d’une analyse des besoins, des ressources et des opportunités dans le domaine. L’ensemble des éléments recueillis dans le cadre de ce projet a permis d’établir des constats généraux et de formuler des recommandations visant à favoriser la mise en place d’une telle stratégie.

Le présent article constitue une synthèse sommaire des principaux éléments mis en lumière à l’occasion des travaux menés par l’INSPQ dans le cadre d’un projet d’innovation scientifique organisationnelle, initiés en 2011 et complétés au printemps 2014. Après un bref rappel des concepts de base et des enjeux associés à la biosurveillance, l’accent est mis sur le compte-rendu des efforts québécois en la matière, plus particulièrement sur le recensement des études réalisées dans la province et sur les besoins du réseau exprimés lors d’une consultation menée auprès des intervenants des Directions régionales de santé publique (DSP). Les principales recommandations relatives à la mise sur pied éventuelle d’une stratégie concertée de biosurveillance au Québec sont ensuite formulées sur la base des constats établis (INSPQ, 2014).

La biosurveillance pour estimer l'exposition de la population aux contaminants environnementaux

Notions de base

Initialement, la biosurveillance était principalement utilisée en milieu de travail. Toutefois, l’amélioration des techniques de laboratoire et l’abaissement des limites de détection ont rendu possible l’utilisation de la biosurveillance dans les contextes d’exposition environnementale (Angerer et al., 2007; National Research Council – NRC –, 2006). Les méthodes actuelles permettent l’analyse de dizaines, voire de centaines de contaminants, auxquels les individus sont exposés par l’intermédiaire de l’alimentation, de l’eau, de l’air et d’autres milieux (Paustenbach et Galbraith, 2006).

La biosurveillance fournit les bases scientifiques nécessaires à la compréhension, la diminution et la prévention de l’exposition des populations aux contaminants présents dans l’environnement (Morello-Frosch et al., 2009). Elle ne remplace pas les mesures environnementales, mais ces deux méthodes se complètent afin d’évaluer le plus précisément possible l’exposition réelle des individus (Angerer et al., 2007). Cette évaluation est un préalable essentiel à toute intervention de santé publique visant l’analyse et la réduction des risques potentiels de nature toxicologique au sein de la population. Dans l’évaluation du risque, l’étape de l’estimation de l’exposition est essentielle, car elle permet de s’assurer que l’exposition n’excède pas les valeurs toxicologiques de référence (VTR), lesquelles correspondent à des expositions maximales jugées sécuritaires (Hays et al., 2007; NRC, 2006). Dans le cas de la biosurveillance, la dose n’est pas estimée à partir de scénarios d’exposition élaborés à partir de concentrations, de fréquences et de voies d’exposition, mais plutôt à partir de mesures internes d’entités chimiques (substances mères, métabolites, ou altérations structurelles). Ainsi, pour autant qu’il soit possible de traduire les mesures effectuées en doses totales d’exposition (« doses internes »), notamment sur la base des connaissances de la toxicocinétique des substances, la biosurveillance diminue l’incertitude, puisque les concentrations mesurées dans les matrices biologiques sont des indicateurs de l’exposition globale intégrant toutes les sources, les voies et les fréquences d’exposition (Hays et al., 2007). La figure 1 situe la biosurveillance au sein du continuum exposition-effet.

Figure 1 - La biosurveillance et le continuum exposition-effet

La biosurveillance et le continuum exposition-effet

De plus en plus d’activités de biosurveillance sont menées dans le monde par des scientifiques et des agences gouvernementales (Morello-Frosch et al., 2009). Ces activités peuvent couvrir des populations restreintes et ciblées ou encore prendre la forme d’enquêtes qui se déploient à grande échelle et qui étudient la population générale pour en mesurer les niveaux d’imprégnation aux substances chimiques (aussi appelées études de bruit de fond). Les grandes enquêtes impliquent des coûts importants et une logistique complexe. Pour ces raisons, elles ne sont réalisées à ce jour que dans un nombre relativement restreint de pays, dont les États-Unis (étude NHANES, [NRC, 2006]), l’Allemagne (étude GerES, [UmweltBudesAmt - UBA -, 2008]) et le Canada (étude ECMS, [Santé Canada, 2010b]). Les études sur des populations restreintes et ciblées sont plus courantes, car elles permettent de documenter certaines problématiques propres à ces populations, que ce soit concernant des contaminants précis ou des niveaux d’imprégnation (Santé Canada, 2009).

Les études de biosurveillance peuvent être réalisées pour l’atteinte de divers objectifs (Santé Canada, 2010b; Smith et Do, 2008; Paustenbach et Galbraith, 2006) :

  • La documentation des niveaux d’imprégnation de base dans une population et, le cas échéant, le nombre d’individus avec des concentrations supérieures à des seuils préétablis (ex. : plombémie > 10 mg/dl de sang). Ces fréquences peuvent être comparées avec celles d’autres pays.
  • L’évaluation de l’efficacité d’intervention de santé publique ou l’orientation d’actions de gestion (ex. : application de nouvelles réglementations, sensibilisation, etc.).
  • L’identification et le suivi de tendances temporelles, tant quantitative (« l’exposition de la population change-t-elle avec le temps? ») que qualitative (« de nouveaux contaminants font-ils leur apparition dans le profil d’exposition de la population? »). La biosurveillance permet alors de donner un signal d’alerte précoce.
  • L’identification des variations géographiques des niveaux d’imprégnation des populations.
  • L’identification des populations à risque d’imprégnation en raison de leur âge (ex. : enfants, aînés) ou de leur situation géographique (ex. : résidants de zones industrielles).
  • L’identification des contaminants d’intérêt et l’établissement des priorités d’intervention ou de recherche en lien avec l’exposition humaine aux contaminants de l’environnement.

Principaux enjeux relatifs à la tenue d’études de biosurveillance

La réalisation d’une étude de biosurveillance, quel que soit son type, soulève invariablement des enjeux de natures diverses. Ceux rencontrés de manière pratiquement universelle sont l’élaboration de critères de sélections des contaminants visés, le choix des biomarqueurs et des matrices biologiques associés, l’interprétation et la communication des résultats, ainsi que les considérations éthiques.

Sélections des contaminants, des biomarqueurs et des matrices étudiés

Les contaminants qui sont retenus dans le cadre d’une étude de biosurveillance dépendent principalement de la portée de celle-ci. Par exemple, un projet local porte généralement sur un nombre restreint de contaminants, puisqu’il tente de répondre à une question qui s’inscrit dans un contexte précis. Le choix des biomarqueurs et des matrices est alors fait de manière directe, c’est-à-dire qu’ils sont retenus en fonction de la problématique environnementale en question (Smolders et al., 2008). Par contre, la sélection des contaminants se fait de façon très différente lors de l’élaboration d’enquêtes qui visent à fournir un portrait plus global de l’exposition des populations. Ces dernières s’intéressent généralement à un plus grand nombre de substances et, bien que le perfectionnement des méthodes permette la détection d’un nombre grandissant de contaminants, le volume des échantillons prélevés peut limiter le nombre d’analyses (Smolders et al., 2008). Il s’avère donc nécessaire de bien sélectionner ou de prioriser les substances à l’étude et, dans ce sens, les organismes responsables de la biosurveillance établissent certains critères. Parmi eux, les plus fondamentaux sont que la substance doit présenter le potentiel de causer des effets sur la santé (soupçonnés ou avérés) et la possibilité que la population générale, ou des sous-groupes de celle-ci, y soient exposés. Les autres critères s’articulent autour de la faisabilité analytique, de l’adéquation avec d’autres études, de la perception sociale à l’égard d’une substance et de la faisabilité d’interprétation des résultats (Vandentorren, S. – InVS, communication personnelle, 2011; Statistique Canada, 2010a).

Pour chacune des substances qui seront analysées dans le cadre d’études de biosurveillance, un biomarqueur et une matrice biologique doivent être sélectionnés. Le meilleur biomarqueur d’une substance (d’exposition, d’effet ou de susceptibilité, voir figure 1) est déterminé selon sa sensibilité, sa spécificité, sa pertinence biologique, ses caractéristiques toxicocinétiques et la faisabilité de son analyse (NRC, 2006; Metcalf et Orloff, 2004; Centers for Disease Control and Prevention – CDC –, 2011; Santé Canada, 2010a). En effet, il est nécessaire d’avoir des méthodes analytiques sensibles, c’est-à-dire susceptibles de détecter de faibles concentrations de biomarqueurs dans les matrices biologiques. Autant que possible, un biomarqueur associé spécifiquement à l’exposition à une substance précise sera retenu. Finalement, sa demi-vie sera aussi prise en considération selon le type d’exposition à évaluer, les métabolites aux courtes demi-vies ne pouvant refléter que des expositions récentes (heures, jours), alors que ceux aux demi-vies plus longues reflètent des expositions pouvant remonter à une période plus lointaine dans le temps.

Selon la nature du biomarqueur et de sa cinétique, la matrice biologique à échantillonner sera déterminée (tableau 1). Le sang et l’urine sont les matrices biologiques de prédilection, bien que d’autres tissus puissent aussi être visés (ex. : lait maternel, cheveux, ongles, etc. [Santé Canada, 2009]). L’usage de méthodes d’échantillonnage non invasives sera favorisé dans la mesure du possible. De plus, le coût analytique est une considération majeure lors de l’élaboration du devis de recherche, car des analyses dispendieuses limiteront le nombre de participants ou d’échantillons d’une étude donnée, avec l’impact conséquent sur la puissance statistique de l’étude et son potentiel interprétatif (InVs, 2012).

Tableau 1 - Matrices biologiques utilisées dans les études de biosurveillance

Matrices biologiques utilisées dans les études de biosurveillance

Défis relatifs à l’interprétation et à la communication des données de biosurveillance

Quoiqu’elle soit utile et en plein essor, la biosurveillance apporte son lot de défis en matière d’interprétation. En effet, les techniques analytiques permettent la détection de concentrations de plus en plus faibles de contaminants, mais la capacité à interpréter ces résultats en ce qui a trait aux risques sanitaires n’évolue pas aussi rapidement (Paustenbach et Galbraith, 2006). Ce décalage est à l’origine de questions importantes et d’avenues de recherche pertinentes, notamment en ce qui a trait aux deux approches générales utilisées pour interpréter des mesures biologiques de contaminants, à savoir l’approche descriptive et l’approche fondée sur le risque ou risk-based (Santé Canada, 2010a; NRC, 2006). La première cherche à vérifier comment se comparent les résultats obtenus dans une étude particulière par rapport aux concentrations de contaminants retrouvés dans la population générale (NRC, 2006). L’approche fondée sur le risque quant à elle vise à vérifier si les expositions estimées à partir des résultats de biosurveillance représentent un risque pour la santé. L’interprétation des résultats dépend dans ce dernier cas des connaissances très variables, d’une substance à l’autre, en matière de toxicité et de comportement cinétique dans l’organisme humain. Parmi les outils permettant une telle interprétation, on note les valeurs de biosurveillance humaine (human biomonitoring values ou valeurs HBM) de l’Agence fédérale allemande de l’environnement (UBA) et les équivalents de biosurveillance (Biomonitoring Equivalent ou BE) déterminés pour Santé Canada (Angerer et al., 2011).

L’enjeu de la communication des résultats d’une étude de biosurveillance à la population et aux sujets concernés est intimement lié à celui de leur interprétation. Ainsi, des organismes préféreront ne divulguer aucune donnée individuelle, jugeant que leur interprétation en est trop complexe. Ils soutiennent que, quand bien même les participants souhaiteraient savoir s’ils sont « en santé », les études de biosurveillance n’ont pas comme objectif de répondre à cette question (Foster et Agzarian, 2007). Au contraire, d’autres choisiront de communiquer l’ensemble des résultats, en les accompagnant de renseignements sur les incertitudes et la nature exploratoire de la biosurveillance. C’est cette dernière stratégie de communication qui est préconisée notamment en Belgique, dans le cadre du programme flamand de biosurveillance (Den Hond, 2009). Finalement, certains organismes et chercheurs favorisent une option intermédiaire, soit la divulgation partielle des résultats. En ce sens, Foster et Agzarian (2007) proposent que seuls les résultats interprétables en termes de risques pour la santé soient divulgués aux participants. Les contaminants seraient ainsi divisés en deux catégories : ceux pour lesquels les liens entre l’exposition à de faibles concentrations et les effets sur la santé humaine sont bien documentés et ceux pour lesquels de tels renseignements sont inconnus ou incomplets.

Enjeux éthiques associés aux activités de biosurveillance

Enfin, les enjeux éthiques associés aux études de biosurveillance découlent de conflits entre les objectifs de telles études et les quatre principes éthiques que sont l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice. La responsabilité éthique de l’investigateur est donc de maximiser les bénéfices pour la santé publique et de minimiser les préjudices pour les participants (Morello-Frosch et al., 2009). Plusieurs aspects relatifs aux études de biosurveillance demandent une attention éthique particulière : les processus de recrutement et de consentement des participants, en particulier des sujets d’âge mineur, le prélèvement d’échantillons biologiques et la constitution de biobanques, sans oublier la protection des renseignements personnels et la confidentialité des résultats (Reis et al., 2008; Day et al., 2007). La problématique de la communication des résultats individuels aux participants est largement soulevée dans la littérature (Foster et Agzarian, 2007; Morello-Frosch et al., 2009; Paustenbach et Galbraith, 2006). Elle oppose l’autonomie à la bienfaisance et à la non-malfaisance (Harisson, 2008). Du point de vue de l’autonomie, le participant a le droit de connaitre ses résultats puisque les renseignements le concernant pourraient contribuer à ce qu’il puisse prendre des moyens pour diminuer son exposition. Toutefois, si les résultats ne sont pas accompagnés d’une interprétation satisfaisante, ils peuvent générer du stress, de l’angoisse ou de la frustration, des impacts psychologiques considérés comme de la malfaisance (Morello-Frosch et al., 2009).

Portrait de la biosurveillance en contexte québécois

Pour établir le portrait de la biosurveillance au Québec, deux approches ont été suivies. La première a consisté en une revue de la littérature scientifique et grise concernant les études menées au Québec et ailleurs dans le monde dans les 30 dernières années. La seconde comportait une série de consultations menées auprès des intervenants de santé environnementale au Québec, tant des DSP que de l’INSPQ et du MSSS.

Le recensement des études québécoises de biosurveillance

La revue de littérature avait pour objectifs de déterminer les principales activités de biosurveillance au Québec et de recenser les études comportant des mesures de contaminants environnementaux dans des matrices biologiques depuis les 30 dernières années.

La méthodologie retenue a consisté en une revue des publications scientifiques et de la littérature grise (documents produits par différents organismes, gouvernements, universités et publiés dans des formats imprimés ou électroniques). Pour ce faire, les sites de recherche documentaire PubMed et Proquest ont été interrogés à l’aide d’une liste de mots-clés pertinents. Une liste d’auteurs a également été établie et utilisée dans les moteurs de recherche Santécom (combinant les bibliothèques de l’INSPQ et des DSP de Montréal et de Québec) et Search 360 (recherche simultanée dans plusieurs bases de données telles Pubmed, OvidSP, Repère, etc.). Des critères d’inclusion (ex. : études utilisant des matrices biologiques pour mesurer l’exposition à des contaminants environnementaux de la population québécoise; publiées à partir de 1980) et d’exclusion (ex : étude en milieu de travail) ont ensuite été déterminés et appliqués aux résultats de la recherche bibliographique afin de conserver uniquement les publications pertinentes (INSPQ, 2014).

L’expérience en biosurveillance au Québec est significative, comme en témoigne le recensement de la littérature. Au total, 157 publications ont ainsi été identifiées. Il faut noter qu’une même étude de biosurveillance peut avoir fait l’objet de plusieurs publications, soit des articles scientifiques ou de la littérature grise. Pour ce qui est de cette dernière, les documents sont généralement des rapports produits par un organisme de santé publique et, quelquefois, par des universitaires (ex. : thèse de doctorat) ou des organismes gouvernementaux. L’ensemble des études recensées a été pris en charge par la santé publique (n=44) ou par d’autres organisations (universitaires ou gouvernementales; n=113).

La figure 2 démontre que la biosurveillance est utilisée davantage depuis le début des années 1990. Les études portaient alors majoritairement sur les métaux. Par exemple, 8 des 10 études publiées en 1992 par la santé publique portaient sur l’exposition de populations locales au plomb ou à l’arsenic. Les polluants organiques persistants, les HAP et les pesticides ont aussi fait l’objet d’une fraction importante des publications recensées.

Parmi celles-ci, un total de 101 publications portent sur des mesures d’imprégnation de type bruit de fond chez diverses populations et 56 consistent en des mesures effectuées chez des populations potentiellement surexposées en raison de la présence de sources de contamination particulières, comme la présence d’une industrie ou de sols contaminés, ou d’habitudes de vie particulière comme la pêche. Ces études sont désignées comme des points chauds (figure 3). Cet écart est presque exclusivement dû aux articles scientifiques portant sur le sujet (n=85; figure 3A). Les études de santé publique découlent généralement de préoccupations sanitaires par rapport à la présence d’une source ponctuelle de pollution sur le territoire concerné (figure 3A, 3B).

Figure 2 - Nombre d’études publiées par la santé publique (noir) ou d’autres organismes (blanc) dans lesquelles  sont rapportées des données de biosurveillance, selon l’année de publication.

Nombre d’études publiées par la santé publique (noir) ou d’autres organismes (blanc) dans lesquelles  sont rapportées des données de biosurveillance, selon l’année de publication

Figure 3  - Nombre d’études de biosurveillance publiée depuis 1980 par la santé publique (noir) ou d’autres organismes (blanc), dans lesquelles sont rapportés des données de type bruit de fond (A) ou point chaud (B)

Nombre d’études de biosurveillance publiée depuis 1980 par la santé                      publique (noir) ou d’autres organismes (blanc), dans lesquelles sont                      rapportés des données de type bruit de fond (A) ou point chaud (B)

La revue de littérature a également permis de déterminer quels contaminants et quels sous-groupes de la population ont été étudiés au Québec. Bien que la majorité des études de type bruit de fond tant chez les Caucasiens que chez les Autochtones ont porté sur les adultes, l’imprégnation des enfants et des nouveau-nés a également été documentée (tableau 2). Dans ces cas, les contaminants investigués sont généralement les métaux et les POPs, alors que les contaminants moins persistants sont dans l’ensemble moins étudiés. Pour ce qui est des études de type point chaud (tableau 3), les Caucasiens ont fait l’objet d’un nombre plus élevé d’études par rapport aux Autochtones. Dans les deux cas, les populations adultes ont été davantage étudiées par rapport aux enfants et aux nouveau-nés. L’ensemble de la revue de la littérature a révélé que peu ou pas d’études ont documenté l’exposition des adolescents et des aînés aux contaminants environnementaux.

Tableau 2 - Études de type bruit de fond

Études de type bruit de fond

Tableau 3 - Études de type points chauds

Études de type points chauds

Lorsqu’on analyse les publications selon les régions où les études ont été menées, il ressort clairement de cela que certains territoires ont été plus étudiés que d’autres au cours des 30 dernières années (données non présentées). C’est le cas du Nunavik, dont les 43 publications sont exclusivement des études de bruit de fond et dont les résultats ont été majoritairement publiés dans des revues scientifiques. Au contraire, c’est la santé publique qui a caractérisé les situations particulières d’exposition dans les régions de l’Abitibi-Témiscamingue et de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine.

L’usage de la biosurveillance par la santé publique au Québec a permis l’atteinte d’objectifs divers. Des études menées par les DSP ont pu, par exemple, mesurer l’impact d’interventions ciblées. Par exemple, une diminution de la plombémie des enfants a été observée à la suite de la mise en place d’un programme de décontamination des sols en Abitibi et en Montérégie (Gagné, 1995; Goulet et al., 1992). C’est aussi la biosurveillance qui a permis d’identifier des populations à risque d’une surexposition à l’arsenic en Abitibi lors d’une étude sur la consommation de l’eau de puits (Poissant, 1998). Des tendances géographiques ont également été documentées, mettant en évidence des niveaux élevés d’organochlorés dans le lait maternel des femmes inuites (Dewailly et al., 1991) par rapport aux Québécoises du sud de la province. La tendance temporelle de l’exposition des femmes autochtones a d’ailleurs été documentée grâce à la comparaison de deux études (Santé Québec, 1994; Dewailly et al., 2005). Finalement, l’imprégnation de base d’un échantillon de la population de la région de Québec à de nombreux contaminants a été déterminée dans le cadre d’une étude sur les donneurs de sang (INSPQ, 2003). La diversité des objectifs et du nombre des études recensées démontre bien que les connaissances en biosurveillance sont à la fois utiles aux actions de santé publique et aux chercheurs.

Le récent rapport de l’INSPQ propose à cet effet davantage de détails sur les contaminants et les populations sur lesquelles les études ont porté ou encore sur les régions où elles ont été menées (INSPQ, 2014).

L’expérience et les besoins des intervenants de santé environnementale en matière de biosurveillance

Une consultation a été effectuée par l’INSPQ auprès des intervenants des équipes de santé environnementale des DSP afin de mesurer l’intérêt, de cerner les enjeux et de recueillir l’opinion des régions en matière de biosurveillance. C’est ainsi que quinze des dix-huit régions initialement approchées ont été interrogées au moyen d’un questionnaire et d’une entrevue téléphonique au courant de l’été 2011. Dans un premier temps, les intervenants étaient invités à discuter de l’expérience de leurs institutions en matière de biosurveillance, afin d’identifier les déterminants qui favorisent la tenue de telles études et les difficultés qui peuvent survenir. Les deux tiers (10/15) des régions consultées avaient participé à des études. Pour les autres, il semble que le besoin ne s’est jamais manifesté ou qu’un manque de ressources financières et humaines n’a pas permis la tenue de telles études.

La réalisation d’études de biosurveillance par les autorités régionales de santé publique a généralement été le fruit d’une demande d’une autre institution, soit le ministère québécois responsable de l’environnement, Santé Canada ou encore l’INSPQ. D’ailleurs, l’INSPQ a collaboré à la plupart de ces projets, principalement par le soutien analytique du Centre de Toxicologie du Québec ou, à l’occasion, dans l’élaboration du devis et l’interprétation des données. D’autres projets ont aussi été réalisés dans le cadre de recherches universitaires, lorsqu’elles correspondaient à un intérêt et à une volonté de la région. À cet effet, il est impératif pour les intervenants interrogés qu’un projet suscite l’intérêt de la DSP pour assurer sa réussite. De plus, il semble essentiel d’établir dès le début une bonne communication entre les acteurs et partenaires du projet (infirmières, CLSC, regroupements de citoyens, organisations, etc.).

Les intervenants régionaux ont identifié quelques difficultés d’ordre logistique, technique et organisationnelle qui sont rencontrées lors de la planification et de la tenue d’études. Bien que les problèmes varient selon les régions et les projets, ils se regroupent autour de quelques thématiques précises : le recrutement (ex. : attrition des participants, désintéressement des populations chez qui le nombre d’études est élevé), le financement (ex. : recherche de subvention peut retarder la tenue d’un projet, le coût des analyses de laboratoire sont élevés), la collaboration interinstitutionnelle (ex. : intérêts parfois divergents entre les partenaires), les comités d’éthique (ex. : démarches laborieuses), la gestion des retombées (ex. : crainte de soulever des problématiques difficiles à gérer ou d’obtenir des résultats différents de ceux attendus et entraîner de l’insatisfaction chez les citoyens). Parmi les autres difficultés, celles reliées à l’interprétation et à la communication des résultats apparaissent comme importantes. En effet, le manque de connaissance sur le lien entre les concentrations mesurées dans les matrices biologiques et le risque correspondant d’impacts sur la santé entraîne des défis lors de la communication aux participants et peut avoir des effets anxiogènes. Toutefois, selon eux, le manque d’outils d’interprétation ne devrait pas être un frein à la réalisation d’études de biosurveillance.

Constats et arguments en faveur d'une stratégie de biosurveillance

Pertinence de la biosurveillance comme outil de santé publique au Québec

La biosurveillance constitue un outil pertinent dans l’exercice de la santé publique comme en témoigne son utilisation répandue dans diverses parties du monde. L’intérêt marqué des autorités sanitaires et des chercheurs universitaires pour la biosurveillance s’explique par le fait qu’elle peut répondre à leurs besoins de documenter l’exposition des populations aux contaminants environnementaux. En effet, la biosurveillance constitue aussi un outil de diagnostic et de validation des interventions en santé publique en matière d’exposition aux contaminants chimiques. À ce titre, elle contribue à documenter de manière plus réaliste cette exposition, avec pour conséquence directe une diminution des incertitudes à l’égard de l’évaluation des risques associés.

Au Québec, l’intérêt pour la biosurveillance est bien réel. Il se révèle par le nombre d’études s’étant penchées sur l’exposition de la population (ou du moins de sous-groupes), par le nombre significatif de biobanques ayant été mises sur pied et par l’enthousiasme manifesté par plusieurs intervenants au cours des consultations. Toutefois, bien qu’il existe des données sur l’exposition de sous-groupes de la population québécoise aux contaminants environnementaux, le portrait s’avère incomplet et ne peut que difficilement être considéré comme représentatif de l’exposition de l’ensemble de la population québécoise. En effet, les différences méthodologiques et analytiques limitent sérieusement la possibilité d’effectuer des comparaisons entre les résultats des études menées à divers moments. En conséquence, il est impossible d’évaluer les risques sanitaires que ces expositions peuvent représenter à l’échelle québécoise. Il est aussi difficile de déterminer les substances prioritaires d’un point de vue de la santé publique et de mettre sur pied des politiques favorisant la réduction de la contamination environnementale et la prévention des risques à la santé y étant associés.

Un certain manque de connaissance limite le recours à la biosurveillance comme outil en appui aux actions de santé publique. Les difficultés reliées à l’interprétation des résultats de biosurveillance à l’échelle individuelle ou populationnelle, le caractère invasif de l’échantillonnage de certaines matrices biologiques et le coût élevé des analyses sont le plus souvent soulignés dans la littérature ou par les intervenants interrogés comme représentant un frein à l’utilisation de la biosurveillance. L’interprétation des résultats de biosurveillance est un véritable défi, que ce soit en ce qui concerne les risques pour la santé ou même de comparaison avec des valeurs dites « de référence » pour une population donnée. Dans ce dernier cas, il importe de souligner une certaine confusion qui découle de l’usage du vocable « de référence » au sein des deux approches d’interprétation de mesures biologiques. Ainsi, les valeurs « de référence » auxquelles on se réfère dans l’approche descriptive consistent en des valeurs normales, moyennes, médianes, etc. mesurées dans une population donnée. En contrepartie, les valeurs « de référence » utilisées dans l’approche basée sur le risque réfèrent à des doses d’exposition non pas mesurées dans une population, mais bien déterminée suivant une approche d’évaluation de risque (« risk assessment » en anglais) afin de s’assurer que les individus les plus sensibles d’une population ne verront pas leur santé menacée s’ils sont exposés à des doses pouvant aller jusqu’à ces valeurs. Puisque les difficultés d’interprétation constituent un enjeu important dans la pratique des intervenants régionaux, il est proposé ici de statuer clairement à laquelle des deux notions on se réfère. Nous proposons ici d’utiliser éventuellement le vocable « valeur de comparaison » dans le cas de l’approche descriptive afin d’éviter toute confusion à ce sujet.

Une expertise et des structures disponibles au sein du réseau de la santé

Au cours des 30 dernières années, le Québec s’est doté d’une expertise appréciable en biosurveillance, notamment par l’entremise de l’INSPQ et de son Laboratoire de toxicologie, lequel détient des compétences en toxicologie analytique qui sont reconnues mondialement. L’expertise en matière de biosurveillance se retrouve également au sein de certaines DSP qui ont mené des études de biosurveillance. Toutefois, cette expertise n’est pas également répartie dans le réseau de la santé publique. Alors que les professionnels qui ont de l’expérience dans le domaine de la biosurveillance envisagent généralement avec enthousiasme le développement d’une stratégie concertée, ceux qui connaissent peu la biosurveillance sont moins enclins à intégrer cette approche à leur pratique.

Le potentiel québécois en matière de biosurveillance réside, entre autres, dans l’existence de diverses structures facilitantes qui pourraient être mises à profit. Ces ressources sont de trois types, soit les renseignements contenus dans des bases de données, les échantillons de biobanques ou encore les études ou les enquêtes en cours.

Les renseignements contenus dans des bases de données existantes représentent le moins dispendieux, mais aussi le moins flexible, des moyens indiqués ci-dessus. En effet, au moment de la consultation des bases de données, les données sont déjà colligées selon un protocole terminé et donc non modifiable. Ainsi, à partir de données de biosurveillance déjà compilées lors des enquêtes canadiennes par exemple, celles concernant les participants québécois pourraient être extraites et soumises à des analyses statistiques complémentaires, pour autant qu’elles touchent des contaminants pour lesquels l’échantillonnage consulté demeure représentatif.

L’utilisation des biobanques constitue un choix avantageux, puisqu’elles permettent la réalisation d’analyses supplémentaires sur des échantillons déjà prélevés et stockés afin de répondre à certaines problématiques sanitaires ou à des questions de recherche précises. Toutefois, ces approches nécessitent la soumission des projets d’études aux responsables de la biobanque. Ces derniers doivent s’assurer du respect des critères éthiques et de la pertinence de la demande dans le contexte des objectifs poursuivis par l’étude étant à l’origine de la biobanque. De plus, certaines limites associées à l’utilisation d’échantillons entreposés dans une biobanque doivent être prises en compte lors de l’élaboration d’un protocole. Par exemple, il faut considérer le type de matrice et le volume disponible, les coûts d’accès aux échantillons ou encore les conditions de prélèvement et d’entreposage des échantillons qui peuvent entrer en conflit avec les méthodes analytiques envisagées dans le cadre d’études futures.

Finalement, s’adjoindre à des programmes de suivi de populations déjà en place est une option intéressante. En effet, de nombreux programmes existent, dans des domaines autres que la biosurveillance, pour suivre des sous-groupes ciblés de la population, en regard d’indicateurs et d’états de santé particuliers (ex. : état nutritionnel, grossesse, vieillissement, etc.). Toutefois, pour profiter de ces structures, il est nécessaire d’avoir une certaine compatibilité dans les objectifs poursuivis ou encore dans certaines étapes du protocole (processus échantillonnage, conditions de stockage, additifs ajoutés, etc.). À titre d’exemple, par l’entremise de collectes de sang se déroulant dans des centres commerciaux, une étude a mesuré la plombémie de 3 490 donneurs de sang, répartis dans 15 régions sociosanitaires du Québec, ce qui a permis de déterminer les distributions résultantes au sein d’une population des donneurs de sang québécois (INSPQ, 2009). Par contre, le recours à la biobanque sur le vieillissement NUAGE n’a pu être envisagé pour mesurer l’exposition de personnes âgées au cadmium en raison de l’ajout, aux échantillons d’urine, d’un additif présentant un potentiel non négligeable de contamination à ce métal. Cet additif était requis dans le contexte où il visait à mieux conserver les éléments nutritionnels dans l’urine des sujets de cette cohorte investiguée à des fins d’études sur la nutrition des personnes âgées (Hélène Payette, communication personnelle, 2012).

Puisque le Québec participe à plusieurs des enquêtes canadiennes, les bases de données et les biobanques associées aux enquêtes contiennent ainsi des renseignements et des échantillons biologiques de participants québécois. Parmi les programmes de biosurveillance canadiens, le principal est celui associé à l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS). Cette dernière consiste en une grande enquête, conduite à l’échelle du pays. Pilotée par Statistique Canada et appuyée par Santé Canada de même que par l’Agence de la santé publique du Canada, l’ECMS récolte des mesures directes sur la santé afin d’estimer et de mesurer les niveaux d’exposition aux contaminants environnementaux dans l’urine et le sang des participants (Statistique Canada, 2010). Environ 1 200 participants du premier cycle de l’ECMS étaient originaires des régions de Montréal, de Québec et de la Mauricie (Statistique Canada, 2010).

Il apparaît important de souligner ici que les données générées par ces projets peuvent permettre la mise sur pied de nouvelles activités de biosurveillance sans nécessairement avoir à effectuer toutes les étapes d’une étude complète. L’usage de bases de données, de biobanques et de projets en cours moyens peut être profitable, puisque le recrutement et l’échantillonnage, deux étapes du processus de réalisation d’une étude pouvant s’avérer longues et coûteuses, sont déjà complétés. Les avantages et les inconvénients de ces ressources sont énumérés au tableau 4.

Tableau 4 - Avantages et inconvénients associés à l’utilisation des ressources et des structures existantes pour la tenue d’études de biosurveillance

Avantages et inconvénients associés à l’utilisation des ressources et des structures existantes                         pour la tenue d’études de biosurveillance

L’opinion des intervenants sur une stratégie concertée de biosurveillance

L’opinion des intervenants sur une éventuelle stratégie concertée de biosurveillance a été recueillie lors d’entrevues téléphoniques menées en 2011 et 2013. La stratégie leur a été présentée comme un ensemble d’actions à plusieurs échelles : allant de la grande enquête provinciale à la tenue d’études locales ou encore suprarégionales sur des thèmes précis. À l’échelle provinciale, elle aurait l’objectif de recueillir des données populationnelles québécoises d’imprégnation aux contaminants environnementaux alors qu’à l’échelle locale elle soutiendrait la mise en œuvre d’actions susceptibles de documenter des spécificités régionales. Finalement, elle encouragerait des actions concertées entre régions en mettant sur pied des études portant sur des problématiques communes à plusieurs régions. Cette diversité d’actions semble adéquate aux yeux des intervenants afin de couvrir les besoins des acteurs de la santé publique à diverses échelles d’intervention.

Pour la majorité des intervenants questionnés, une meilleure structure entourant les activités de biosurveillance au Québec aurait le potentiel de constituer un levier intéressant pour changer des politiques publiques. En ce qui a trait aux activités à l’échelle provinciale, plusieurs intervenants régionaux sont enthousiastes. Ils y voient une occasion de colliger des données plus représentatives de la population québécoise et la possibilité d’identifier des problématiques de santé environnementale non soupçonnées. Selon certains, cela correspond au mandat de surveillance en santé publique. Par contre, d’autres doutent de la valeur ajoutée que des données provinciales apporteraient et croient que les données canadiennes qui proviennent de l’ECMS sont suffisantes, d’autant plus qu’une enquête québécoise serait coûteuse. De plus, quelques intervenants s’inquiètent de la surcharge de travail que pourrait entraîner une telle étude (ex. : augmentation potentielle du nombre de maladies à déclaration obligatoire). Pour ce qui est de la dimension régionale, la plupart s’entendent pour dire qu’un soutien supplémentaire serait bénéfique au travail des DSP. Selon plusieurs, mener des études locales permettrait aux intervenants d’avoir une idée plus réaliste de l’exposition aux contaminants, comparativement aux estimations faites à partir de scénarios d’exposition. Enfin, considérant le manque de ressources humaines et financières ainsi que les disparités régionales quant aux ressources et à l’expérience disponibles souvent évoquées pour expliquer le peu d’études de biosurveillance entreprises par les DSP, une offre d’expertise-conseil plus claire de l’INSPQ ainsi que de nouvelles sources de financement potentielles seraient bienvenues.

Vers une stratégie québécoise de biosurveillance

Dans un contexte où la biosurveillance est un outil efficace dans l’étude de l’exposition de la population aux contaminants environnementaux et que le Québec possède les expertises nécessaires dans ce domaine alors que les connaissances sur l’exposition de la population québécoise sont parcellaires, il apparaît certainement pertinent que le réseau québécois de la santé publique se dote d’une réelle stratégie concertée de biosurveillance. Une telle stratégie permettrait à la fois d’anticiper les besoins et d’harmoniser les actions tout en favorisant les échanges entre les acteurs du milieu de la santé en cette matière. Le développement de la biosurveillance au Québec contribuerait à améliorer le portrait global de la distribution de l’exposition de la population aux contaminants environnementaux et à identifier les sous-populations les plus exposées. De plus, ce développement contribuerait à fournir de l’information essentielle à l’étude d’un lien entre ces expositions et l’incidence de certains problèmes de santé.

Bien sûr, la mise en place d’une stratégie concertée de biosurveillance au Québec nécessiterait une vision globale et une flexibilité dans ses actions, afin de s’ajuster aux réalités variables du réseau. À cette fin, un document stratégique a récemment été déposé au MSSS par les auteurs du présent article. Ce document s’articule autour d’un objectif de plus grande cohésion entre les principaux acteurs impliqués et présente cinq processus-piliers sur lesquels baser la stratégie, lesquels sont répartis en trois orientations principales :

  • structurer les activités de biosurveillance au Québec;
  • soutenir le réseau dans l’exercice de la biosurveillance;
  • renforcer l’expertise québécoise en biosurveillance.

Les cinq piliers sont d’abord, afin de déterminer des besoins communs, la détermination de sujets prioritaires favorisant la concertation en mobilisant divers acteurs autour d’une même préoccupation. Ensuite, la conduite d’études de biosurveillance pourrait être facilitée en favorisant le transfert des connaissances. La mise en commun de l’expérience et des ressources issues de différents organismes (DSP, INSPQ, MSSS, etc.), qui a parfois fait défaut par le passé, profiterait à l’implantation d’une stratégie concertée. À cette fin, quelques moyens pourront être envisagés, notamment la rédaction d’un guide méthodologique, l’organisation d’ateliers ou la mise sur pied de formations en ligne. Il est nécessaire de souligner que, peu importe le modèle de transfert de connaissances choisi, celui-ci ne devra pas se substituer à l’offre de service d’expertise-conseil de l’INSPQ. En effet, l’Institut devra rester disponible pour fournir des avis scientifiques sur des questions relatives à la biosurveillance, notamment en ce qui a trait aux questions de méthodologie et d’interprétation de résultats, afin d’accompagner les autorités régionales de santé publique dans l’élaboration de devis d’études. Ce point est particulièrement important dans un contexte de ressources humaines et financières limitées. Ensuite, le recours à des données ou à des sources et des structures existantes (biobanques, banques de données) devrait être encouragé. Bien que ce type de démarche comporte des limites, il serait pertinent d’en promouvoir l’utilisation en raison du potentiel important qu’il représente en ce qui a trait aux renseignements pouvant être obtenus et en regard des coûts économisés par le fait qu’une campagne d’échantillonnage n’est, dans ce cas, pas nécessaire. Finalement, la recherche devra occuper une place de choix au sein de la stratégie. Le développement des connaissances relatives à la biosurveillance favorisera son utilisation et améliorera la réponse et les interventions des intervenants régionaux et des organismes gouvernementaux. En complément, considérant que les connaissances relatives à ce domaine évoluent rapidement en raison de l’intérêt mondial qu’il suscite, une veille scientifique permettra un suivi systématique et accru de la littérature scientifique.

Glossaire

Biobanque

Collection systématique d’échantillons biologiques (sang, urine, cheveux, ADN, etc.) et de données associées (renseignements sur le mode de vie, etc.) pouvant servir à des fins de recherches en santé.

Biomarqueur

Substance chimique, métabolite ou changement qui peuvent être dosés dans l’organisme et qui révèlent l’exposition, ou les effets d’une exposition, à un contaminant environnemental. Les biomarqueurs sont de trois types : d’exposition, d’effet et de susceptibilité. Un biomarqueur d’exposition peut être la substance mère ou un de ses métabolites et met en évidence une exposition actuelle ou passée à un polluant. Un biomarqueur d’effet reflète un changement biochimique ou physiologique mesurable, provoqué par le contaminant. Un biomarqueur de susceptibilité est un indicateur de la sensibilité d’un individu, moins utilisé en santé environnementale.

Biosurveillance

Mesure de contaminants (ou de leurs métabolites) dans le sang, l’urine ou d’autres matrices biologiques humaines.

Équivalents de biosurveillance (Biomonitoring Equivalent ou BE)

Les BE sont le résultat d’extrapolations toxicocinétiques. Il s’agit de la concentration d’un biomarqueur dans un tissu correspondant à une VTR (ex. : une dose journalière admissible [DJA], une dose de référence [RfD], etc.). Les BE permettent l’interprétation des données de biosurveillance populationnelles.

Matrice biologique

Tissus ou liquides biologiques humains, tels que le sang, l’urine ou les cheveux qui, en chimie analytique, sont testés pour la présence ou l’absence de substances chimiques.

Métabolite

Composé chimique intermédiaire ou résultant du métabolisme d’une substance mère.

Niveau d’imprégnation

Concentration d’un biomarqueur mesurée dans une matrice biologique, témoignant de l’exposition à un contaminant environnemental.

Niveau de référence

Valeurs de biosurveillance, ou étendue de valeurs, qui définissent les concentrations de contaminants généralement retrouvées dans une population et qui sont généralement utilisées pour comparer des populations ou des sous-groupes entre eux. La valeur supérieure de l’intervalle de confiance à 95 % ou les 90e et 95e centiles sont souvent employés comme niveau de référence.

Surveillance

Processus continu et répété qui permet la collecte de données sanitaires.

Toxicocinétique

Qui concerne l’étude des différentes étapes du métabolisme des substances chimiques, soit l’absorption, la distribution, le métabolisme et l’excrétion, en fonction du temps et de la dose administrée.

Valeurs de biosurveillance humaine (human biomonitoring values ou valeurs HBM)

Valeurs de référence élaborées par l’Agence fédérale allemande de l’environnement (le Umweltbundesamt ou UBA). Elles sont dérivées à partir de données provenant d’études épidémiologiques sur le lien entre un effet sur la santé et la concentration d’une substance (ou d’un métabolite) dans une matrice biologique donnée. Il existe deux types de valeurs : les HBM I et les HBM II. Les HBM I sont des concentrations en dessous desquelles il n’y a pas de risques d’effets nocifs sur la santé, tandis que les HBM II sont des concentrations au-delà desquelles les risques pour la santé ne peuvent pas être exclus.

Valeur seuil

Concentration pouvant indiquer un risque pour la santé.

Valeur toxicologique de référence (ou VTR)

Indice toxicologique fondé sur la relation entre la dose d’exposition à un contaminant donné et la réponse toxique (toxique à seuil d’effet) ou entre une dose d’exposition et une probabilité d’effet (toxique sans seuil d’effet). Ces valeurs sont établies par des instances internationales ou réglementaires.

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